International
11H54 - vendredi 28 avril 2017

Pourquoi Le Pen se rapproche du pouvoir, entretien avec Arnaud Benedetti

 

Marine Le Pen a-t-elle une chance de l’emporter à l’élection présidentielle ?

L’arithmétique politique, qu’on le veuille ou non, lui est défavorable. Il y a néanmoins une agitation médiatique qui pousse à accréditer cette idée. Pour des raisons politiques, d’aucuns ont intérêt à promouvoir cette thèse, ne serait-ce que pour éviter une victoire médiocre d’Emmanuel Macron qui ne lui permettrait pas de réunir des conditions optimales pour bâtir ensuite une majorité. C’est un fait cependant que l’on ne sent pas dans l’opinion se reproduire ce qui s’est déroulé en 2002 .Tout d’abord parce que le logiciel politique de Marine Le Pen n’est pas celui de son père ; ensuite parce que Macron depuis dimanche ne donne pas le sentiment de maîtriser sa campagne ; enfin parce que Le Pen de son côté a décidé d’être résolument offensive en adoptant une stratégie de communication qui sur-souligne sa proximité avec les classes populaires pour susciter un effet de contraste avec Emmanuel Macron qu’elle renvoie explicitement dans le camp des élites.

Pour autant, les chances d’une victoire de Marine Le Pen au second tour me paraissent, sauf facteur exogène que nous ne maîtrisons pas, fortement improbables. Par contre, le prochain quinquennat, lui, pourrait s’avérer décisif. Un échec du futur Président, voire d’une cohabitation, serait le dernier marchepied pour l’accession du FN au pouvoir !

Y at-t-il une séduction Marine Le Pen ?

Incontestablement oui. Sa force réside dans une stratégie qui depuis la prise du Parti a, nonobstant des oppositions politiques, médiatiques, sociétales, réussi à distendre ce que l’on appelait le cordon sanitaire. Le fait qu’elle soit une femme, qu’on le veuille ou non, facilite la pénétration de son discours, l’acceptabilité de celui-ci, surtout à partir du moment où elle a rompu avec la vieille culture politique du FN de son prédécesseur.  La prise de distance par l’éviction du père est venue certifier la dédiabolisation et accréditer en partie la sincérité de celle-ci. Certes il peut rester encore dans l’entourage et les références de Marine Le Pen des scories de ce passé, mais dans les faits son discours est celui d’un populisme débarrassé du vieil imaginaire d’extrême-droite. Elle a amodié la doctrine originelle du FN, la ramenant à une rhétorique plus proche de l’aile droite de la droite de gouvernement.  Regardez le programme du RPR et même d’une partie de l’UDF des années 80. À l’exception de la question européenne, vous y trouverez sur les sujets régaliens de surprenantes correspondances avec celui du FN d’aujourd’hui. Elle réussit surtout là où son père ne voulait pas réussir : la professionnalisation du parti car elle veut gagner, et non pas cantonner le FN à une petite entreprise protestataire. D’où le travail qu’elle a effectué sur la communication dont elle maîtrise les codes médiatiques pour s’éviter les dérapages tout en s’autorisant les libertés acceptables et acceptées par le médiatiquement correct.

Partagez vous l’analyse selon laquelle en matière de sémantique politique, l’une des formes les plus subtiles de banalisation du Front national tient à ce que le concept de « lepénisation des esprits », fortement employé dans les années 2000, a quasiment disparu de la scène publique et de la campagne 2017, alors même que dans les faits et dans les têtes, celle-ci opère à fond aujourd’hui ?

Ce qu’il faut s’efforcer de saisir, c’est que le monde a changé depuis les années 2000. La violence sur la scène internationale, l’émergence d’un terrorisme islamiste tout à la fois plus barbare et plus structuré, le retour de la Russie comme puissance diplomatique qui compte, les crises économiques et financières ont profondément restructuré la vision du monde des opinions. Ce qui était stigmatisant, culpabilisant dans ces années-là l’est moins, voire plus du tout aujourd’hui.

L’anti-lepénisme qui a servi d’apprentissage politique aux générations des années 80, 90 et 2000 ne fonctionne plus car l’émetteur à la tête du FN a changé mais aussi parce que la société dans laquelle nous vivons est de plus en plus anxiogène, renforçant l’attractivité du FN et décomplexant le vote en sa faveur. Un concept, aussi sophistiqué soit-il et encore celui de lepénisation des esprits ne l’était pas vraiment, ne peut pas grand-chose contre des réalités sociologiques. L’histoire est terrible, c’est bien le problème. Le déclassement social, l’appauvrissement de la France périphérique, le délitement des vieilles sociabilités et solidarités constituent autant d’enjeux, de problèmes qui n’obtiennent que peu de réponses en matière de politiques publiques.

C’est à partir de cette béance des politiques publiques que le FN progresse. Et je pense même que le processus de stigmatisation du FN, sur fond d’absence de réponses politiques aux préoccupations des classes moyennes et populaires, tend à le solidifier, voire à le renforcer. On ne répond pas à un défi politique par de la com’, mais par de la politique. Et la politique en tant qu’action et pas seulement en tant que langage a déserté ou donné le sentiment de déserter les lieux de pouvoir.

Les journalistes politiques n’ont pas su traiter Le Pen, la piéger ou le contredire. Exemple : le duel Pujadas – Le Pen du 28 mars qui s’est retourné contre lui. Qu’en pensez-vous ? Et comment devraient-ils s’y prendre ?

D’où vient en effet le problème ? Ils n’ont que peu de prises sur Marine Le Pen. Ou ils surinvestissent dans l’agressivité et cela se retourne contre eux, ou ils sont transparents car elle a un héritage avec lequel elle n’a pas coupé c’est le sens de la répartie de son père ! Les journalistes ont d’abord un problème de fond : c’est que leur image s’est dégradée dans l’opinion. Ils sont assimilés aux élites et dans l’atmosphère d’hostilité à l’encontre de ces dernières Marine Le Pen joue sur du velours lorsqu’elle s’en prend à eux.

La vérité, c’est que s’opposer au FN signifie d’abord d’accepter de ne pas le traiter à part. C’est une révolution comportementale que je conçois copernicienne pour des générations qui sont élevées dans ce mantra antifasciste que Jean-Marie Le Pen avait copieusement abondé. Avec Marine Le Pen, j’insiste, les choses ne sont plus les mêmes : elle a technocratisé le parti avec l’aide de Florian Philippot et de son cercle des Horaces, elle a lissé les éléments discursifs, elle va même jusqu’à abandonner certains points forts du vieux logiciel comme le rétablissement de la peine de mort … D’une certaine manière c’est le système qui l’a ingurgité.

Allez lire ce que disent et pensent nombre d’identitaires ou d’anciens cadres du FN en rupture avec sa ligne : pour eux Marine Le Pen a trahi ! De Lesquen, fondateur du club de l’Horloge, n’a pas appelé à voter Marine Le Pen mais …Fillon ! La fragilité évidente de Marine Le Pen reste aujourd’hui son positionnement économique. Elle ne rassure pas l’électorat conservateur qui n’aspire qu’à moins d’Etat, elle inquiète les classes moyennes pour lesquelles la sortie de l’Euro s’avérerait être un hold-up sur leurs économies… et c’est sans doute aujourd’hui sa doxa économique qui freine l’adhésion d’une grosse partie de l’électorat conservateur. Elle doit gérer enfin des contradictions entre les modernistes autour de Philippot et dont elle valide la vision sur ce plan qui refusent toute crispation sociétale et les anciens qui à l’instar de sa nièce, Marion, sont eux résolument sur une ligne plus traditionaliste.

Propos recueillis par Michel Taube

 

Arnaud Benedetti est Professeur-associé en histoire de la communication à la Sorbonne et auteur de « La fin de la com », Editions du cerf (vient de paraître), « Communiquer, c’est vivre « (avec Dominique Wolton ), Editions du Cherche-Midi, « La communication «  (avec Priscille Riviere ), Editions Economica.

 

 

 

 

 

 

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