Maroc pluriel
10H27 - vendredi 23 janvier 2015

France – Maroc : il est temps de se réconcilier !

 

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Retrouvez cet article en version courte sur Le Plus de l’Obs et sur le quotidien marocain L’Économiste 

Pourquoi le torchon brûle-t-il entre Rabat et Paris ? L’épisode « Charlie Hebdo », quelques manchettes de journaux auraient encore envenimé la relation pourtant historique entre les deux pays. Il est temps de revenir sur ces différends et d’en appeler Paris et Rabat à se parler au plus haut niveau. La rencontre annoncée puis reportée de MM. Mezouar et Fabius brouille encore la situation. A moins qu’elle n’augure de la préparation soignée d’un dénouement complet du différend.

Doit-on le rappeler : amitié sincère, partenariat privilégié, la relation exceptionnelle qui unit la France au Maroc est l’héritage d’une longue histoire, enrichie par une communauté binationale nombreuse dans chaque pays, nourrie d’un long dialogue culturel que consacrent les deux expositions sur le Maroc qu’a accueillies le Louvre et que prolonge jusqu’au 2 mars l’Institut du Monde Arabe.

Alors, pourquoi la France et le Maroc traversent-ils une telle période de turbulences ?

 

La mèche judiciaire

Tout serait parti de la « gifle de Neuilly », cette « visite », sur ordre d’un juge d’instruction le 20 février dernier, de sept policiers français à la Résidence de l’Ambassadeur de Sa Majesté le Roi du Maroc en France pour remettre une convocation au directeur de la DST marocaine, Abdellatif Hammouchi, et ce le jour même où la France et le Maroc échangeaient des informations capitales pour la sécurité du sol français. Ce non-respect de l’inviolabilité des ambassades, pourtant garantie par la convention de Genève, fut vécu par nos amis marocains comme une atteinte à leur souveraineté. Leur riposte fut immédiate : le gel de toute coopération judiciaire et la baisse du niveau de coopération sécuritaire, avec tout ce que cela implique comme difficultés pour le bon fonctionnement de la justice et comme risques en matière de renseignement.

Le principe d’indépendance des juges d’instruction, invoqué par la diplomatie française, ne fut pas suffisant à convaincre la partie marocaine.

Le 26 mars 2014, la fouille vexatoire qu’a subie le Ministre marocain des Affaires Étrangères, pourtant muni de son passeport diplomatique, lors de son passage par l’aéroport de Roissy, et malgré les excuses exprimées par Laurent Fabius deux jours plus tard, n’arrangèrent rien.

Le Maroc attend toujours une clarification : Rabat, contrairement à de fausses informations colportées par un billet du Figaro, ne demande pas l’immunité de ses responsables sur le sol français. Le premier Ministre français l’avait annoncé lui même lors de la Fête du Trône le 30 juillet dernier : Manuel Valls, insistant sur la relation particulière qui unit les deux pays, annonçait que la France préparait une révision de la convention de coopération judiciaire entre les deux pays. Or six mois après, toujours rien. L’idée d’introduire plus de subsidiarité dans l’encadrement légal du traitement judiciaire indépendant d’affaires sensibles n’a toujours pas été concrétisée par la France. Espérons que le Parlement français en sera saisi rapidement.

 

Le moment Bamako

Mais le différend est plus profond et plus ancien : lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président de la République du Mali, le 19 septembre 2013, le Roi Mohammed VI a été présenté comme l’invité d’honneur de la République malienne et a été salué avec ferveur par le peuple malien. La France en aurait pris ombrage…

Or Il était naturel pour les Maliens que le Roi du Maroc et le président de la République française soient tous deux salués par un peuple malien reconnaissant. Le Roi du Maroc y est vénéré comme le Commandeur des Croyants et, sous son autorité, le Maroc pèse de tout son poids dans la guerre contre les champions d’une barbarie qui n’a d’islamique que le nom et de l’autre, Marocains en tête, les tenants d’un Islam modéré, ouvert à l’autre et contextuel.

Les Français ont-ils compris que le Maroc est le premier allié des Européens dans la lutte mondiale contre les « jihadistes ». En inscrivant dans sa Constitution son héritage multiculturel, en formant des milliers d’imams d’Afrique selon les préceptes de l’Islam chérifien, particulièrement vénéré en Afrique noire, actions pas toujours audibles pour nous, laïcs français, le Maroc agit dans le même sens que la France et l’Europe.

 

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Le moment Charlie Hebdo

Revenons à cette fameuse journée du 11 janvier. Le Maroc n’a pas souhaité être représenté par un officiel sur le pavé parisien cet après-midi-là.

Mais le Roi du Maroc avait condamné dès le 7 janvier, sans la moindre ambiguïté et avec force, ces attentats terroristes. Le matin du 11 janvier, le ministre des affaires étrangères marocain, M. Salaheddine Mezouar, était au quai d’Orsay puis à l’Élysée.

Alors, pourquoi le Maroc était-il absent de la Marche dans les rues de Paris ? L’opinion publique française a du mal à comprendre que les pays musulmans, dont le Maroc dirigé par le Commandeur des Croyants, descendant du Prophète, ont bloqué la diffusion du Charlie Hebdo de la résurrection, celui qui représente le prophète Mahomet à la Une, tout en condamnant avec force le terrorisme et tout acte de violence criminelle.

Si des musulmans (et ils sont peut-être plus nombreux que ce que l’on croit) peuvent considérer que la représentation du Prophète a existé dans le passé et est possible, le consensus de la plupart des pays musulmans n’est pas celui-ci aujourd’hui. Chaque pays construit à sa manière l’alchimie difficile entre les libertés et sa culture. Chaque pays a ses tabous et ses interdits et enfin chaque pays a ses lois.

 

La gauche française aurait-elle un problème avec le Maroc ?

Autre différend : il concerne plus une partie de la gauche française qui reproche d’une part des violations des droits de l’homme au Maroc et d’autre part le caractère monarchique du Royaume.

Sur les droits de l’homme, il se dit que la France aurait boycotté le Forum mondial des droits de l’Homme à Marrakech fin novembre (il est vrai qu’aucun ministre français ne s’y est rendu). Il faut être aveugle, ou de mauvaise foi, pour ne pas voir les nombreux progrès observés au Maroc ces quinze dernières années : réforme du code de la famille, régularisation de milliers de sans-papiers subsahariens, dispositifs de contrôle des prisons, transparence des scrutins électoraux, alternance politique, réforme en profondeur de la Constitution… Le discours du Roi du Maroc en ouverture du Forum mondial des droits de l’homme laisse aussi espérer une possible et prochaine abolition de la peine de mort, ce qui ferait du Maroc le premier pays arabo-musulman à renoncer définitivement à une justice qui peut tuer.

Certes, on constate encore au Maroc des arrestations arbitraires, des interdictions de réunions publiques, des journalistes intimidés voire emprisonnés : citons l’exemple de Rachid Nini, rédacteur en chef du quotidien Al Massae, quotidien arabophone le plus lu au Maroc, et qui fut condamné en 2011 à un an de prison ferme. Mais ces faits tiennent plus de réactions de forces conservatrices vieillissantes que d’un système qui, lui, se démocratise en profondeur. Il faut aussi compter sur le fait que le gouvernement en place, issu d’élections considérées comme transparentes, est constitué d’une coalition dirigée par un parti conservateur, islamiste modéré, le PJD (Parti de la Justice et du Développement).

Mais sur le fond (pensons aussi au développement de la classe moyenne, à l’émergence de femmes leaders qui impriment leur marque au pays et à une forte urbanisation de la population), le Maroc est clairement sur le chemin de la modernité.

Sur un plan plus politique, de nombreux intellectuels français n’acceptent pas le caractère monarchique du régime marocain, malgré la très forte popularité du Roi. La relation du peuple au Roi ne relève pas d’une simple allégeance. Le Roi a des devoirs et des obligations vis-à-vis de son peuple.

En français, le vocabulaire politique associe sauvent la Béîa – sans nuance aucune – à l’allégeance, concept juridique dont la signification ne peut être circonscrite que dans le contexte politico-historique dans lequel il est né à savoir l’Europe, et plus précisément la France. Les Européens ne voient pas cette « bilatéralité des « droits » et « devoirs » que renferme la notion de Béîa [Nous renvoyons à l’ouvrage « La Béîa, un pacte permanent entre le Roi et le peuple » de Bahija Simou (2011), directrice des archives royales du Maroc].

Bref, le Maroc est et restera une monarchie qui se démocratise.

 

Un contexte régional qui envenime les relations bilatérales

Selon un grand hebdomadaire marocain, le Maroc aurait décidé de tourner le dos à la France. Le Maroc aurait décidé de jouer désormais la carte Espagne – États-Unis contre son partenaire français, trop proche des Algériens.

Il est vrai que la France est proche de l’Algérie : au Mali, alors que le Maroc a apporté son appui politique et opérationnel dès le premier jour de l’opération Serval, la France semble tenir à une exclusivité franco-algérienne du traitement du dossier malien : le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, l’a avoué dans Jeune Afrique le 16 décembre. Or pourquoi la France se priverait-elle de l’appui marocain ?

La diplomatie française est courageuse mais on voit sur le dossier malien qu’elle ne trouve pas un point d’équilibre entre toutes les puissances régionales. La France doit avoir une vision méditerranéenne qui passe notamment par une politique inter-maghrébine subtile et équilibrée.

De même, dans l’affaire de Neuilly, les plaignants à l’origine de l’action judiciaire, condamnés pour escroquerie au Maroc, ne sont pas étrangers aux intérêts séparatistes sahraouis, intérêts soutenus par l’Algérie.

C’est à se demander si des réseaux agissent pour déstabiliser la relation franco-marocaine.

Nous ne croyons pas que le Maroc ait décidé de changer d’allié stratégique. L’heure est, pour toutes les puissances, à diversifier les partenariats et les alliances stratégiques dans un monde beaucoup plus complexe et ouvert. Ce qui rejoint l’abandon par la France, commencé sous Nicolas Sarkozy et développé avec François Hollande, de la Françafrique.

 

La France et le Maroc doivent se parler

Il est temps que les amis du Maroc en France et les amis de la France au Maroc se mobilisent pour tourner la page. Le Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a donné l’exemple le 29 novembre dernier, en marge du Forum mondial des droits de l’Homme à Marrakech (où aucun ministre français ne s’est rendu), en proposant à ses homologues marocains de venir signer à Paris des conventions de coopération judiciaire.

De même, l’agenda international rapproche la France et le Maroc : Paris accueillera la prochaine Conférence environnementale en décembre prochain et le président François Hollande en a fait la grande affaire de son quinquennat. Or le Maroc succédera à la France pour piloter les suites de la Conférence de Paris. Les chancelleries et les forces vives de nos deux pays doivent travailler ensemble pour assurer le succès de ce rendez-vous historique pour la planète.

Enfin, la lutte antiterroriste exige de nos dirigeants un dialogue constant. Doit-on rappeler que la France et le Maroc sont malheureusement les premiers pourvoyeurs d’apprentis « jihadistes » en Irak et en Syrie ?

Revenons aux fondamentaux : amitié sincère, partenariat privilégié, la relation exceptionnelle qui unit la France au Maroc est l’héritage d’une longue histoire, enrichie par une communauté binationale nombreuse dans chaque pays, nourrie d’un long dialogue culturel que consacrent les deux expositions sur le Maroc qu’a accueillies le Louvre et que prolonge jusqu’au 2 mars l’Institut du Monde Arabe (IMA).

Le président de la République lui-même, lors de l’inauguration de l’exposition sur « Le Maroc contemporain », à l’IMA, le 14 octobre 2014, l’avait déclaré : « Je veux maintenir des relations de confiance et dépasser toutes les difficultés qui peuvent parfois surgir, parce que nous avons besoin l’un de l’autre, le Maroc de la France et la France du Maroc. […] Je veux que nos deux pays non seulement demeurent des partenaires d’exception mais puissent encore davantage coopérer dans tous les domaines. »

La France et le Maroc doivent se parler. Le 2 mars prochain, l’exposition qui vient de se terminer au Louvre, « le Maroc médiéval », sera inaugurée à Rabat. Et si François Hollande se rendait à Rabat ? Ce serait là une excellente occasion d’acter avec le Maroc une réconciliation tant attendue et si salutaire.

La France et le Maroc partagent des valeurs communes. La France a besoin du Maroc et le Maroc de la France pour rayonner en Europe, en Afrique et en Méditerranée. Il y va de notre avenir commun.

Directeur de la publication

Un chemin marocain par Abdelmalek Alaoui

Abdelmalek Alaoui est l’auteur du livre « Un chemin marocain. 1999-2019 : Parcours d’un Royaume en transformation » (Ed. Descartes & Cie)   Les vingt dernières années, qui ont vu arriver à la tête…