Droits pratiques
12H17 - jeudi 2 juin 2016

Es-tu donc bien mon père ? Là est la question

 

Entre analyses d’ADN et études sociologiques, on estime que 4 à 8 % des Français ne sont pas les enfants de celui qu’ils croient ! Cela pourrait nous conduire à une réflexion sur l’adultère, mais il fera l’objet d’un prochain article. Pour l’heure, intéressons-nous aux modes d’établissement ou de contestation de filiation, paternelle en l’espèce.

Crédit photo : Maggie Bartlett, NHGRI, domaine public

Crédit photo : Maggie Bartlett, NHGRI, domaine public

D’abord, il n’existe plus, depuis 2006, d’enfants « naturels » et « légitimes ». Qu’il s’agisse d’autorité parentale, de filiation ou de succession, les droits des enfants ne sauraient dépendre du statut matrimonial des parents. Ensuite, l’ordonnance du 4 juillet 2005 a rationalisé le droit de la filiation, tant en ce qui concerne les procédures que les délais, même si la contrepartie de la simplification de la règle est souvent la multiplication des exceptions.

Qu’il s’agisse de contester une reconnaissance estimée mensongère ou de rechercher la paternité, voire la maternité, d’un parent qui refuse de l’assumer, le mécanisme juridique est identique. Mais que pouvez-vous concrètement entreprendre si vous craignez que votre père ne soit pas vraiment votre père ?

En France, il est impossible de recourir à un test ADN à titre privé, « juste pour savoir ». Mais rien ne vous interdit de contacter un laboratoire espagnol ou suisse qui, moyennant paiement, vous adressera un kit de prélèvement buccal, à savoir un coton-tige dans un tube. Vous ne pourrez toutefois vous prévaloir du résultat du test dans le cadre d’une procédure judiciaire. Comment, dès lors, prouver la paternité ou la non-paternité ? Et d’autre part, de quel délai dispose-t-on pour engager une action devant le tribunal de grande instance, où la représentation par avocat est obligatoire ?

La preuve de la filiation

Certains se souviennent peut-être du litige qui opposait le chanteur et comédien Yves Montand à une jeune femme se prétendant sa fille. Malgré une ressemblance physique troublante et une forte présomption de relations entre l’artiste et la mère de l’enfant, à l’époque de la conception, un test ADN effectué sur sa dépouille a révélé qu’il n’était pas le père. Cela démontre que l’ADN est la reine des preuves en cette matière, qui balaye toutes les présomptions. Notons par ailleurs qu’il n’est aujourd’hui plus possible d’effectuer un test post-mortem dans une procédure de filiation, si l’intéressé l’a expressément refusé de son vivant.

Si un faisceau de preuves, par leur concordance, parvient à démontrer la réalité ou au contraire l’impossibilité de la filiation, le tribunal peut se prononcer sans expertise. Elle n’est donc pas obligatoire, bien que quasiment systématique. Mais que fera le juge si le défendeur refuse de se soumettre à l’expertise ? Si le demandeur fait état d’indices et présomptions concordants, le refus du défendeur laissera supposer qu’il a quelque chose à cacher. Son refus constituera en quelque sorte un indice supplémentaire. L’accumulation d’indices peut donc avoir force de preuve et le refus du défendeur être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, conduisant le juge à déclarer la paternité.

Si inversement le demandeur ne dispose d’aucun indice, le refus du défendeur de se soumettre à l’expertise peut être considéré comme fondé. En pratique, ce n’est que rarement tout ou rien. Il y a souvent quelques indices et notamment la preuve que les prétendus parents ont vécu ensemble ou eu des relations à l’époque de la conception. Le juge ordonne alors une expertise et le fait de ne pas s’y soumettre renforcera sa conviction. Si, par exemple, la paternité n’est pas judiciairement déclarée, le tribunal pourra même alors condamner celui qui a eu des relations avec la mère à lui verser des subsides (une pension alimentaire). Et si en l’espèce la demanderesse peut prouver l’existence de relations avec le prétendu père à l’époque de la conception, le refus de ce dernier de se soumettre à l’expertise pourra également conduire le tribunal à déclarer la paternité… si la demande est effectuée dans les délais. Quels sont ces délais ?

Les délais de prescription

L’article 321 du Code civil précise qu’il peut être de dix ans au maximum, mais qu’il est suspendu à l’égard du mineur, durant sa minorité. Ainsi, si un parent, ou éventuellement une autre personne qui y a intérêt, n’a pas saisi le tribunal, l’enfant devenu majeur pourra le faire jusqu’à ses vingt-huit ans révolus. Ces délais peuvent toutefois être plus brefs, la règle obéissant à une logique très factuelle : évitons de chambouler des situations bien établies. Si la situation de droit correspond à la situation de fait, si la théorie coïncide avec la pratique, le délai de dix ans peut être réduit à cinq ans. La théorie, c’est le titre, en général l’acte de naissance. La pratique, c’est la possession d’état, définie à l’article 311-1 du Code civil. Elle correspond simplement à la réalité : si l’enfant a toujours été considéré comme celui de monsieur Untel, dont il porte en pratique le nom, si monsieur Untel s’est comporté à l’égard de l’enfant comme s’il était son père, alors le délai de prescription est réduit à cinq ans, le point de départ étant, selon les termes de l’article 321, le jour où « la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté ».

Exemples :

1°) Je reconnais un enfant que j’élève. Le point de départ du délai est le jour de la reconnaissance. Si je ne l’avais par reconnu, la mère pourrait engager la procédure dans un délai de cinq ans depuis le jour de la naissance. Si j’élève cet enfant durant cinq ans, l’action sera prescrite, sauf à l’égard du ministère public et de l’enfant qui disposera du même délai pour agir, à compter de sa majorité.

2°) Je reconnais un enfant et quitte la mère au bout de trois ans. La possession d’état cesse et l’action devra être engagée dans les cinq ans suivant mon départ.

3°) J’élève un enfant que je n’ai pas reconnu (ou inversement, je reconnais un enfant que je n’élève pas) : la possession d’état n’est pas conforme au titre, et le délai de prescription est de dix ans.

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique