Droits pratiques
16H11 - lundi 14 mars 2016

La levée du secret médical en question

 

La grave dépression d’un pilote de ligne est médicalement établie à plusieurs reprises, et en particulier une semaine avant qu’il n’écrase un avion de ligne sur une montagne, tuant 150 personnes. Ni les médecins de ville ni du travail n’ont fait remonter l’information à l’employeur. Un an après les faits, le BEA (Bureau enquête accident) préconise la levée du secret médical en pareilles circonstances.

 

Intérieur du cockpit de l'A320 - Crédit photo : Olivier Cleynen

Intérieur du cockpit de l’A320 – Crédit photo : Olivier Cleynen

Serait-ce possible en France ? Compétences de la médecine du travail en psychiatrie

Selon le droit français, un médecin du travail peut déclarer un salarié inapte à son poste, temporairement ou définitivement, sans que l’employeur soit, en principe, informé des motifs. Notre droit permet ainsi de concilier secret médical et sécurisation du salarié et des tiers, en l’espèce les passagers et membres d’équipage d’un avion.

Mais les médecins du travail sont-ils suffisamment formés à détecter les pathologies mentales, a fortiori lorsque le patient les dissimule ? Ne faudrait-il pas renforcer ce volet de leur formation ou, en cas de risques particuliers, imposer au salarié un examen psychiatrique approfondi. Les métiers liés à la sécurité publique et au transport collectif seraient les premiers concernés, mais les résistances diverses, fondées ou dogmatiques, ainsi les contraintes budgétaires, risqueraient de freiner ou d’empêcher le succès d’une telle initiative.

 

Levée du secret médical : cela existe déjà !

 

Il peut paraître curieux que l’on s’arc-boute ainsi sur le secret médical dans une hypothèse où sa levée parait s’imposer, alors que la loi Santé du 26 janvier 2016, certes non encore en vigueur, tend à généraliser le partage des dossiers médicaux par tous les professionnels de santé (du médecin à l’opticien, en passant par le kinésithérapeute, le pharmacien ou l’aide-soignant) et les caisses d’assurance maladie. Pour l’anecdote, on se souviendra que la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir sanctionné le docteur Gubler, médecin du président de la République François Mitterrand, qui avait décrit dans un livre l’incapacité de l’ancien chef de l’État à exercer ses fonctions. La haute juridiction avait considéré que le secret médical ne pouvait couvrir un mensonge d’État qui affectait un peuple entier. À l’entendre, le médecin aurait dû briser le secret alors qu’il était en fonction, une hypothèse incompatible avec les us et coutumes de la VRépublique, au-delà des obligations de secret professionnel.

Le secret médical peut être levé dans plusieurs cas, souvent laissés à l’initiative du médecin :

1° Signalement facultatif : privations ou sévices sur mineur ou personne vulnérable dont le professionnel astreint au secret (pas seulement le médecin) aurait eu « connaissance » (226-14 al.1er du Code pénal).

  • Sévices « constatés » par un professionnel de santé sur un mineur ou une personne vulnérable, l’accord de la victime étant nécessaire si elle est majeure (226-14 al.2 du Code pénal).
  • Personnes dangereuses pour elle-même ou autrui possédant une arme ou ayant l’intention d’un acquérir une (226-14 al.3 du Code pénal).
  • Privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans ou personne vulnérable dont le professionnel astreint au secret aurait eu connaissance (434-3 du Code pénal).
  • Crime « dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés » (434-1 du Code pénal).

 

2° Signalement obligatoire : Mineur « en danger ou risquant de l’être » (article L 226-2-1 du Code de l’action sociale et des familles), ou effectivement en danger (article L 226-4 du même code).

 

Ces textes, votés à différentes époques, semblent contradictoires sur certains points, en particulier en ce qui concerne la protection de l’enfance. Les hypothèses de signalement facultatif visées aux articles 431-1 et 434-3 du Code pénal peuvent paraître obsolètes lorsque la victime est mineure. Le signalement et la transmission « d’informations préoccupantes », visées au Code de l’action sociale et des familles, postérieures à ces dispositions du Code pénal, sont en effet obligatoires, mais non expressément sanctionnées. Un défaut de signalement pourrait valoir des sanctions disciplinaires à un travailleur social, mais un médecin ne serait inquiété que si son silence relevait de la non-assistance à personne en péril, une notion dont la portée très restrictive est peut-être remise en cause par le BEA dans l’affaire du pilote dépressif, suicidaire et criminel de la Germanwings.

 

Le signalement obligatoire du péril certain doit-il s’appliquer au danger potentiel ?

La jurisprudence de l’article 226-3 du Code pénal (non-assistance à personne en péril) démontre que les juges distinguent le péril du danger. Alors que ce dernier relève d’un état constant duquel résulte un risque hypothétique, le péril appelle une intervention ou un signalement immédiat, sans quoi le risque se réaliserait avec une quasi-certitude. En outre, le péril doit être constaté et non présumé. Cette distinction entre péril et danger est sujette à débat, voire controverse.

Andreas Lubitz, le tristement célèbre pilote responsable du crash de l’Airbus, était manifestement dangereux, mais son médecin traitant, tout comme la médecine du travail, n’a pas estimé qu’il mettait en péril tous les passagers et membres d’équipage des avions qu’il copilotait. Il faut reconnaître qu’il était impossible d’imaginer le scénario du drame, et notamment le fait que Lubitz enferme le pilote dans les toilettes, condamne le cockpit et précipite l’avion contre une montagne.

Il peut être tentant d’étendre au danger les obligations de signalement s’appliquant au péril, d’autant que la tendance législative est de restreindre le champ du secret professionnel, appelé à s’effacer devant des priorités sécuritaires ou fiscales. Mais les professionnels concernés, médecins en tête, soulignent qu’une telle initiative augmenterait significativement les tentatives de dissimulation des pathologies psychiques par les patients. On entend le même type d’arguments de la part de travailleurs sociaux et de médecins, lorsqu’il est envisagé de les autoriser, voire obliger, à signaler des cas de radicalisation.
Mais il faut également pointer le risque de balayer le secret professionnel, en particulier le secret médical, au nom d’intérêts conjoncturels. Le secret médical n’est pas seulement juridique. Il est déontologique et profondément ancré dans l’histoire, ayant été instauré 300 ans avant l’ère chrétienne. Mettre en cause la confidentialité de la relation entre le médecin et son patient ne peut être une démarche précipitée, une annonce non réfléchie et non évaluée. Le corps médical ne gagnerait pas davantage à s’enfermer dans un dogmatisme imperméable aux réalités et dangers de notre société. Les recommandations du BEA ont relancé le débat, les premières réactions des syndicats de pilotes marquant une hostilité à la levée du secret, ce qui ne surprendra personne.

À suivre, donc…

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique