Billet de Catherine Fuhg
18H04 - vendredi 22 avril 2016

L’humiliation, un marché en plein boum

 

C’est simple comme bonjour, le mot blessant, la blague cruelle, la critique assassine, l’injure aussi, pourquoi pas, et la révélation publique de confidences intimes… l’art de l’humiliation, cet art moderne qui fait recette, est à la portée de tous, surtout de n’importe qui.

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« I did not have sexual relations with that woman » : la phrase a fait le tour du monde, une fois, dix fois, vingt fois, devenant aussi célèbre que l’insolente formule de Lady Marmelade : « Voulez-vous couchez avec moi… » Sauf que l’air sur lequel a été chanté la première n’est ni pop ni joyeux.

Petite question subsidiaire : a-t-on besoin d’entendre en des termes si défleuris la confession, ou pas, d’un président d’État ?

Mais revenons à l’essentiel de mon propos du jour.

À l’âge de vingt-quatre ans, Monica Lewinsky est jetée en pâture à l’opinion publique mondiale et devient la cible impuissante de centaine de millions de crachats virtuels. Pour une erreur commise, c’est elle-même qui le dit, à l’âge de vingt-deux ans avec un partenaire « in crime », de presque trente ans son aîné, qui ne sera pour sa part que brièvement éclaboussé. Victime de la première exécution publique à l’échelle planétaire, une violence incroyable ! cette belle jeune femme a survécu aux brûlures de l’humiliation. Mais une part d’elle a succombé – « Il ne passe pas un jour, dit-elle, qui ne lui rappelle son erreur. » – Et notre civilisation, où en est-elle aujourd’hui après l’affaire Lewinsky ? Car il y a clairement un avant et après.

TED – pour Technology Entertainment Design – est une ONG consacrée à la diffusion d’idées, essentiellement sous la forme de brèves allocutions. Intervenants et sujets, multiples et variés, ont en commun l’objectif de changer la vision du monde, parfois seulement de l’affiner. Dans ce contexte, il y a un an, non pour récriminer, mais pour tenter de prévenir des souffrances à venir à de futures victimes, Monica Lewinsky décrivait et analysait l’horreur qu’elle avait vécue, confrontée à une vague de haine qui a failli la submerger.

Au fait, pourquoi tant de haine ? Des maîtresses et amants d’hommes ou femmes mariés, ce n’est pas ce qui manque. C’est même, à l’ère d’Internet, ère de tous les dangers, passé du sport clandestin au jeu de société. Tout est permis, ou presque, à la condition expresse de rentabilité. L’adultère a donc son marché et ses sites de rencontre : Adopte un mec, Gleeden, Just infidèles… La fidélité jurée devant le maire, les proches et le ministre du culte, résiste rarement à l’usure et à la tentation. Certains le craignent, d’autres l’espèrent, mais tout le monde le sait. Et, comme le père Noël, personne n’y croit vraiment.

Aussi, la fautive innocente – mademoiselle Lewinsky, comme l’a nommée du bout des lèvres le président Clinton, ce vieux beau tout puissant – n’a pas été condamnée à la lapidation pour une question de religion ou de moralité, ce qui n’aurait pas été mieux, mais parce que le buzz, ça rapporte. Lapidation, le mot est fort ? Sans doute, mais pas trop fort, car chaque commentaire est un coup de poignard, raconte Monica Lewinsky, et source de beaucoup de peine.

Il n’est plus besoin aujourd’hui de mettre les mains dans le cambouis pour combler ses penchants sadiques. Il suffit d’un coup de doigt et clic, derrière nos écrans, pour assister impunément, et même face à notre conscience, au spectacle croustillant du piétinement d’une dignité. Plus il est violent et obscène, meilleur il est en bouche.

L’humiliation est devenu un sport de haute compétition. Les records de bassesse sont battus chaque jour. À quand l’oscar du meilleur buzz ? Nos magazines pratique sans mollir, et sans y penser, le harcèlement des vedettes, publiant des photos volées sur une plage ou piratées sur un PC. Il n’y a qu’à se servir et livrer à tous les voyeurs l’intimité violée. C’est tellement amusant de faire tourner dans toutes les bouches et sur tous les écrans le bout de fesse, ou le sein, apparu inopinément. Tellement jouissif de voir la ligne parfaite de telle star qu’on « admire » s’épaissir sous le poids des ans, ou mieux, ah oui ! ça c’est du bon, sous le coup d’une trahison et de l’adversité. Malveillance et cruauté sont devenues des compétences – assassinez, filmez, mettez le tout sur le marché – à rentabiliser.

« Depuis bientôt vingt ans, nous prévient madame Lewinsky, nous avons semé les germes de la honte et de l’humiliation publique dans notre sol culturel. » Regardons-nous dans les yeux, car le monde est à notre image. Est-ce vraiment à cela que nous souhaitons ressembler ? Non ?

Alors, pensons avant de cliquer.

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Catherine Fuhg