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11H00 - mercredi 25 mai 2016

On ne badine pas avec la bouffe

 

Ce n’est pas qu’une légende : dans le monde juif, on ne plaisante pas avec la nourriture. Un enfant se doit de manger, avec ou sans appétit, sous peine de tuer sa mère. Et cela à tout âge. En d’autres termes, manger n’est pas seulement un besoin, mais aussi un devoir. C’est peu dire donc qu’en Israël la cuisine est un sport de masse pratiqué avec dévotion, tout comme manger, son corollaire, à tout moment sans restriction.

Crédit photo : Young Shanahan, Flickr CC

Crédit photo : Young Shanahan, Flickr CC

Pour exemple, lorsque MasterChef France, pays de la gastronomie, attirait au top de sa forme, pendant les premières saisons, 6 % maximum de la population – soit 24 % d’audimat –, 18 % d’Israéliens en suivaient la version locale, ce qui correspondait à 46 % environ de part de marché. Et n’imaginez pas que ce soit manque de choix, Israël est câblé et connecté tous azimuts, et son nombre de chaînes n’a rien à envier au nôtre. Quant à la qualité… pas de quoi se vanter, pas plus là-bas qu’ici.

Second exemple pour les sceptiques. Imaginez Le Monde introduisant allègrement entre « Politique » et « Culture » une page sur l’alimentation. Impossible ? Difficile au moins. Pas pour les Israéliens. En effet, tous leurs quotidiens généralistes sauf un, Maariv, ont casé une telle rubrique entre crimes passionnels et crises diplomatiques. Et ils n’ont même pas essayé de camoufler leur propos derrière des appellations plus ou moins ambitieuses, de type « Gastronomie », « Atours des tables » ou « Entre poire et dessert »… Au contraire, leur titre direct annonce d’emblée la couleur : « Nourriture ». Oui, simplement. Le journal national Yedioth Aharonot a même doté la sienne d’un fil de l’actualité, alimenté (lui aussi, parce qu’il le faut bien) en temps réel. Et même le journal Haaretz, considéré comme le papier le plus sérieux d’Israël, s’est fendu d’une telle feuille. CQFD : ce qu’il ne fallait pas démontrer.

En d’autres termes, le « manger », la « nourriture », la « cuisine » ou l’« alimentation », appelez ça comme vous voudrez, est bien en Israël un sujet important, sérieux, pour ne pas dire du gros lourd. Aussi bouder leurs tables, ou simplement les ignorer, y offense les plus sensibles, les blesse même profondément. Et nous y reviendrons.

 

Une cuisine qui revient de loin

En Israël, il y a trente ans, l’alimentation quotidienne se réduisait à des sandwiches avalés sans mâcher – parce qu’il fallait manger mais qu’on n’en avait pas le temps – et à des noix, amandes ou autres graines variées croquées au cours de la journée, toujours en cavalant. Je force à peine le trait. La culture culinaire locale se résumait donc à des mets, qui ne méritaient pas ce nom, attrapés au passage devant des stands rudimentaires : car la déco non plus ne faisait pas partie des priorités absolues. Des fallafels enfoncés à la va-vite dans une pita, pain portefeuille traditionnel, recouverts de salade, tomates, oignons et tehina (délicieuse crème de sésame), ou bien quelques lamelles de viande grillée sur broche tournante, tassées elles aussi au fond d’une pita, manière de sandwich grec appelé shawarma. Ça s’arrêtait à peu près là.

Depuis, tout a changé. Côté cuisine, en effet, l’Israël d’aujourd’hui et celui des années spartiates n’ont plus rien en commun, ou presque. Une révolution a traversé la société, introduisant les concepts d’art de vivre et gastronomie dans la langue hébraïque. Investissant avec passion la cuisine de leurs mères, les chefs israéliens ont gagné à l’art de leur table ses lettres de noblesse. Le pays compte désormais quelques restaurants de renom et exporte même ses chefs.

Ainsi, le mois dernier a vu le restaurant Shaya, basé à New Orleans, sacré meilleur nouveau restaurant des États-Unis de l’année 2016 par la fondation James Beard. Deux autres chefs israéliens, Michael Solomonov et Steven Cook, y ont pour leur part remporté, avec Zahav : A World of Israeli cooking, le prix du meilleur livre de cuisine de l’année. Et l’ouvrage Nopi The cookbook, coécrit par le chef Yotam Ottolenghi, a été primé lui aussi. Enfin, pour compléter ce rapide tour d’horizon de la reconnaissance des tables israéliennes, GQ Magazine a classé parmi les six meilleures de Londres celle de Assaf Granit et Yossi Elad, The Palomar. Ces deux chefs se sont lancés il y a six ans seulement avec MachneYuda un bistrot situé en plein cœur du célèbre marché de Jérusalem. Puis ils se sont multipliés…

 

Israël et ses grandes tables

Sur place, en Israël, les chefs osent se frotter aux traditions culinaires transportées sans bagages depuis les contrées lointaines d’où ont émigré leurs parents – Inde, Éthiopie, Russie, Iran… –  et se les approprient pour mieux les réinventer, parfois avec insolence. Par exemple, à Tel Aviv, on peut goûter chez Nanouchka une cuisine géorgienne, principalement à base de viande, déclinée sur le mode végan. Une nouvelle cuisine vigoureuse et dont la fantaisie fait mouche. Ainsi en 2014, Tel Aviv était reconnu par le magazine Saveur comme une destination exceptionnelle pour les gourmets.

On peut comprendre dans ce contexte que l’insistance de Michelin à ignorer l’existence des grandes tables d’Israël en interpelle certains. Et c’est sans doute pourquoi le Congrès juif mondial (World Jewish Congress), par la plume de son président, a exprimé son étonnement au sujet de cette omission dans une lettre adressée au guide gastronomique, et publiée par The Associated Press. Monsieur Lauder y affirme qu’Israël « est un amalgame de cultures et de traditions, qui ensemble produisent une scène culinaire originale et exceptionnelle » et interroge ainsi Michelin sur les raisons de son oubli. Tout en diplomatie, il insiste à son tour : « même si ne crois pas, contrairement à certains, que d’autres raisons que le mérite soient à l’origine de votre décision de ne pas visiter Israël »…

Gageons que la réponse de Samuelle Dorol, attachée de presse du guide français, ne satisfera pas le président Lauder ni le public israélien : elle a expliqué que Michelin, choisissant en général « ses destinations en fonction de leur intérêt gastronomique et des possibilités de vente », n’avait pas le projet d’aller en Israël. « Il faut avoir des lecteurs potentiels », a-t-elle enfin ajouté.

Des arguments un peu légers lorsque l’on sait qu’environ 300 000 francophones vivent aujourd’hui en Israël et que 3 millions de touristes s’y rendent chaque année.

Affaire à suivre, donc.

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