Moyen-Orient
09H53 - samedi 19 décembre 2020

Noël à Jérusalem et Rabat. Ou de la reprise des relations diplomatiques entre Israël et le Maroc. L’édito de Michel Taube

 

Après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, le Maroc s’apprête à renouer des liens diplomatiques avec Israël, trop heureux de forger de nouvelles alliances stratégiques qui sont autant de débouchés économiques.

La différence entre le Maroc et les autres pays arabes concernés est que ses relations avec Israël n’ont jamais été interrompues. Tout juste ont-elles été suspendues et gelées pendant des décennies : seuls les Bureaux de liaison à Tel Aviv et à Rabat avaient été fermés en 2002 suite aux incidents sur l’Esplanade de la Mosquée El Aksa de Jérusalem.

Cette amitié est donc sur le point de reprendre son cours normal.

Tout porte à croire que la liste des pays musulmans qui se rapprocheront d’Israël s’allongera dans les prochains mois, la grande bascule devant être l’officialisation d’un rapprochement israélo-saoudien déjà bien engagé. Paradoxalement, les plus intransigeants ennemis de l’État hébreu sont les pays non arabes : l’Iran et la Turquie s’érigent en défenseurs invétérés du peuple palestinien. Mais personne n’est dupe : la cause palestinienne n’a jamais été qu’un prétexte, hier comme aujourd’hui. Si les Palestiniens n’ont pas d’État, alors qu’ils furent à au moins deux occasions très proches de l’obtenir sur la quasi-totalité des territoires occupés par Israël, c’est en raison du maximalisme de ses dirigeants qui a fini pas lasser jusqu’à leurs plus fervents supporters. La duplicité a donc ses limites : on ne peut éternellement louer officiellement le concept de « deux États pour deux peuples », et éduquer son peuple dans la haine et l’idée qu’une Palestine se construira sur les cendres de son voisin. Les 35 siècles de relations entre les Juifs et cette terre, tout comme le rapport de forces de plus en plus favorable à Israël, ont fait le reste.

C’est pourquoi nous le martelions déjà lors des Accords d’Abraham : le rapprochement d’Israël avec des pays arabes stratégiques est une chance pour le peuple palestinien. Si ses dirigeants ne le comprennent pas, espérons que ses citoyens (mais ont-ils droit à la parole ?) en saisiront l’opportunité historique.

Cette nouvelle donne régionale met aussi en lumière un phénomène clé : les populations n’ont pas forcément la haine d’Israël chevillée au corps, comme les y incitent souvent les manuels scolaires et l’éducation des enfants. Dans le Golfe persique, la surprise a été grande de voir les Émiriens accueillir à bras ouverts les touristes israéliens. Quant aux Israéliens, ils ont invité des Émiriens à allumer une bougie de « Hanoukka », la fête des Lumières, au Mur des Lamentations, un symbole extrêmement fort. Puis tout ce beau monde s’est mis à danser dans la joie et le bonheur, comme si aucun contentieux n’avait jamais existé.

De même, ces jours-ci, en France, deux représentants d’Israël et du Maroc, dont, côté marocain, Monsieur Saad Bendourou, chef de Mission adjoint, au nom de Son Excellence Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Sa Majesté le Roi du Maroc en France, ont allumé la huitième bougie de Hannouka, la fête des Lumières, et en quelques sortes le Noël des Juifs. La cérémonie s’est déroulée dans le magnifique Centre Européen du Judaïsme à Paris, à l’invitation de Joël Mergui, président du Consistoire central des communautés juives de Paris, lui-même né à Meknès au Maroc.

Ce nouveau rapprochement de pays qui n’ont en fait jamais été en guerre (l’Égypte est en paix froide avec Israël depuis 1979, et la Jordanie depuis 1994) n’est pas qu’une affaire de real politique, et d’intérêts bien réfléchis. Certes, le conflit entre frères ennemis fait rage non avec Israël mais entre Perses et Arabes, chiites contre sunnites, telle est la donne aujourd’hui. Les Arabes voient d’un très mauvais œil l’Ottoman Erdogan s’ériger en calife. Et plus que tout, ils s’inquiètent de l’impérialisme iranien, une théocratie des plus obscurantistes (il est vrai qu’elle n’est pas la seule dans la région !) qui n’a probablement pas renoncé à acquérir l’arme nucléaire, ce que la communauté internationale, Europe en tête, feint d’ignorer, intérêts économiques obligent.

Le Maroc, premier pays du monde à avoir reconnu l’indépendance des Etats-Unis au XVIIIème siècle – cela crée des liens indéfectibles -, a fait coup double. En effet, le Roi du Maroc a aussi transmis ses « sincères remerciements » au président américain Donald Trump pour s’être aligné sur la position de Rabat dans l’interminable conflit du Sahara. Nul doute que les Marocains ont pris leurs garanties auprès de la prochaine administration Biden. Sur ce dossier, la position américaine ne devrait varier d’aucun iota : n’en déplaise à l’Algérie qui soutient le Front Polisario, Joe Biden persistera à considérer comme marocaine cette ancienne colonie espagnole.

Revenons au Proche-Orient : le rapprochement du Maroc et d’Israël n’a rien de surprenant. C’est le contraire qui fut une anomalie à bien des égards : le Maroc est le seul pays musulman reconnaissant sa part de judaïté dans sa Constitution. Durant la Seconde Guerre mondiale, le Roi Mohammed V défendit sa communauté juive contre les lois antisémites du régime de Vichy avec une détermination qui lui valut une véritable vénération par les Juifs marocains. Aujourd’hui encore, et malgré la fermeture des Bureaux de liaison au début des années 2000, les Juifs sont des citoyens marocains à part entière.

Environ un million d’Israéliens sont d’origine marocaine (dont une dizaine de ministres du gouvernement Netanyahou). Sans la pandémie de Covid, la barre des 100.000 touristes israéliens aurait peut-être été franchie en 2020, un chiffre qui pourrait doubler avec ce rapprochement officiel. Le Maroc, tout comme les autres nouveaux alliés de Jérusalem, est aussi très friand de haute technologie israélienne, non seulement d’ordre militaire ou sécuritaire, mais aussi en matière d’agriculture, d’agronomie, de gestion de l’eau, un problème vital dans des contrées guettées par la détresse hydraulique pour cause de réchauffement climatique.

Au Maroc, la nouvelle Idylle a été beaucoup saluée même si elle n’est évidemment pas appréciée de tous, d’autant plus que si le royaume chérifien a survécu au « printemps arabe » et à la montée du fondamentalisme, ce dernier est de plus en plus prégnant dans toutes les couches de la société. Rappelons que le gouvernement et la majorité parlementaire sont aux mains du PJD, parti islamiste dit modéré, depuis 2011 et le Printemps arabe. 

Un autre aspect de ce rapprochement concerne la diaspora marocaine en Europe, et tout particulièrement en France (selon la dernière étude de l’INSEE de 2008, 1,3 million de Marocains vivraient dans l’hexagone). Il faut espérer que la diplomatie audacieuse du Roi du Maroc, aussi Commandeur des Croyants, contribuera à réduire le ressentiment des musulmans qui trop souvent mélangent antisionisme et antisémitisme.

Au final, en renouant avec Israël, le Maroc, où le Roi incarne un Islam modéré car contextualisé et moderne, joue un rôle stratégique dans la construction de la paix au Proche-Orient, condition de la stabilité internationale.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de la publication

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