Edito
10H30 - lundi 11 septembre 2023

Tremblement de terre : pourquoi le Maroc fait appel à l’Espagne et non à la France ? L’édito de Michel Taube

 

La rédaction d’Opinion Internationale adresse toutes ses condoléances au peuple et aux autorités marocaines qui font face à un terrible tremblement de terre dans le Haut-Atlas.

On parle déjà du tremblement de terre du siècle au Maghreb.

Le séisme d’une magnitude 7 survenu dans la nuit de vendredi à samedi au Maroc a fait plus de 2000 morts, dont 15 Français (combien de binationaux ?), et de milliers de blessés, selon un dernier bilan du ministère de l’intérieur marocain.

Cette tragédie pourrait être l’occasion de renouer le dialogue et la coopération entre le Maroc et la France, presque gelée, pour ne pas dire refroidie, depuis plusieurs années… Rabat n’a plus envoyé à Paris d’ambassadeur depuis le début d’année. Et l’on commence à regretter fortement les années où Chakib Benmoussa, devenu depuis ministre de l’éducation, du Préscolaire et des Sports du Maroc, était en poste à Paris.

Pas si simple…

 

 L’urgence d’un soutien international…

L’ampleur et la topographie du séisme rendent inéluctable l’appel à l’aide internationale, dans l’intérêt des populations meurtries, le plus rapidement possible sera le mieux.

En effet, les médias concentrent leur attention sur Marrakech, connue pour son tourisme et des lieux de villégiature magiques (le jardin Majorelle et la villa Dar Es Saada d’Yves Saint Laurent, La Mamounia). Mais sur les 2000 morts recensés, « seules » une vingtaine de victimes vivaient à Marrakech hier soir.

A Marrakech, parmi les quartiers touchés, on compte la belle médina, l’ancien quartier juif. Saluons au passage les efforts extraordinaires déployés par le roi et les autorités marocaines pour préserver et entretenir les lieux de mémoire du judaïsme (synagogues, cimetières, quartiers d’habitation…).

Mais les victimes du séisme, on les trouve surtout dans les montagnes.

L’épicentre se situe dans la région du Haut Atlas : plus de la moitié des morts ont été recensées dans la seule province d’Al Haouz et dans celle de Taroudant, deux zones rurales montagneuses au cœur du Haut Atlas, très enclavées.

Ce qui fait craindre un bilan beaucoup plus lourd, c’est que la terre a tremblé, la terre s’est soulevée littéralement selon de nombreux témoignages, à 23h30, à une heure donc où les familles étaient couchées, ce qui n’a donc laissé aucune chance à bon nombre d’habitants.

Notamment il est fort à parier que les routes d’accès à des centaines de villages isolés, des éboulements innombrables dans des régions rocailleuses et montagneuses, les rendent impraticables. Des moyens de déblaiement seront donc nécessaires.

Des flottes d’hélicoptères internationales aideraient à acheminer des vivres dans ces villages isolés et coupés du monde.

Par exemple, des milliers de Français sont sans nouvelles de leurs familles qui habitent dans ces villages reculés et coupés du monde. Free, Orange et Sosh ont annoncé la gratuité des appels vers le Maroc. L’ambassade de France au Maroc a ouvert un numéro d’appel dédié.

Peut-être que des solutions satellitaires permettraient d’appeler les familles dont les réseaux téléphoniques terrestres ou hertziens ont été certainement endommagés.

Lors du terrible séisme qui a causé 50.000 morts en Turquie et en Syrie dans la nuit du 5 au 6 février dernier, Elon Musk avait proposé à la Turquie d’activer ses satellites Starlink pour offrir une connexion internet par satellite à la Turquie. Erdogan avait refusé !

Regis Hector

Pourquoi le Maroc n’a-t-il toujours pas fait appel à l’aide de la France ?

En cas de catastrophe naturelle, la décision de faire appel à l’aide internationale est toujours très politique. Les autorités d’un pays ne veulent pas faire penser à leur opinion publique qu’ils perdraient la face en termes de souveraineté, qu’ils ne seraient pas à la hauteur des défis à relever en cas de recours trop précipité à l’aide extérieure.

Généralement les autorités nationales préfèrent dans un premier temps évaluer les besoins, déployer leurs propres « solutions » pour montrer qu’elles sont au rendez-vous.

Le roi Mohammed VI commande la mobilisation générale depuis les premières heures du drame.

Ainsi dès le lendemain matin du séisme, par un communiqué royal, l’armée et la police marocaines ont été mobilisés, des campagnes massives de don de sang ont été organisées (l’équipe de foot nationale du Maroc, demi-finaliste de la Coupe du monde au Qatar contre la France, a donné l’exemple).

Le roi a ensuite réuni hier après-midi son cabinet royal pour organiser les secours marocains et mobiliser l’Etat.

Mais, il faut avoir l’honnêteté de le souligner : il y a comme un orgueil marocain qui est déterminant dans la politique étrangère du Royaume et notamment dans la relation entre nos deux pays.

Les autorités marocaines privilégieront certainement les soutiens de leurs partenaires les plus proches et malheureusement, – on peut le regretter comme nous allons le voir dans un instant – la France, nous ne sommes pas les mieux placés.

Ainsi, depuis hier déjà, l’Espagne a pu envoyer son Samu, 4 chiens renifleurs et 56 secouristes après avoir reçu une demande d’aide officielle de Rabat.

Donc l’aide internationale a déjà commencé, venant aussi des Emirats Arabes Unis, du Qatar et du Royaume-Uni, mais sous contrôle des autorités marocaines qui tiennent à leur souveraineté.

Pourquoi pas la France ?

Emmanuel Macron a bien dit, en clôture du G20 en Inde, que tout est prêt pour que la France apporte son soutien.

Le problème, c’est que Macron et le Maroc, c’est une histoire compliquée. Une sorte de « je t’aime (un peu) moi non plus ».

Depuis son arrivée à l’Élysée, dans les pas de son prédécesseur François Hollande d’ailleurs, Emmanuel Macron a fait clairement le choix de l’Algérie.

On sait que la rivalité entre l’Algérie et le Maroc est à couteaux tirés et la France donne ce désagréable sentiment d’avoir choisi son camp.

Au niveau autant des peuples et des populations marocains et algériens, les relations sont bonnes. Beaucoup de familles sont d’ailleurs à cheval entre les deux pays mais au niveau des autorités, là, c’est quasiment une guéguerre permanente entre les deux souverainetés.

 

Sahara marocain

Le nœud du problème porte sur la souveraineté sur le Sahara occidental, revendiqué très clairement par le Maroc, comme étant le Sahara marocain. L’Algérie, elle, soutient le Polisario qui est cette force politique qui prétend à l’indépendance du Sahara par rapport à l’emprise marocaine. Depuis qu’il a accédé au trône en juillet 1999, Mohammed VI, a fortement développé la régionalisation et le développement du Sahara marocain considéré comme étant une des provinces du royaume du Maroc.

Au sein de l’Union africaine, le Maroc et l’Algérie sont également en grande rivalité. Le Maroc en avait été exclue en 1984 et elle a été enfin réintégrée en 2017.

Or depuis quelques années, le Maroc a engrangé quelques soutiens politiques majeurs : les États-Unis, Israël, et surtout l’Espagne, pays voisins du Maroc, ont clairement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara et noué une alliance très forte avec le royaume chérifien.

Le tout dans les pas des Accords d’Abraham qui visent à réconcilier Orient et Occident autour du rapprochement entre Israël et le monde arabe.

La France, elle, a voulu rester comme en retrait, dans une sorte de en même temps macronien qui fait que la France n’a pas pleinement reconnu le Sahara marocain, ce qui a certainement envenimé les relations avec Rabat.

 

Il y a aussi les relations interpersonnelles entre chefs d’Etat qu’Emmanuel Macron a, dirons-nous, sélectives…

La dernière visite d’Emmanuel Macron au Maroc remonte à 2019, pour l’inauguration de la ligne LGV qui relie Tanger à Rabat (la SNCF en est partenaire industriel), mais depuis à plusieurs reprises, la visite du président français au Maroc a été annoncé, puis repoussée notamment en début de l’année 2023.

Si Emmanuel Macron se fait rare au Maroc, en Algérie, il s’y est rendu allègrement : 3 jours pleins de visite officielle en août 2022. Sans compte Elisabeth Borne et des dizaines de ministres.

 

L’erreur stratégique de la France

Stratégiquement, le président français a eu bien tort de ne pas jouer la carte du Maroc.

Pour 3 raisons majeures.

Tout d’abord, plus de 1,3 millions de Marocains vivent en France mais les Français d’origine marocaine à 2 ou 3 générations sont certainement bien plus nombreux.

Emmanuel Macron essaie sans cesse de flatter son électorat d’origine algérienne (qui vote massivement Mélenchon) mais il a démographiquement tort de ne pas miser autant sur les Marocains et les Tunisiens.

D’ailleurs, pour revenir au séisme, les citoyens franco-marocains sont mobilisés depuis les premières heures du drame. Des cagnottes de solidarité récoltent déjà des centaines de milliers d’euros.

Les collectivités locales françaises se mobilisent : il faut savoir que la coopération décentralisée avec les régions, les provinces et les villes du Maroc fonctionne très bien.

 

Ensuite, deuxième raison, il y a une question islamiste majeure dont Emmanuel Macron ne tient pas compte.

Pourquoi avoir choisi de jouer à fond la carte de l’Algérie ?

En septembre 2021 au Maroc, aux élections législatives et municipales, les islamistes marocains ont essuyé une cuisante défaite électorale. Marrakech dont on parle avec ce séisme, mais toutes les grandes villes, ont été gagnés par des modernistes. Le gouvernement est dirigé par des libéraux modernistes et le chef du gouvernement est le très compétent Aziz Akhannouch.

La France aurait dû s’engouffrer dans cette opportunité historique pour se rapprocher de Rabat et consolider le camp des modernistes qui essaient, au Maghreb comme dans tout le monde musulman, de résister aux islamistes.

Or que fait Macron ? Il mise sur l’Algérie qui n’arrête pas d’exiger de la France une repentance impossible, qui tarde à accepter le retour sur son territoire des Algériens frappés d’OQTF, mais où surtout l’islamisation de la société est menée à marche forcée. Les islamistes y sont donnés favoris des présidentielles l’année prochaine. Et en Algérie on n’arrête pas de dénigrer la France, de relayer les accusations de racisme de la police, de l’Etat….

 

Troisième raison : le Maroc est un partenaire nettement plus fiable que l’Algérie.

Dans la lutte anti-terroriste, les services français et marocains coopèrent depuis des années.

Les imams marocains sont encadrés de près par les autorités (le roi est Commandeur des croyants et adepte d’un islam contextualisé).

En France, les imams originaires du Maroc adhèrent généralement à cet Islam modéré qui les rend plus ouverts à l’adaptation de la pratique religieuse à la vie dans la modernité.

Au final, ce n’est pas parce que le Maroc est une monarchie quasiment de droit divin que les Français, la gauche généralement, devraient être opposés au Maroc et choisir un tropisme pro-algérien comme c’est le cas dans de nombreux médias français.

On se souvient que sous la présidence de François Hollande, les relations s’étaient déjà très fortement tendues.

La droite républicaine, elle, en France, est perçue comme pro-marocaine.

En attendant que les politiques se rapprochent, plusieurs organisations caritatives françaises ont lancé un appel à la générosité auprès du grand public. Parmi elles, le Secours populaire français, la Fondation de France, la Croix-Rouge ou l’Unicef.

Des artistes comme Jamel Debbouze ou Gad Elmaleh annoncent un concert de solidarité en lien avec la Croix rouge.

Et nos pensées vont évidemment aux familles victimes de la colère de la terre mère…

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication