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11H50 - mardi 24 juin 2014

Conjuguer patriotisme et nationalisme dans un pays indépendant et souverain

 

Cette semaine, Opinion Internationale destine sa rubrique « A la Une » sur la Centrafrique au passage au peigne fin des grands maux qui gangrènent la société centrafricaine empêchant ainsi la marche vers la stabilité et le développement. Mais s’il est essentiel d’identifier les maux et de faire un diagnostic, il est tout aussi primordial de proposer des réponses, d’esquisser des solutions, pour que le nouveau Centrafricain qui naîtra des cendres de cette vieille Centrafrique puisse être revêtu des tous les attributs lui permettant de remplir sa noble mission en tant que garant et dépositaire de l’évolution de son pays.

Cette série aborde ainsi des thèmes allant de « identité nationale et citoyenneté » à « la préparation de la nouvelle élite centrafricaine » en passant par « le leader et sa vision » et « la gestion du pouvoir ». Aujourd’hui « patriotisme, nationalisme et souveraineté » : 

 


HollandePanza

La présidente de transition Catherine Samba-Panza et le président français, François Hollande à l’Elysée, avril 2014 © Laure Vandeninde / Allpix Press

Je suis toujours aussi surprise et remarquablement éblouie lorsque je constate au travers d’actions, films, discours et faits, l’amour qu’ont les Américains vis-à-vis de leur patrie, leur Nation. Certains appellent cela du patriotisme et d’autre du chauvinisme. Etats-Unis d’abord et le reste du monde après. De nos jours, ce sentiment est de plus en plus développé dans les Etats émergeants et les pays africains qui tentent de se défaire du joug de leurs anciennes colonies.

Hier, au sortir de la colonisation, les pays devenus indépendants se targuaient de cette liberté nouvellement acquise et développaient au sein de leur population ce sentiment nationaliste favorisé et encouragé par l’un des deux grands blocs de jadis. Ceux qui ont porté et légué cet état d’esprit sont des hommes qui ont espéré, cru, osé, foncé, posé des actes concrets pour leur Patrie et figurent aujourd’hui positivement dans le livre d’histoire de leur Nation. Nous ne pouvons oublier Patrice Emery Lumumba, Kwame Nkrumah, Barthélémy Boganda, Sékou Touré, Nelson Mandela, ces héros de leur temps qui nous ont apporté ce que nous possédons aujourd’hui, nos Etats. Qui est là pour les succéder et porter leur projet dans cette Afrique malade qui mène sans cesse ce combat pour dessiner clairement le trait de ce visage, héritage de tous ces précurseurs ? Aujourd’hui, la question se pose plus que jamais lorsque l’on sait que conjuguer patriotisme et nationalisme dans un pays souverain entraîne forcément un bien-être au sein des populations, une stabilité et un essor économique certain, permettant ainsi de figurer sans être avalé dans cette marche vers la mondialisation. Entre indépendance, patriotisme et nationalisme, quel juste milieu pour permettre le développement et remettre la population au centre des débats ? En République Centrafricaine, comment cela peut-il être juxtaposé ?

Le patriotisme, selon le Larousse, est l’attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir. Le nationalisme est quant à lui la théorie politique qui affirme la prédominance de l’intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ou par rapport aux autres nations de la communauté internationale.

Afin de mieux saisir la portée de cet écrit, nous nous devons d’avoir la même compréhension du concept d’état indépendant et souverain.

Selon Équipe Perspective Monde : la souveraineté est le pouvoir suprême reconnu à l’État de faire ses lois et de les mettre en pratique. La souveraineté d’un État implique l’exclusivité de ses compétences législatives, exécutives et judiciaires. Concept qui signifie aussi État indépendant. Un État souverain s’oppose ainsi à une colonie qui n’a pas le contrôle exclusif de son territoire. La décolonisation qui a marqué les années 1960 a donné lieu à la création d’États souverains.

La souveraineté peut appartenir au peuple ou à un monarque. Le plus souvent, la souveraineté est assumée par des représentants ou titulaires du pouvoir politique.

La souveraineté d’un État ne doit pas être confondue avec l’autarcie économique ou l’isolement diplomatique. Un État souverain peut conclure des ententes, des traités et être inséré dans des ensembles plus vastes. Il garde cependant sa souveraineté en autant qu’il a le pouvoir suprême de s’en détacher ou s’en dissocier librement en acceptant évidemment les conséquences économiques ou financières de cette rupture.

Dans la pratique, la souveraineté des États est érodée par les processus de mondialisation économique, culturelle et politique. La libre circulation des individus, des capitaux et des idées oblige aujourd’hui les États à tenir compte des contextes régionaux et internationaux dans lesquels ils sont insérés.

Où en sommes-nous donc aujourd’hui en République Centrafricaine et quelle dose de patriotisme et de nationalisme à mixer dans cette potion que nous tentons depuis plus de cinquante ans de concocter, la souveraineté nationale. Nous nous tromperons surement si nous n’allions à cela un changement radical de mentalité. Je m’explique ! Les Nelson Mandela, Barthélémy Boganda, Patrice Lumumba ne sont plus et leur esprit également n’est plus ! Mais cela ne sous-entend pas que plus jamais ne surgira de nos pays, des hommes et des femmes dotés de cette grandeur d’âme.

Le patriotisme selon Larousse est l’attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir. Qu’entendons-nous ?

Les Américains voient grand, rêvent grand, font grand et existent en grand. L’Américain fait la promotion de son concitoyen américain, ils vendent leur « image ». Quand ils sortent des Etats-Unis, c’est toute l’Amérique qui se déplacent avec eux, quels qu’ils soient, où qu’ils soient. Quand la Nation est attaquée, c’est tous les Américains qui se lèvent en bloc pour combattre l’ennemi. Vous me direz que le fait d’être un pays à la dimension d’un continent explique cela, mais qu’en n’est-il de ce petit pays le Rwanda, qui pense grand, parle grand, fait grand et compte aujourd’hui parmi les grands de ce monde. Le Rwandais fait la promotion de son frère rwandais à l’extérieur du Rwanda. Le Rwanda s’est imposé comme certains pays anglophones ! L’Afrique tout entière doit s’imposer, donner le ton et une direction pour le bien des Africains.

Qu’en est-il de la République Centrafricaine ? Un seul homme, bien qu’il soit controversé et à juste titre a vu grand pour sa Nation et se déplaçait avec la RCA lorsqu’il quittait le territoire national centrafricain. Il s’agissait du président Jean-Bedel Bokassa ! On disait de lui qu’il avait la folie des grandeurs ! Il voyait grand pour la RCA, pensait grand et faisait grand. Son slogan était « défendons le drapeau de la République Centrafricaine ». Son erreur, il n’a pas su ce qu’était la gestion du pouvoir et il est devenu mégalomane !

Aujourd’hui, la RCA ne s’exporte pas, c’est le rêve particulier qui a la primeur, l’intérêt personnel qui est vendu à l’extérieur du pays. Le Centrafricain ne sait pas faire la promotion de son concitoyen. Quand un Centrafricain voit grand pour sa maison, sa famille, son quartier, son entreprise, son ministère, son pouvoir, et pour l’intérêt de l’autre, il est stoppé net par son compatriote qui mettra tout en œuvre pour anéantir ses ambitions, aidé et récompensé par « l’autre » qui utilise cette faiblesse, diviser pour mieux régner. 

En Centrafrique, par exemple, lorsque quelqu’un achète une voiture, son concitoyen dira qu’il a volé l’argent afin d’effectuer cet achat. Ce sera sa première pensée. Au Cameroun par contre, lorsqu’un Camerounais s’achètera une voiture, son concitoyen fera tout pour acheter une plus belle voiture ! Voilà là toute la différence.

Le Centrafricain ne protège pas sa Nation contre l’extérieur, ne la défend pas. Il en a une répulsion, une honte et préfèrera s’agripper à ce qui peut le rendre grand, tel un vécu, un nom, un titre, une famille…Le Centrafricain n’est pas en mesure de reconnaître la valeur de son frère centrafricain, son jugement, son analyse. Il préfèrera qu’un non Centrafricain puisse en être l’auteur et pouvoir le féliciter, l’encourager. Qui d’autre que le Centrafricain doit construire la RCA pour être en mesure de se bomber la poitrine à l’extérieur ? Qui d’autre que le Centrafricain peut exporter la culture centrafricaine ? Qui d’autre que le Centrafricain pour faire la publicité du Centrafricain ?

Le Centrafricain a du mal à traduire ses dires, son enthousiasme en actions concrètes, engagements … Le Centrafricain aime le « je », « moi », « mon » et doit apprendra à conjuguer à la première personne du pluriel, « nous » « notre ». Le chemin est long mais il n’est pas impossible de le parcourir, nous pouvons y arriver si nous avons la ferme volonté d’exister, de figurer et de demeurer. Changeons de mentalité. Combattons ce mauvais esprit qui nous divise, ralentit notre émergence et instruisons les générations futures en leur montrant le bon exemple. Tout n’est pas perdu, nous pouvons renaître. Reconnaissons ce qui ne fonctionne pas et changeons !

Pour ce qui est du nationalisme qui est quant à lui la théorie politique qui affirme la prédominance de l’intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ou par rapport aux autres nations de la communauté internationale, cet aspect a été abordé en longueur dans l’article précédent au travers de l’appropriation des concepts d’identité nationale et de citoyenneté.

La souveraineté est le pouvoir suprême reconnu à l’État de faire ses lois et de les mettre en pratique. La souveraineté d’un État implique l’exclusivité de ses compétences législatives, exécutives et judiciaires. Concept qui signifie aussi État indépendant.

Nous pouvons affirmer que de nom, nous sommes un Etat indépendant et donc souverain depuis la décolonisation de 1960. Je dis bien de nom car nous savons tous de quoi il en ressort exactement pour la RCA et bien d’autres Etats.

Bref rappel, la République Centrafricaine est régie encore aujourd’hui par des lois, des traités et des contrats qui datent d’avant les indépendances, une fois de plus en violation des textes internationaux. Le bon sens aurait accordé aux autorités centrafricaines le droit de disposer en toute souveraineté des 622 mille km2 que représente la République Centrafricaine, la surface et le sous-sol, et tout ce qui s’y trouve. Le colonialisme a fait place au néocolonialisme. Il s’agit de ce système au travers de la Françafrique qui je peux m’avancer, freine le développement de la Centrafrique, privilégiant l’intérêt des grands groupes et firmes multinationales françaises. Je ne vais pas m’étaler sur ce sujet, je vous laisse le soin de le faire, des spécialistes ayant consacré de nombreux écrits à ce sujet-là ! Je vous renvoie néanmoins à cet extrait : l’exemple le plus significatif est celui de l’entreprise pétrolière Elf, qui a fait la politique de l’État français au Gabon, au Cameroun, au Nigeria au Congo Brazzaville et en Angola, et a même été responsable de l’éclatement ou de la poursuite de guerres civiles dans ces trois derniers pays. Les procès des dirigeants d’Elf a révélé les négociations organisées par Mr Loïk le Flock Prigent avec la rébellion angolaise (Union pour l’indépendance totale de l’Angola de Jonas Savimbi) tandis qu’il finançait officiellement le pouvoir, Mouvement populaire de libération de l’Angola. (Thomas Sankara website)

Mais ce que je souhaiterais relever ici est de faire comprendre que nous sommes aujourd’hui en mesure de réclamer un partenariat gagnant-gagnant avec notre ancienne colonie, bien que quand nous essayons de traiter avec une autre puissance, c’est tout de suite le renversement d’un régime par une rébellion, un coup d’état etc… Nos relations avec la France ont toujours été complexes. Mais il est clair qu’aujourd’hui, elles ne peuvent plus demeurer telles qu’elles étaient. Etre nationaliste ne veut pas dire être contre la France ou détester la France. Etre nationaliste c’est chercher à préserver les intérêts centrafricains. Comment voulez-vous faire comprendre au commun du mortel que la RCA est un pays immensément riche en matières premières, ressources naturelles et, paradoxalement, il est l’un des pays les plus pauvres au monde. Pourquoi les dividendes de ces matières premières et ressources naturelles ne peuvent-elles pas permettre l’essor de la RCA et son développement et garantir ainsi à la population centrafricaine un bien-être et une meilleure qualité de vie ?

Nous ne possédons pas les infrastructures pour le moment, mais nous avons la matière première, les ressources naturelles. Etablissons un partenariat gagnant entre les deux parties. La RCA gagne, la France gagne, en toute intelligence et lucidité. L’heure est révolue ou doit l’être, celle où les chefs d’Etat signent des contrats où les entreprises françaises gagneraient 90%, eux-mêmes s’en mettraient 8% dans les poches et 2% iraient à la RCA ! Non, si nous sommes véritablement patriotes, nationaliste, nous mettrons tout en œuvre pour privilégier l’intérêt de la RCA. C’est tout là ce que nous devrons devenir au sortir de cette grave crise qui a débuté ce 24 mars 2013. Nous sommes au point zéro. Avançons intelligemment.

Lorsque le France signe des contrats avec un pays étranger, tout est mis en œuvre pour que l’intérêt des français soit garanti, il ne saurait en être autrement ! Pourquoi notre partenaire privilégié ne peut-il le permettre pour notre Nation la RCA. Regardez jusqu’où ce système a conduit le pays. Le Centrafricain se meurt. Le Centrafricain n’est pas du bétail, il a droit à la vie, la sécurité et au développement de son pays ! Le sang rouge qui coule dans les veines du Centrafricain est aussi rouge que celui qui coulent dans celles du Français.

Que notre chère France nous permette de nous développer, cela pourrait aussi apporter quelques solutions à l’immigration centrafricaine. Si nous sommes bien lotis en RCA, nous n’aurons pas à venir en France ou de moins à y demeurer. Une fois finit ce que nous avons à y faire nous retournerons chez nous ! Je vois ce qui se passe au Gabon, le Gabonais rentre toujours chez lui, il ne s’expatrie pas en France, ce sont les Français qui s’expatrient au Gabon.

Nous parlons le français, nous réfléchissons en français, nous pensons en français, nous véhiculons et faisons la promotion du français, pourquoi ne pas nous accorder ce statut de partenaire ? La Nation française s’est construite au fil des siècles, la Nation centrafricaine a été stoppée dans sa marche, son évolution par son ancienne colonie.

Un pays indépendant et souverain met en œuvre une politique économique qui permettrait l’emploi des Centrafricains. Ne nous leurrons pas, cela n’est pas écrit, mais nous savons que la préférence nationale est une réalité ici en France. Pourquoi le Centrafricain ne pourrait-il pas être propriétaire d’une boulangerie industrielle en RCA ? Pourquoi ne pourrait-il pas être un haut cadre dans une entreprise étrangère localisée en RCA s’il en a les compétences ? Le président Jean-Bedel Bokassa avait pourtant initié la nationalisation des cadres dans les entreprises étrangères basée en Centrafrique et avait promu des entrepreneurs centrafricains.

Construisons et bâtissons cette nouvelle RCA qui petit à petit, progressivement, se fera comprendre et entendre dans les hautes sphères de décisions des grandes instances internationales. Nous devons compter, à nous de nous lancer. Ayons cette dose de patriotisme et de nationalisme dans une nouvelle RCA souveraine. Le Rwanda est un exemple palpitant, sans avoir besoin de quitter la France bien évidemment. La France est un grand et merveilleux pays, c’est le pays des Droits de l’Homme. Le peuple français est l’un des peuples le plus entier au monde. La RCA est un beau et merveilleux pays, c’est le pays où coulent le lait et le miel. Le peuple centrafricain est l’un des peuples le plus hospitalier au monde. Une relation saine et constructive entre les deux Etats est possible, pourvu que les bons interlocuteurs parmi les décideurs des deux parties puissent se rencontrer. 

« La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point: elle est la même, ou elle est autre; il n’y a point de milieu. »

(Du contrat social (1762), III, 15 ; citations de Jean-Jacques Rousseau, références de Jean-Jacques Rousseau)

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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