Edito
11H43 - vendredi 26 septembre 2014

Edito : la loi antiterroriste méritait mieux qu’une procédure accélérée

 

La mort d’Hervé Gourdel suscite en nous effroi et épouvante. Nous sommes pris de vertige devant un tel abîme d’inhumanité et de violence. Cette « logique de la terreur » est à n’en pas douter redoutablement efficace. Pourtant elle le devient incommensurablement plus quand elle parvient à nous faire perdre de vue les fondements sur lesquels nous vivons ensemble et sur lesquels notre solidarité s’édifie. C’est en réussissant à paniquer les gouvernants, à leur imposer de réagir dans l’urgence et à faire vaciller les principes de l’Etat de droit qu’elle triomphe véritablement. La semaine dernière, sans que finalement grand monde n’y prête attention, une nouvelle loi antiterroriste a été votée par le Parlement selon la procédure accélérée – sans la traditionnelle navette parlementaire – et avec le soutien de tous les bords politiques, à l’exception des écologistes.

AssembléeLe peu de débats et d’écho médiatique que son passage a suscités révèlent à quel point notre inquiétude et notre peur devant les récentes évolutions en Irak et en Syrie nous anesthésient et érodent notre sens critique. Non pas qu’il soit illégitime de se demander si une nouvelle loi était nécessaire, mais ce qui heurte le plus est bien plutôt cette quasi-absence de débat et le choix de la procédure accélérée.

S’il y a eu un embryon de discussion, elle a souvent été caricaturale. D’un côté, les rares hostilités exprimées contre la loi ont été taxées d’être « de principe » et de relever de l’idéologie ou de la naïveté, voire de la complaisance envers les terroristes. De l’autre, la loi fut qualifiée de liberticide et ne procéder que d’une peur totalement irrationnelle, vouée à nous emmener vers un Etat policier.

Pourtant, au-delà de ces positions simplistes, la nécessité et la portée d’une nouvelle loi méritaient débat. Il s’agit ni de s’ancrer dans des positions idéologiques, ni de nier la réalité de la menace terroriste. Mais la complexité et l’ampleur des conséquences d’une telle législation ne commandaient-elles pas un temps de réflexion plus long et des conditions d’un débat plus serein ?

La menace terroriste est réelle. Des individus français, 900 identifiés – 3000 non identifiés selon certaines estimations – sont partis faire le « Jihad » et sont susceptibles de rentrer en France pour commettre des attentats meurtriers. Le danger est d’autant plus grand que le mode opératoire n’est plus celui d’un groupe ou d’une cellule organisée mais le fait d’individus isolés difficilement repérables.

L’arsenal juridique existant n’était certes peut-être pas suffisant mais la nouvelle loi introduit la qualification « d’entreprise terroriste individuelle » qui s’accompagne de mesures préventives qui sont en contradiction flagrante avec le principe de la présomption d’innocence, assise même du droit pénal et l’un des fondements de notre Etat de droit. Le respect de la présomption d’innocence exige qu’il y ait un commencement d’exécution avant que l’on ne puisse poursuivre un individu. 

Il s’agit là d’un un exemple nouveau de possibles poursuites et de condamnations lourdes sur des actes « préparatoires ». La justice s’expose à condamner sur des faits qui sont en amont de l’infraction et dont on ne sait pas s’ils conduiront à commettre cette infraction. La nouvelle loi n’est que le prolongement du modèle antiterroriste français qui s’est doté d’outils juridiques pour neutraliser les terroristes et leurs réseaux sur la base de l’intention de commettre un acte et non sur une constatation a posteriori.

Depuis 1996 (article 421-2-1 du Code pénal), la qualification d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste élargit déjà les possibilités de la justice, puisqu’elle permet l’arrestation de présumés terroristes avant que des faits soient commis. Pour ces détracteurs, cette justice antiterroriste est une justice d’exception, avec des procédures dérogatoires au droit commun. L’efficacité d’une telle loi est difficile à évaluer. Par principe, nous ne connaissons pas, ou mal, le nombre d’attentats évités et nous ne savons pas non plus quantifier les erreurs judiciaires. Il en sera probablement de même avec la loi fraîchement votée.

Certes, la liberté ne vaut rien si nous ne pouvons en user et nous ne pouvons pas ignorer la menace que représentent les « jihadistes » purs et durs partis en Syrie ou en Iraq. Pour ceux-ci, la loi suffisait peut-être à offrir les outils de leur interpellation.

Les politiques ont peut-être cédé au climat dont les titres de la presse donnent le ton – ils vont du « Le Jihad est à nos portes » à « L’invasion qu’on cache » en passant par « Le spectre islamiste ».

A nouveau l’Etat de droit se trouve un peu plus fragilisé…

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor