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11H20 - mardi 3 juin 2014

« Il manque en RCA le facteur clef de la résolution des conflits : le dialogue… »

 

Jean-Barkès Gombe-Kette, ancien maire de la ville de Bangui de 2003 à 2011 et candidat à la présidence de la transition de janvier 2014, analyse pour nous la situation en RCA.

 

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Comment analysez-vous la situation actuelle de la RCA ?

Je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’opportunité que vous m’offrez pour donner mon avis sur la situation générale de notre pays. Sur cette question, permettez-moi de l’aborder sur trois angles : politique, économique et socioculturel.

Sur le plan politique, comme vous le constatez, la situation est préoccupante. La machine politico-administrative est complètement grippée et le pays peine à se relever! C’est vraiment regrettable que les administrations soient bloquées et que le dialogue inter-centrafricain soit inexistant.

Rappelez-vous de nos pratiques ancestrales à travers lesquelles l’on se retrouvait souvent sous l’arbre à palabre pour discuter et débattre de nos maux, de nos problèmes… Souvenez-vous des différents foras organisés dans notre pays pour rechercher les solutions appropriées aux problèmes qui minaient notre société ?

En effet, avec l’élection de Madame Catherine Samba-Panza à la présidence de la transition, l’opinion s’attendait à des consultations élargies pour une gestion consensuelle de la transition, doublée d’une participation et d’une implication inclusive de toutes les compétences du pays. Les groupes armés que sont la Séléka et les anti-balakas s’attendaient aussi, de leur côté, à s’asseoir autour d’une table pour évoquer et débattre les problèmes de leur cantonnement, désarmement, démobilisation, désintégration, rapatriement et réintégration. Malheureusement ce rendez-vous de l’histoire a été manqué et la situation que nous connaissons aujourd’hui est plus que difficile.

Sur le plan économique, je me demande si nous pouvons encore parler d’économie dans notre pays. Tout est détruit, et donc tout est à refaire ! Nos outils de productions ont été systématiquement pillés puis emportés hors du territoire par nos envahisseurs. Rien n’a été épargné ! Depuis les charrues, le bétail pour la culture attelée, le matériel agricole, les rares usines de production, les véhicules, biens mobiliers de l’Etat, des entreprises, de l’Eglise, des particuliers, des ONG, les petits commerces et cela de manière systématique sur toute l’étendue du territoire national. La situation est exsangue et les conséquences sont actuellement visibles sur la vie de nos concitoyens. Il s’est agi d’une razzia organisée et généralisée pour mettre à terre l’économie du pays.

Sur le plan socioculturel enfin, l’on assiste à une cassure sociale qui s’accentue au quotidien. Des villages entiers sont brûlés et rasés tandis que d’autres continuent d’être la cible des bandes armées. Des zones sans droit sont créées. Une terreur s’est installée et la majorité de nos compatriotes s’est déplacée dans les forêts, les camps de fortunes à la merci des intempéries et des maladies endémiques ; d’autres se sont exilés. Le pays n’arrive plus à compter ses morts.

De même, on assiste à une nouvelle forme de violence qui tend à prendre la forme d’assassinats ciblés. La population est abandonnée à elle-même et l’essentiel n’est plus la priorité de l’Etat.
L’absence de l’Etat fait que des entités non étatiques sont obligées de le remplacer. C’est ce qui se passe maintenant avec les ONG humanitaires qui, ne trouvant d’interlocuteurs crédibles, sont obligées de passer à la vitesse supérieure pour décider à la place de l’Etat en organisant la relocalisation de certains compatriotes en détresse. Le peuple manque de boussole devant cette descente aux enfers.

 

La RCA semble être exposée aux risques d’une partition. Qu’en pensez-vous ?

Votre question mérite une attention particulière compte tenu du sujet qu’elle aborde. Il est vrai qu’aujourd’hui sur le plan sécuritaire le pays va très mal. Personne n’est à ce jour en mesure de nous situer exactement sur ce qui se passe dans nos provinces… À l’exception de Bossangoa, où j’ai séjourné du 23 au 26 mai. J’y ai rencontré une population qui exprime une volonté de retrouver la paix, mais hélas, il y a une absence totale d’autorités dans la localité ! Préfet, sous-préfet, maire sont inexistants…

En effet, avec la démission de Michel Djotodja, la majorité des hommes de la Séléka s’est repliée avec leur arsenal de guerre, à l’intérieur du pays, plus précisément vers l’Est et le Nord-Est. Et Jusqu’ici le gouvernement semble méconnaître cette situation gravissime et nous craignons le pire.

Je crains le risque de voir se développer dans notre pays un communautarisme qui, si nous ne faisons pas attention, risquera de donner les germes d’un divisionnisme, surtout avec la relocalisation de nos compatriotes de confession musulmane vers les parties du pays, où il y vit déjà une forte communauté du même bord.

Par ailleurs, les velléités de sécession existent véritablement et sont entretenues par quelques compatriotes égarés qui ne veulent pas de la paix en RCA. Ils sont hantés par le démon de la division ! Cette situation constitue, certes une réelle menace, mais reste encore une pure utopie en réalité. C’est une aventure sans issue.

Je voudrais profiter de cette occasion pour saluer les efforts que la communauté internationale déploie – y compris et particulièrement la France – pour nous aider à face à tous les problèmes qui se posent à nous dans cet univers d’insécurité et d’anarchie.

La République Centrafricaine étant une et indivisible, il appartient aux acteurs de la transition de prendre leurs responsabilités pour mettre les bouchées doubles et définir ensemble avec les ONG humanitaires les modalités du déplacement en masse des communautés relocalisées. Il appartient au gouvernement de transition d’être actif et rigoureux pour être plus crédible devant les Centrafricains d’abord, et ensuite devant la communauté internationale qui, venue pour nous secourir, n’a pas vocation à se substituer à l’Etat et encore moins à assumer en ses lieu et place les devoirs de sa charge… N’est-ce pas que gouverner c’est prévoir ?

Est-ce que tout est encore possible en RCA ? Et pourquoi pas ? C’est seulement une question de volonté politique. Quelles que soient les difficultés, avec la volonté on peut tout reconstruire. Le nœud du problème est que les acteurs de la transition doivent se poser les vraies questions et rechercher les solutions appropriées pour la sortie de crise. Réponde à l’attente et aux besoins urgents de la population, en évitant de faire de la diversion…


Pouvons-nous parler de l’urgence d’un dialogue en RCA ?

Il est de tradition universelle que dans les situations de conflit, les acteurs se retrouvent toujours autour d’une table pour se parler, taire leurs divergences par des concessions réciproques tout en envisageant une issue honorable qui doit être saluée par tous. Malheureusement, dans le cas de la crise qui secoue notre pays, ce facteur clef de la résolution des conflits, à savoir le dialogue, manque et les énergies nécessaires au règlement de la crise ne sont pas mobilisées.

On ne saurait régler ce contentieux sans une concertation élargie à toutes les sensibilités. Il est urgent de créer un cadre de concertation avec les forces vives de la nation et les compétences nécessaires pour réunir les acteurs clefs de la crise et rechercher les solutions idoines. C’est pour vous dire que le dialogue reste et demeure la seule porte de sortie pour débarrasser notre pays de cette catastrophe. Malheureusement l’on s’aperçoit que le dialogue n’est pas la priorité des acteurs de la transition et tout le pays est bloqué.


Vous êtes resté longtemps maire de la ville de Bangui, quelle stratégie faut-il prendre pour reconstituer toutes les archives détruites à la mairie de Bangui ?

Il ne faudrait pas minimiser et limiter les dégâts résultant de la destruction de nos archives à la seule ville de Bangui. Ce sont toutes les administrations du pays qui sont touchées. Pour une reconstruction de ces archives, il nous faut bâtir une stratégie d’ensemble qui doit prendre en compte et en premier lieu la contribution de toute la population.

Aussi, il faut savoir que j’avais modernisé le service de l’état civil de Bangui, en implantant des ordinateurs avec un système de sécurisation des fichiers, entraînant des sauvegardes systématique du serveur après chaque session. Les villes de Bangassou et Bambari avaient bénéficié aussi des mêmes avantages à l’époque. C’est dire que, pour la ville de Bangui, l’Informaticien chargé de la maintenance à qui j’avais appris des bonnes manières de fonctionner… le jeune Boundio a certainement sauvé l’image du serveur après la session du 22 mars 2013, avant l’arrivée de la Séléka dans la ville le 24 mars 2013, j’en suis sûr !


Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable que le maire puisse être un élu local et non pas nommé par décret présidentiel ?

Dans la logique démocratique, le maire est un élu du conseil municipal lequel tient de son électorat un mandat. Souvenez-vous de feu Barthelemy Boganda le premier maire de la ville de Bangui qui a été élu démocratiquement. La pratique des nominations par décret n’est qu’un supplétif qui a pour but de combler le vide de l’exercice du jeu démocratique des élections municipales. L’autorité municipale nommée par décret n’est qu’un délégué du gouvernement, d’où l’appellation de président de la délégation spéciale de telle ou telle commune ou ville.

Pour plus de responsabilité, un maire doit être élu. A ce titre, il devra, à la fin de son mandat, justifier de sa gestion auprès de son électorat.


Quelles sont vos solutions pour une sortie de crise en RCA, vous qui aviez déposé votre candidature à la magistrature suprême de transition ?

Il n’y a pas de solution miracle et il n’appartient pas à la communauté internationale de nous fournir une panacée de solutions afin que nous les exécutions ! Avec une volonté politique affichée, commençons d’abord par un dialogue et la suite s’en suivra aisément.


Serez-vous candidat à l’élection présidentielle ?

Sur cette question, je vous répondrai ceci : des élections oui, mais avec qui ? Pour qui ? Et pourquoi faire ? Tant qu’il y’a encore des familles qui vivent dans des camps de déplacés, tant qu’il y a encore des familles qui vivent dans la brousse comme des animaux… Franchement, je trouve que c’est indécent de parler des élections !

Si je m’étais engagé pour la présidence de la transition le 20 janvier 2014, c’était dans le but précis de répondre au cri de détresse de mes compatriotes. Pour l’instant, je m’occupe de mes activités en tant qu’opérateur économique, et dans le cadre de l’association FRC (Fondation pour la Reconstruction du Centrafrique) que j’ai fondée avec le concours de certains compatriotes.


Quel est votre message de la fin ?

Mon vœu ardent, c’est de voir cesser dans notre pays l’insécurité, les exactions et la crise humanitaire qui y sévissent. Chrétiens, musulmans, nous devons immédiatement enterrer la hache de guerre et nous remettre à vivre ensemble comme dans le passé !

Je ne cesse de le dire à mes compatriotes, qu’on peut se rassembler sans le faire autour d’une seule valeur, la République Centrafricaine, notre très cher et beau pays…

Merci !

Propos recueillis par Lydie Nzengou

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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