Billet de Catherine Fuhg
19H13 - samedi 8 mai 2021

Françoise Rudetzki, sa lourde peine n’aura pas été vaine

 

On aurait pu l’oublier, son nom et son identité perdus parmi ces autres qui ne cessent de s’ajouter au fil des attentats. Sa vie se serait résumée à son statut de victime, au fragment de seconde où la bombe avait explosé, à son dossier médical débordant des multiples et complexes interventions chirurgicales qu’il lui a fallu endurer, aux mois, aux joies, volés à sa jeunesse, à sa famille. Et si elle avait passé des années à ressasser les « pourquoi moi » et « si seulement », nul ne l’en aurait blâmée. Mais elle s’y est refusée.

Pas question de laisser le sort dessiner son destin. Mieux encore, elle a consacré sa colère et son énergie à lutter pour les innocents qui, comme elle, frappés et meurtris, souffraient non seulement de l’injustice du hasard qui les avait choisis mais de celle d’une loi pour laquelle ils n’existaient pas.

Toujours, Françoise Rudetzki avait cru en sa chance. Et elle avait de quoi. Alors que les nazis avaient décimé leurs familles, ses parents avaient réchappé à l’extermination. Ils s’étaient rencontrés, aimés, et lui avaient donné naissance. Françoise, leur fille chérie, incarnait la victoire de l’espoir, du courage et de l’humanité sur la haine et l’adversité. Aussi, savait-elle glaner et apprécier les plaisirs qui se présentaient sur sa route. Diplômée de droit public et de sciences politiques, mère d’une fillette de neuf ans, elle célébrait au Grand Véfour – célèbre restaurant gastronomique pour un événement unique – ses dix ans de mariage avec l’homme de sa vie, et elle se régalait, lorsque son univers avait volé en éclat. C’était le 23 décembre 1983.

Aujourd’hui, avec le recul, elle pense avoir survécu par la force de sa promesse lâchée à son mari alors qu’on la portait, mi-consciente, vers l’ambulance : oui, elle tiendrait le coup. Et aussi pour ses parents. Elle ne pouvait pas les laisser. Pas après… Impossible. Ils avaient déjà perdu tant, trop, des leurs.

C’est sur son lit d’hôpital qu’elle a décidé du sens qu’elle donnerait à cette tragédie. Elle qui avait renoncé à la profession de juriste, qu’elle trouvait ennuyeuse, s’est remise à son code pénal. Nulle part le terrorisme n’y était mentionné. D’un point de vue juridique, ce qui avait bouleversé sa vie à tout jamais, qui tuait et tuerait aveuglément des innocents n’existait pas. Ses victimes l’étaient doublement. Handicapées, traumatisées, elles ne pouvaient prétendre à aucune reconnaissance, aucune réparation. Il fallait y remédier. C’était d’autant plus important qu’elle pressentait que les actes de terrorisme prévaudraient dans les guerres futures et que nos sociétés y seraient confrontées de plus en plus souvent – ce qui s’avérerait par la suite malheureusement. Elle s’attela donc à cette tâche dès que sa santé le lui permit et ne cessa jusqu’à ce jour.

Son combat a été jalonné de victoires. Après avoir fondé en 1986 l’association SOS Attentats, elle obtient en 1990 le statut de victimes civiles de guerre pour les victimes du terrorisme en France. Elle s’emploiera à étendre cette législation unique à l’Europe et au-delà. En 2016, à la suite de la vague d’attentats qui ensanglante Paris, elle publie un essai Après l’attentat*, dans lequel elle regrette de devoir constater les défaillances de l’État dans sa prise en charge des survivants et des proches des victimes. La même année, sous la présidence Hollande, elle se voit confier par la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes une mission de réflexion. Son travail aboutit à la création du Centre national de recherche et de résilience.

La tâche qu’elle s’est assignée semble ne pas avoir de fin, mais Françoise Rudetzki ne baisse pas les bras. Elle continue le combat sans se décourager. Sur le front de la santé, pourtant, après avoir lutté avec courage plus de trente ans, soutenue dans son combat par les médecins et soignants experts des Invalides à Paris, pour sauver ses jambes broyées dans l’attentat, afin de préserver l’intégrité de son corps, symbole de sa résistance, elle a dû renoncer, se résoudre à l’amputation il y a quelques années.

Mais aujourd’hui, malgré les souffrances, les épreuves, sa voix résonne encore d’un sourire bon et généreux, gravé en elle comme l’espoir.

 

Catherine Fuhg

* Chez Calmann-Lévy. Elle y a aussi publié en 2004 Triple Peine, son autobiographie :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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