Talents citoyens
13H07 - jeudi 16 juin 2011

« La microfinance est en train de changer le monde des plus pauvres. » Rencontre avec Arnaud Ventura, vice-président du groupe PlaNet Finance.

 

OI: Arnaud Ventura, PlaNet Finance c’est vous, vous et Jacques Attali. Et aujourd’hui tout un groupe présent dans le monde entier. Comment a commencé l’histoire ?

AV: Lorsque j’étais jeune étudiant, je suis parti aux États-Unis, j’ai travaillé dans le milieu d’internet. A mon retour en France, en 1996, j’ai fait partie de l’équipe qui a lancé Club Internet. J’ai ressenti l’envie de partir à l’étranger, de découvrir le monde. Je suis allé en Thaïlande, j’ai réalisé ce qu’était la pauvreté. J’ai rencontré des membres d’ONG qui faisaient un travail extraordinaire pour soutenir les personnes défavorisées. La problématique a commencé à germer : pourquoi ne pas utiliser les nouvelles technologies pour aider les ONG, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la santé, par l’accès à la microfinance et avec les nouvelles technologies.

Après un an chez BNP Paribas en Argentine en 1997, j’ai participé à un Forum Internet présidé par Jacques Attali et à la fin de mon email, je lui ai écrit que j’avais présenté mon projet dans ce domaine. A ma grande surprise, il m’a répondu dans les 24h en me disant qu’il y réfléchissait lui aussi. On s’est rencontrés à Paris en Décembre 1997, j’ai rédigé un business plan et nous avons commencé à travailler ensemble. Nous avons envoyé le projet à Mohamed Yunus, qui quelques mois plus tard était en Europe et décidait avec d’autres parrains de soutenir notre initiative.

Je suis parti au Kenya six mois pour tester nos idées sur le terrain car la microfinance y était déjà pas mal développée. Je suis revenu en France en septembre 1998 car trois mécènes, Michel David-Weill, Benjamin de Rothschild et la banque Dexia avaient accepté de donner 200 000 € chacun pour lancer PlaNet Finance.

A l’époque, la microfinance c’était sept millions de clients servis par un secteur non lucratif. Nous y avons vu un modèle économique qui pourrait déboucher sur du social business. Ceci dit, malgré nos ambitions, je pensais que le social business, et la microfinance plus particulièrement, se développeraient dans les cinquante prochaines années. En à peine plus de dix ans, les résultats sont bien au-delà de nos espérances avec près de 200 millions de clients dans la microfinance.

OI: Aujourd’hui, 14 ans après, comment se situe PlaNet Finance dans la galaxie des 10.000 acteurs de la microfinance ?

AV: Aujourd’hui, nous nous sommes beaucoup développés, on a transformé la petite ONG de l’époque en un groupe avec à sa tête une Fondation et une ONG. 6 entreprises filiales développent un modèle et une activité spécifiques dans la microfinance : de l’investissement au rating, de l’assurance au capital risque, nous couvrons tous les métiers du secteur, ce qui nous rend assez unique. Nous faisons aussi du conseil, de l’appui technique, de la gestion de fonds. Nous ne contentons donc pas de prêter de l’argent à des personnes en difficultés qui portent des projets. Actuellement, le groupe est composé d’un peu plus de 1.300 personnes dans plus de 60 pays.

OI: Pour la filiale MicroCred, combien de bénéficiaires finaux avez-vous ?

AV: 100.000 personnes en Afrique et en Chine, au Nigéria, au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, à Madagascar, et deux institutions en Chine situées au Sichuan.

OI: Existe t-il des exemples de « success story » liés à la microfinance ?

AV: Il y a beaucoup de « success story » et c’est sur ces histoires que s’est faite la renommée de la microfinance. Une des premières histoires qui m’a beaucoup ému est celle d’une jeune Béninoise qui avait été financée en 2001 pour acheter une machine à coudre. Elle avait commencé à faire de la couture pour ses voisines. 4 ou 5 ans après son premier crédit, elle venait d’obtenir un gros crédit pour acheter un immeuble de quatre étages à Cotonou. Elle a transformé le bâtiment en dispensaire pour soigner les jeunes femmes des rues et les prostituées puis au dernier étage elle avait installé un atelier de couture d’une quinzaine de machines à coudre. Une fois soignées, les jeunes femmes recevaient l’apprentissage du métier de couturière. C’est à cause de ces innombrables histoires que l’on peut dire que la microfinance, ça marche !

OI: On dit toujours que les femmes sont les principales bénéficiaires du microcrédit ? Est-ce le cas chez vous ?

AV: Au niveau de MicroCred, 50% de nos clients sont des hommes, 50% des femmes, mais PlaNet Finance soutient plus de 400 institutions de microfinance dont la majorité des clients sont des femmes.

OI: Chez MicroCred, quels sont les taux d’échecs dans les processus de remboursement ?

AV: Chez MicroCred Nnous avons actuellement 1,1% de personnes qui remboursent en retard de 30 jours. Cela montre combien le modèle est solide.

OI: Beaucoup considèrent que le capitalisme mondial souffre d’une crise du crédit, d’un sur-endettement des acteurs. Le microcrédit n’y contribue-t-il pas ?

AV: Le micro-crédit consiste à mettre dans le système des personnes qui en sont exclues. Les clients en questions sont déjà endettés le plus souvent dans le secteur informel auprès d’usuriers car ils ont des besoins pour vivre et développer leurs entreprises avec des prêts souvent usuriers.

MicroCred  a 100.000 clients mais ils n’ont pas tous des crédits, 40.000 épargnent empruntent chez nous, l’essentiel épargne. Nous pensons qu’il est plus important d’épargner que de s’endetter et nous développons des produits d’épargne pour nos clients.

OI: A l’instar des business angels, réunissez vous des investisseurs pour doter vos clients de la microfinance de fonds propres plus importants ?

AV: Nous le faisons mais pas dans les pays pauvres où les entreprises créées par nos clients sont la plupart du temps non immatriculées et sans capital social. Mais nous avons crée à PlaNet Finance, le fonds FinanCités qui investit en France principalement dans les jeunes entrepreneurs de quartiers défavorisés.

OI: La microfinance ne vit-elle une crise de légitimité ? On a vu au Forum « Convergences 2015 » les acteurs du social business lancer l’Appel de Paris aux chefs d’Etat du G20 pour une forme de reconnaissance de leur modèle et de leur activité. De même, l’éviction de Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, de la Grameen Bank au Bangladesh est–elle le résultat d’un coup d’état du gouvernement du Bangladesh ou le signe d’une crise plus grave ?

AV: Aujourd’hui, le monde souffre des inégalités et celles-ci sont de plus en plus mal vécues. Les gens qui ont les moyens ne donnent pas aux autres l’accès à ce développement. Les inégalités sont dues en grande partie à l’interdiction qu’ont 4 milliards de personnes d’accéder à ce que vous et moi qui avons été privilégiés avons eu : l’éducation, la santé et puis plus tard des services financiers qui nous ont permis de nous développer. Or la microfinance est un des moyens de régler le problème de l’accès de tous à des outils financiers qui conditionnent le développement. La microfinance a décollé grâce à des acteurs emblématiques comme Muhammad Yunus qui a apporté une contribution majeure mais nous sommes arrivés à un point tel de développement du secteur que, avec ou sans lui, le modèle a prouvé désormais qu’il pouvait servir des millions de personnes.

OI: A la veille du G8, PlaNet Finance a t-elle des revendications à faire passer?

AV: Pour PlaNet Finance, il est important que le G8 et le G20 se positionnent sur la microfinance. Mais selon moi, et cela n’engage pas PlaNet Finance, la microfinance a moins besoin de grands discours que d’une meilleure régulation de son marché et de changements dans les normes légales des pays où elle se développe. La crise du microcrédit en Inde est selon moi liée à un problème de régulation. Dans beaucoup de pays, on craint l’amateurisme des institutions de microfinance et donc on leur interdit de capter de l’épargne. Du coup, on les force à endetter leurs clients à des taux d’intérêts plus élevés. On les accuse de prêter cher alors qu’on les a mis dans cette situation. Malheureusement, dans de nombreux pays, la régulation imposée par les Etats restreint – plus qu’elle ne facilite, le développement de la microfinance.

OI: Est ce que des organisations comme la Banque Mondiale ou le FMI contribuent au développement de la microfinance.

AV: La Banque Mondiale, plus que le FMI, contribue au développement de la microfinance.

OI: Au final, la microfinance contribue-t-elle à la réalisation des Objectifs du Millénaire de réduction de la pauvreté, d’accès des plus démunis à la santé et à l’éducation ?

AV: Toutes les études montrent, notamment celles réalisées par Esther Duflo et le Poverty Lab, que la microfinance a un impact à long terme sur la pauvreté. L’accès à l’éducation, l’accès à un prêt, cette notion d’accès aux fondamentaux est la clé, selon moi, de la lutte contre la pauvreté.

OI: Comment voyez-vous le monde dans 10 ou 20 ans ?

AV: Je suis convaincu que les 4 milliards d’exclus vont être de plus en plus servis par les produits de la microfinance. Cela ne changera pas leur vie immédiatement mais l’accès au secteur financier, comme l’accès à l’éducation et à la santé, permet d’améliorer la vie d’un foyer, d’une famille et de ses enfants. Au dela de la microfinance, il est fondamental pour réduire les inégalités de donner des opportunités à ceux qui en sont exlus. Certains géants de la microfinance, comme BRAC et la Grameen au Bangladesh, développent des actions éducatives et de santé, gèrent des écoles et sont devenus des acteurs globaux du développement. J’espère aussi que les grandes institutions financières comme BNP Paribas ou des multinationales comme Danone, au-delà de leurs engagements sociétaux, recréeront l’ensemble de leur métier à l’aune d’exigences de responsabilité et de partage comme a su le faire la microfinance.

Propos recueillis par Stéphanie Petit et Michel Taube

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