International
12H11 - mardi 24 mars 2015

Abolition de la peine de mort en Asie : le chemin reste long

 

 

Alors que l’abolition de la peine de mort dans le monde progresse et est reconnue au niveau international, avec le Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966, et son protocole facultatif visant à abolir la peine de mort proclamé en 1989, le continent asiatique reste en retard.

 

De Téhéran à Tokyo, en passant par Delhi ou Jakarta, la peine de mort reste en vigueur dans l’écrasante majorité des Etats du continent asiatique. 12 Etats ont ainsi procédé à des exécutions capitales depuis 2011 et 18 ont prononcé des condamnations à mort. L’application de la peine de mort en Asie dépasse le clivage des régimes. On la retrouve tant chez des régimes autoritaires comme la Chine qu’au sein de pays plus démocratiques comme l’Inde et le Japon.

Malgré des avancées récentes en Asie centrale, où la peine de mort – mais pas l’arbitraire et les traitements cruels – a quasiment disparu, on observe une régression très nette du mouvement abolitionniste sur le continent.

 

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La Chine continue ainsi de prononcer un nombre record de condamnations à mort (près de 2000 par an). En mars 2012, le Japon rompait un moratoire décidé en 2010. La même année, l’Inde et le Pakistan annonçaient la reprise des exécutions capitales.

Ce dernier a d’ailleurs procédé, après l’attaque contre une école de Peshawar en décembre dernier, à des exécutions de personnes condamnées pour terrorisme. En 2013, après une mascarade de procès, ce sont 153 personnes qui furent condamnées à mort au Bangladesh pour des faits de mutinerie. Enfin, à peine arrivé à la tête du pays depuis décembre 2011, le jeune dictateur nord-coréen Kim Jong-un procédait déjà à une vaste purge politique qui a touché jusque son cercle d’intimes.

 

La peine de mort, une arme politique

Outil de la paix sociale, que les dirigeants asiatiques posent comme recours ultime de leur arsenal répressif, la peine de mort en Asie ne vise pas seulement les crimes « classiques » les plus graves tels que les homicides ou autres actes cruels. De nombreux Etats continuent de l’appliquer également pour des crimes « politiques », punissant ainsi de mort la trahison, l’espionnage ou la piraterie.

Le code pénal de la République populaire de Chine, premier pays au monde pour le nombre de condamnations à mort et d’exécutions, prévoit ainsi un large panel de « crimes contre l’Etat » (atteinte à la sécurité publique, terrorisme, sabotage …), de crimes économiques (corruption, racket) et de crimes de nature militaire (trahison, espionnage) susceptibles de conduire à une exécution.

La Chine ne fournit aucune information concernant la situation des condamnés à mort dans le pays et les estimations varient entre 1000 et 10000 exécutions par an selon les ONG internationales. Populaire auprès de l’opinion publique, le pouvoir chinois utilise volontiers la peine de mort dans le règlement des insurrections au Tibet ou au Xinjiang, taxées de séparatistes. Récemment, dans le cadre de la grande campagne anti-corruption menée par le Président Xi Jinping afin de purger le parti unique et les milieux économiques, plusieurs condamnations à mort d’officiels ont été prononcées et appliquées.

La Corée du nord dispose également d’un large arsenal répressif pour les crimes commis contre l’Etat et conduisant à la peine capitale. De nombreuses organisations fustigent l’instrumentalisation du système judiciaire à la disposition quasi-personnelle du dirigeant suprême Kim Jong-un et de sa clique et les conditions plus qu’opaques dans lesquelles sont appliquées les exécutions, souvent publiques. Il est impossible aujourd’hui de faire une estimation du nombre d’exécutions dans le pays au regard du grand secret qui entoure le système carcéral nord-coréen et la disparition régulière de personnes, victimes des purges conduites par le régime. Jang Song-thaek, oncle par alliance de Kim a ainsi été exécuté en décembre 2013 pour haute-trahison.

Les codes pénaux des grandes démocraties asiatiques qui appliquent ou reconnaissent toujours la peine de mort (Japon, Inde, Corée du sud, Taiwan) comprennent toujours des crimes politiques condamnant notamment le terrorisme ou la trahison. Malgré certaines tentatives comme à Tokyo (moratoire de 2010 annulé en 2012) ou en Corée du sud (aucune exécution depuis 1996 mais condamnation à mort prononcée en 2007), le mouvement abolitionniste ne parvient pas à convaincre l’opinion publique et les dirigeants politiques.

Loin de constituer un élément dissuasif efficace de l’appareil judiciaire, la peine de mort ressemble plus à  une arme politique à disposition des dirigeants politiques afin de maintenir une certaine idée de la paix sociale par l’application de clauses floues pouvant conduire à la mort comme c’est le cas en Chine ou en Corée du nord ; ou bien de maintenir ou de regagner une popularité auprès de la population comme au Japon, où le gouvernement conservateur de Shinzo Abe n’entend guère revenir sur la question, malgré les critiques portant sur les mauvais traitements infligés aux condamnés se trouvant dans les couloirs de la mort.

 

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En Indonésie, le président Jokowi a également annoncé la reprise des exécutions contre les trafiquants de drogue dans un contexte politique difficile pour lui. Au Pakistan, le gouvernement de Nawaz Sharif a levé le moratoire sur les exécutions après l’attaque meurtrière contre l’école militaire de Peshawar (141 morts dont 132 enfants). Ils sont 8000 condamnés dans les prisons pakistanaises, en majorité des insurgés islamistes.

 

Peine de mort et trafic de stupéfiants

Le trafic et la détention de produits stupéfiants est également considérée comme un crime passible de la peine de mort dans de nombreux Etats du continent asiatique. L’Asie centrale se transforme en plaque tournante du commerce mondial d’opiacées autour de l’Afghanistan, en passe de devenir un véritable narco-Etat de part les relations étroites qui existent entre trafiquants, hommes politiques et représentants de la loi, tandis que l’Asie du sud-est reste un hub international du commerce d’héroïne et de méthamphétamine (triangle d’or en Birmanie, Thaïlande et Laos), grâce à sa position stratégique près des grandes lignes maritimes du commerce internationale et la hausse du tourisme.

Le trafic de drogue est devenu un véritable fléau dans la région et favorise à la fois la montée de la délinquance, le développement et le renforcement de groupes armés qui se financent grâce à l’argent des trafics, comme en Birmanie ou en Afghanistan. La toxicomanie est également devenue un phénomène très préoccupant en particulier en Iran, en Afghanistan ou en Indonésie.

L’ampleur du fléau dans ce continent sert donc également d’explication au recours fréquent à la peine de mort.

 

La difficile progression de l’abolitionnisme en Asie

Les années 2000 ont toutefois marqué un recul de la peine de mort en Asie. Cette dernière a ainsi quasi disparu de l’Asie centrale. En 2000, le Turkménistan abolit la peine de mort, suivi en 2005 par le Tadjikistan, en 2006 par le Kirghizstan et en 2007 par l’Ouzbékistan. Le Kazakhstan a introduit un moratoire sur la peine de mort en 2003 et a restreint en 2009 l’application de la peine capitale aux crimes les plus graves commis en temps de guerre et ceux relatifs au terrorisme. La peine de mort a également été abolie récemment au Bhoutan (2004), aux Philippines (2006) et en Mongolie (2012). Ces pays rejoignent ainsi le Cambodge, le Népal et Maurice qui ont aboli la peine de mort dans la décennie précédente. D’autres pays asiatiques sont considérés comme abolitionnistes de facto : c’est le cas de la Papouasie Nouvelle-Guinée, qui, malgré le rétablissement de la peine de mort en 1999, n’a procédé à aucune exécution depuis 65 ans, du Laos et de la Birmanie qui n’a procédé à aucune exécution depuis 1988 et a commué toutes les condamnations à mort en détentions perpétuelles en 2011.

A l’inverse, les années 2010 marquent une stagnation voire une régression de l’abolitionnisme en Asie dans un contexte politique complexe. Pourtant, aujourd’hui, il y a urgence. Loin de constituer un élément de la justice impartiale et équitable, la peine de mort est utilisée comme un outil politique par des régimes aussi différents que la dictature stalinienne nord-coréenne qui fait disparaître chaque année des milliers d’opposants politiques présumées, le régime islamiste iranien qui se débarrasse à la fois de ses opposants et des trafiquants de drogue, le Pakistan qui utilise la peine capitale dans sa guerre contre la mouvance islamiste qui le déstabilise ou encore la démocratie parlementaire nippone.

Dans des Etats le plus souvent rongés par la corruption, où les forces de l’ordre n’hésitent souvent pas à obtenir des aveux sous la torture et où un avocat n’est accessible qu’aux plus riches, la peine de mort constitue le summum de l’injustice. Elle n’est certainement pas à même d’apporter la paix sociale que recherchent les dirigeants, qui la rendent légitime au nom de leur histoire ou de leur culture.

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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