Droits pratiques
12H27 - jeudi 14 avril 2016

Le « bourreau civil »

 

Les justiciables ont souvent peur de la justice et plus particulièrement des huissiers perçus comme sans cœur et intraitables. L’huissier, officier ministériel titulaire d’une charge publique, est d’abord perçu comme l’exécuteur des basses besognes, telles que les saisies ou les expulsions locatives.

Crédit photo : JPLC - Wikimedia Commons

Crédit photo : JPLC – Wikimedia Commons

Le terme « exécuteur » est d’ailleurs approprié, puisqu’il est bien question d’exécution forcée, l’huissier ne vous demandant pas votre avis avant d’agir, si vous êtes le débiteur. De là à considérer tous les huissiers comme des bourreaux sans cœur, il y a un pas qu’il serait hasardeux et injuste de franchir, la réalité de leur métier étant trop diverse pour être résumée à ce seul aspect coercitif. Certains huissiers utilisent toute la marge de manœuvre que leurs clients (créanciers, bailleurs, etc.) veulent bien leur accorder, pour éviter le pire. Mais si vous avez déjà été condamné, si l’huissier agit en vertu d’un « titre exécutoire », tel qu’un jugement, un acte notarié, un certificat de non-paiement d’un chèque sans provision, un commandement fiscal, vous ne serez pas en position de force. Vous pourrez espérer négocier un échéancier, sans vous faire trop d’illusions. Vous pouvez bien sûr tenter de trouver un arrangement directement avec le créancier, mais il risque fort de vous renvoyer à l’huissier qu’il a mandaté à cet effet. D’ailleurs, payer le créancier n’empêchera pas l’huissier de recouvrer ses frais, toujours à la charge du débiteur, même s’ils ont été avancés par le créancier.

 La signification des actes judiciaires

Une signification est une notification faite par un huissier de justice. Dans un procès, l’huissier intervient en début et fin de procédure. Lorsque déclenchée par assignation, la procédure doit obligatoirement être signifiée à l’adversaire par un huissier de justice. La plupart des décisions de justice qui mettent un terme aux procédures doivent être signifiées à l’autre partie, ce qui suppose une nouvelle intervention de l’huissier. Si vous avez un avocat, c’est lui qui se chargera de transmettre la décision à l’huissier. Certaines décisions sont notifiées par lettre recommandée par le greffe du tribunal, comme les ordonnances du juge aux affaires familiales, mais la signification par huissier sera le prélude incontournable à toute saisie ou autre exécution forcée. C’est cette signification (ou notification par le greffe lorsque la loi le permet) qui fait courir le délai d’appel et non la date de la décision de justice. La signification doit être faite à l’intéressé, ou à une personne spécialement habilitée (il s’agit d’une « signification à personne »). À défaut de pouvoir joindre le destinataire de l’acte, l’huissier peut le délivrer à un tiers (une personne se trouvant au domicile, un voisin, le gardien de l’immeuble, l’employeur, etc.), ou la déposer à sa propre étude, laissant au destinataire un avis de passage dans sa boîte aux lettres. Il est même admis que la signification soit faite à un enfant capable de discernement. Enfin, elle peut intervenir au dernier domicile connu. A l’exception de la procédure d’injonction de payer, le mode de signification n’a pas d’influence sur le déroulement de la procédure. Si, par exemple, vous ne retirez pas une assignation que l’huissier a déposée à son étude, avec avis de passage dans votre boîte aux lettres, le procès se déroulera sans vous, et vous ne pourrez que vous en prendre à vous-même. De même, si l’acte signifié est un jugement, et que vous laissez passer le délai d’appel, tant pis pour vous ! Si vous n’êtes temporairement pas joignable (hospitalisé, en croisière, en prison, etc.) sans que la partie adverse et, donc, son huissier en soient informés, ce dernier devra démontrer qu’il a effectué quelques investigations en vue de signifier l’acte à son destinataire.

 

Les constats et l’établissement de la preuve

À l’inverse des significations qui sont tarifées – il faut au moins être expert-comptable pour comprendre comment est établi ce tarif, mais il est rare qu’un tel acte coûte plus de 100 euros – , le coût d’un constat d’huissier est fixé librement. Il s’agit alors d’honoraires, comme ceux versés à l’avocat, et il faut considérer l’huissier comme un prestataire de services. N’hésitez pas à demander un devis et à faire jouer la concurrence, mais il serait surprenant qu’un constat vous soit facturé moins de 300 euros.

Un huissier n’est pas plombier ou garagiste. Il peut constater qu’une canalisation fuit, qu’un mur est humide, que de l’huile coule sous une voiture ou qu’elle ne démarre pas. Mais il ne peut en déduire les causes, cette tâche ne pouvant incomber qu’à un expert. Un constat d’huissier est une preuve quasi irréfutable, contrairement au rapport d’un expert privé. Le cas échéant, une expertise judiciaire ordonnée par le juge pourra éclairer sa décision, ce qui pose la question du pouvoir des experts. Nous y consacrerons un autre article.

Comme l’huissier ne peut que constater et non expertiser, n’est-il pas plus simple et surtout moins cher de prendre quelques photos et de faire attester des témoins ? Certes, ces preuves peuvent être contestées, mais en pratique, celui qui conteste doit prouver le bien-fondé de sa contestation. Le constat d’huissier a un aspect officiel, presque solennel, au-delà de sa nature incontestable, mais il n’est pas toujours indispensable. En revanche, il serait hasardeux de s’en priver pour démontrer des échanges de SMS : comme vous ne remettrez pas votre Smartphone au tribunal, il faudra faire établir un procès-verbal de son contenu par un huissier de justice. Cela nous renvoie à la problématique plus générale de la preuve, à laquelle nous consacrerons également un prochain article.

 

La rédaction d’actes

Certains huissiers acceptent de rédiger les assignations en justice, démarche à ne pas confondre avec la signification. Il s’agit cette fois du fond de la demande, de la présentation et du développement des arguments. Tant que le litige relève du simple recouvrement de créance, sans contestation sérieuse de la part du débiteur, il est envisageable de solliciter un huissier pour rédiger le cœur de l’assignation, même si cela n’est pas véritablement son rôle. Par ailleurs, cette démarche génère des honoraires libres qui devront être discutés au préalable afin d’éviter de mauvaises surprises. Si l’huissier vous demande 1 000 euros, autant passer par un avocat, qui est le véritable stratège de la procédure, ou le faire soi-même, l’huissier se contentant de signifier l’assignation à l’adversaire.

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique