

Lors de mon voyage d’études et de réflexions sur Israël d’aujourd’hui, après la tentative de génocide du 7 octobre 2023, perpétrée par les barbares du Hamas, j’ai eu le plaisir de rencontrer le ministre des Relations avec la Diaspora, Amichai Chikli. Souvent caricaturé, souvent amalgamé avec les ministres d’ultra-droite, il est pourtant membre du courant central du Likoud, après avoir été dans les rangs de Naftali Bennett, l’ancien premier ministre considéré comme centre droit. Il m’a donc semblé intéressant d’échanger avec lui et de vous livrer son analyse et sa vision sur Israël, sur le conflit à Gaza et sur l’évolution régionale…
Patrick Pilcer : Monsieur le ministre bonjour. Merci d’avoir accepté de répondre à Opinion Internationale, média français de débat et d’opinion. Pour beaucoup de personnes, Monsieur Amichai Chickli, vous êtes un ministre d’extrême droite, un ultra au côté du premier ministre Netanyahu. Israël est aussi considéré de plus en plus comme un État illibéral, gouverné par l’extrême droite.
Quand connait vos parents, votre éducation, cette image d’extrémiste ne colle guère. Votre père est par exemple rabbin non-orthodoxe, il a été formé à la prestigieuse Kennedy School à Harvard, et en France il serait considéré comme un partisan de la Laïcité.
Monsieur le ministre, qui êtes-vous vraiment ? Quelle est votre pensée politique ? Et Israël peut-il gagner la guerre contre le Hamas ? Et que faire de cette guerre médiatique que semblent gagner vos ennemis ?
Amichai Chikli : Commençons par faire un sort à la notion d’extrême.
Au Moyen-Orient, la seule chose qui soit extrême, c’est la réalité. La réalité est extrême. Le 7 octobre est extrême, c’est un fait. Le Hamas est extrême. Al-Joulani, le nouveau président syrien, et Al-Qaïda sont extrêmes.
Je me définis non pas comme un sioniste extrémiste ou extrême mais comme extrêmement sioniste, c’est-à-dire que je crois profondément au droit du peuple juif à vivre sur sa terre ancestrale, Eretz Israël, et cette terre, ce n’est pas simplement Tel Aviv, c’est le mont Ébal, avec l’histoire de Josué, c’est Shilo avec celle du prophète Samuel, c’est Jérusalem avec David et Salomon, et la construction du Temple, c’est aussi Bethléem bien sûr, et Hébron avec les tombeaux des patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, les premiers pères du peuple juif. Voilà l’histoire du peuple juif. C’est de l’histoire, ce n’est pas mon avis, c’est de l’histoire pure.
En France, même si je connais mal le paysage politique français, vous avez le Parti Radical. Ce n’est pas un parti de radicalisés mais un parti radicalement républicain, viscéralement républicain, radical au sens d’attaché aux racines de la République. Vous ne confondez pas radicaux et radicalisés pour autant. Je me sens donc extrêmement sioniste, radicalement sioniste si cela vous permet de mieux comprendre. Très très sioniste pour utiliser d’autres termes.
Aujourd’hui, beaucoup de gens cessent de lire. Ils ne connaissent pas l’histoire. Ils n’ont pas lu la Bible. Ils ignorent même l’histoire de leur propre pays. Alors l’histoire d’Israël et du Proche Orient… ils ne connaissent pas les racines, leurs racines, ils sont intellectuellement démunis, et n’ont qu’une mauvaise compréhension de l’histoire, et encore plus du judaïsme et de l’islam. L’islam, parmi les trois religions monothéistes, est la plus jeune. Et il y a un conflit entre le judaïsme, le christianisme d’un côté, et l’islam depuis le début de l’islam. Depuis la naissance de l’islam, qui est né comme une religion de violence et de conquête.
Le judaïsme n’a lui aucune aspiration à dominer le monde, à faire que tout le monde devienne juif par la force. Cela n’est pas le but du judaïsme. En réalité, il est très difficile de devenir juif. Ce n’est pas une religion accueillante pour les non-juifs. On ne demande pas que les gens se convertissent, on ne les force surtout pas, il faut qu’ils le veuillent vraiment.
Je suis donc un juif fier, et je suis un sioniste fier. Pour être très honnête et complet, je ne vois aucune différence entre un Juif et un sioniste. On ne peut être juif sans être sioniste, mais on peut être sioniste bien sûr, sans être pour autant juif, et souhaiter partager une spiritualité commune. Mais vous ne pouvez pas être Juif sans être sioniste. Parce que si vous ouvrez n’importe quel livre de prières, vous trouverez tout le fondement du sionisme. Donc, je suis un juif fier, je suis un sioniste fier. Radicalement sioniste si c’est plus facile à comprendre pour les Français. Très très sioniste pour que tous comprennent. Oui. Absolument.
Le véritable libéralisme, c’est la résistance à la tyrannie.
Concernant le terme « libéral », je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui ce terme soit vraiment compris de tous. C’est un mot fourre-tout que les gens interprètent de façons très différentes. Ainsi, je ne pense pas que le mouvement dit progressiste, le mouvement « woke », soit réellement libéral par exemple. Ce ne sont pas des libéraux. Ils se disent libéraux, mais ils ne le sont pas du tout. Peut-être sont-ils libéraux sous condition : que vous pensiez comme eux. Sinon, ils deviennent très violents, extrêmement violents. Je ne pense donc vraiment pas que ces personnes qui se disent « libérales », principalement en Amérique et aux États-Unis, le soient véritablement. Je ne vois aucun réel libéralisme dans le mouvement woke, dans le mouvement progressiste. Bien au contraire, c’est un mouvement dogmatique, qui souhaite une pensée unique, et à des tendances très fascisantes en fait.
Je pense que le véritable libéralisme commence avec l’exode du Peuple Juif d’Égypte, en s’opposant à la tyrannie. Une réelle libération de la servitude, une sortie de l’esclavage. Il y a une belle déclaration de Benjamin Franklin, aux États-Unis, qui reprend cela avec ses propres mots : « L’obéissance à Dieu est résistance à la tyrannie ». Comme l’a dit un jour le rabbin Kook, l’exode d’Égypte restera pour toujours le fil conducteur de toutes les nations en quête de liberté.
Je pense ainsi que le judaïsme est rébellion. C’est le rejet de la pensée unique, le refus de la Tour de Babel. Abraham par exemple se rebelle, il refuse de se soumettre aux idoles de son temps, il est un insoumis, un vrai. De même Moïse contre Pharaon et l’Égypte. Un peuple qui se rebelle contre l’esclavage, qui refuse de s’y soumettre.
Je pense que c’est la pierre angulaire de la civilisation occidentale, et c’est la pierre angulaire du véritable libéralisme.
Pour moi, le libéralisme ne peut exister sans Dieu. C’est là mon avis personnel. Si le monde est nihiliste, et que tout revient au point que l’humain est le centre et l’humain seul, c’est un monde sans Dieu, sans transcendance, un monde sans sens, et cela conduit toujours au despotisme, à la dictature, comme vous pouvez le voir dans l’agenda woke, l’agenda communiste, l’agenda nazi. Finalement, très vite, cela devient une tyrannie.
Ce n’est que si nous reconnaissons que nous ne sommes pas le centre, que nous ne sommes pas quelque chose qui est au-dessus, mais qu’il y a une transcendance, que nous pouvons être véritablement libéraux.
Mais vous n’avez pas répondu à propos de la guerre médiatique.
Oui, parce que c’est un problème complètement différent. Pour moi, c’est une question séparée. Les médias, d’accord. Il y a beaucoup à dire sur les médias. Commençons par quelques faits solides.
D’abord, dans chaque guerre que nous avons eue avec des organisations terroristes, Hezbollah, Liban, Gaza en 2009, 2014, 2019, et dans la guerre actuelle, il y a toujours eu des manifestations et une couverture négative du conflit. La thèse de base est à chaque fois la même : il y a cet État fort contre les pauvres Palestiniens misérables. Nous avons d’un côté les oppresseurs, les agresseurs, et puis nous avons d’un autre côté les soi-disant Palestiniens natifs, qui sont occupés, qui sont faibles, qui n’ont rien.
Cette pensée est née dans les universités européennes. C’est là le cœur de cette perception déformée de la réalité. Les universitaires européens sont anti-nationalistes et anti-impérialistes. Pour eux, la cause principale de la Première et de la Seconde Guerre mondiale vient du nationalisme. Pour eux, le peuple juif n’a pas retenu la bonne leçon de ces conflits. Au lieu de continuer à être ces Juifs sympathiques, cosmopolites, des juifs de café, sans arme, tout à coup les Juifs ont créé un État-Nation qui est en guerre constante contre ses voisins. Pour eux c’est exactement la mauvaise leçon de l’Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale. Je pense que c’est la racine de la perception faussée de la réalité avec les Palestiniens.
Ajoutez à cela que les gens ne connaissent presque rien de l’histoire du peuple juif. Ils n’ont jamais entendu parler de la révolte de Bar Kohba contre le pouvoir romain, en 132-135. C’est là encore une rébellion, une insoumission. À la fin de cette révolte, de cette insoumission, le terme Palestine a été créé par l’empereur Hadrien, qui voulait en fait punir les Juifs, changer le nom de la province de Provincia Judea à Provincia Syria-Palestina en utilisant le nom des ennemis du peuple juif dans la Bible, les Philistins, qui venaient eux, à l’origine, de Grèce, de Crète. Les gens ne connaissent pas ces faits pourtant basiques : même le terme Palestine est un terme romain se référant à la Bible et à la guerre des Juifs contre les Philistins d’Ashdod, Ashkelon et Gaza.
Les gens ont souvent cette perception faussée des Juifs, quelque chose d’anachronique, appartenant au passé, faisant partie du nationalisme, de l’impérialisme, d’un ordre du monde créé par les superpuissances européennes, un État-nation, un État religieux, un État juif. Et un Etat Nation, un Etat Juif qui marche, cela ébranle leur pensée.
L’idée même d’un État juif leur semble un instrument anormal, quelque chose de déviant. C’est ce substrat qui rend très, très difficile la couverture médiatique. Ce n’est pas quelque chose de technique. Ce n’est pas que nous avons besoin de plus de télévisions ou que nous avons besoin de plus de personnes parlant anglais ou de plus de budget. Non, c’est quelque chose de bien plus profond.
Le problème n’est donc pas dans une guerre médiatique mais dans la connaissance de l’histoire, des bases historiques. Le véritable combat est un combat pour éclairer, pour améliorer les connaissances, le savoir, pas un combat médiatique uniquement.
Mais pour revenir à ce que j’ai dit auparavant, jusqu’à ce jour, le judaïsme est rébellion, c’est le rejet de la soumission, le judaïsme est insoumission, les juifs sont les insoumis. C’est une rébellion contre la Tour de Babel, le refus de se soumettre à la pensée unique.
Les Européens prétendaient que le nationalisme était mauvais. Ils souhaitaient créer une société ouverte. Une société sans frontières, sans religion, sans racine. Et pourtant, en un instant, une partie de l’Europe pourrait devenir un État-nation de la charia. Un État islamique. C’est bien sûr un long processus. Il y a une grande différence selon les pays, selon les politiques d’immigration qu’ils mettent en place. Certains États n’ont pas suivi cette Euro-vision, pas le concours, mais cette vision européenne. Les pays les plus en danger sont la Belgique bien sûr, la Grande-Bretagne, ensuite, et certaines banlieues de Paris. Je ne sais pas ce qui se passe dans la France aujourd’hui mais cela devient aussi problématique d’après ce que je comprends. Mais la Belgique et la Grande-Bretagne sont en très mauvaise posture.
Les pays les moins en danger sont ces États qui sont, d’une certaine manière, assez similaires à Israël. Un État qui coïncide avec une nation, un peuple qui partage une identité commune, une aspiration commune, et qui se sent lié par une appartenance. Un État-nation qui ne craint pas le fait religieux, qui respecte la religion. La Hongrie est aujourd’hui en pointe parmi ces pays. Maintenant, nous pouvons bien sûr débattre des normes démocratiques, mais il ne faut pas oublier que c’était un État communiste il y a peu. C’est un processus que ce pays traverse pour devenir un véritable état démocratique, et il y parvient. Mais ils ont compris qu’ils ne peuvent permettre une immigration massive en provenance des pays musulmans car une partie de ces nouveaux immigrés ne viennent pas pour faire simplement partie de la société, pour s’intégrer. Ils viennent pour dominer. Comme l’a dit le cheikh Yusuf Kardawi, le cheikh principal des Frères musulmans, décédé il y a quelques années : l’Europe sera conquise sans tirer un seul coup de feu. Par la persuasion et l’immigration. N’est-ce pas exactement ce que nous voyons à présent, un peu partout en Europe ?
Là, les médias participent à ce qui se déroule sous nos yeux, à cause de l’impact d’Al Jazeera, la chaine du Qatar, la chaîne de relations publiques du Hamas et des frères musulmans en fait, une chaine qui émet dans toutes les langues.
Cela participe à radicaliser une minorité musulmane partout en Europe et dans le monde. Cela crée un mouvement de masse dans les rues d’Europe. Il devient alors très naturel, pour la gauche, que Mélenchon, un socialo-lambertiste anti-nationaliste, s’unisse à Rima Hassan, une Syro-Palestinienne presque néo-nazie. C’est une extrémiste, une vraie. Elle veut détruire l’état d’Israël, comme l’indique son slogan, de la rivière à la mer. Elle soutient le hamas, des islamistes fanatiques. Elle veut que les Juifs retournent en Europe, comme elle l’écrit.
Cette alliance nouvelle, disons rouge et verte, est également très puissante. Elle dispose de beaucoup de ressources, elle a de nombreux relais, et cela lui donne un impact très important dans les médias. Aujourd’hui, y-a-t-il une réelle différence entre Al Jazeera et la BBC ? Et il n’y a pas de grande différence entre la BBC et le journal Haaretz, qui est l’extrême gauche, la gauche anti-sioniste, ici en Israël. Cette gauche née de la même clique intellectuelle dite progressiste.
Vous êtes ministre de la Diaspora, tout ce qui touche aux communautés juives dans le monde vous concerne et arrive sur votre bureau. Israël semble une illustration parfaite de la théorie du chaos : un battement de cil de Bibi voire même d’un simple israélien à Jérusalem peut provoquer un ouragan médiatique à Paris ou Sidney, voire une flambée de violence antisémite. Un effet loupe où le monde entier regarde, amplifie la réalité comme la réaction aux simples faits. C’est une réalité, un fait qu’il faut prendre en considération. Et pourtant, on a l’impression que le gouvernement israélien ne prend pas cela suffisamment en compte. Qu’en pensez-vous ? Cherchez-vous à améliorer cela ?
D’abord, constatons un fait indéniable : la relation qu’entretiennent les pays, les médias, les gens avec Israël n’est pas identique à celle qu’ils entretiennent avec d’autres pays. Le moindre blessé dans les Territoires Disputés a bien plus d’impact et de retentissement que des milliers de morts au Soudan. C’est comme ça. Disons que c’est une donnée de base.
Ensuite, les gens surréagissent au moindre fait dès qu’il s’agit d’Israël. Ils ne cherchent pas à approfondir, ils ne cherchent pas à vraiment savoir, ils n’attendent pas les résultats des enquêtes, ils blâment d’emblée Israël, qu’Israël soit victime ou coupable. Ceux qui font l’effort de comprendre, de venir voir sur place sont bien moins nombreux que ceux qui condamnent Israël sans savoir. Pourtant la porte est ouverte, Israël ne cache rien, ils pourraient faire cet effort. Même quand c’est l’état de Gaza, avec à sa tête le Hamas, qui est l’oppresseur. La couverture médiatique est totalement disproportionnée. Le regard est biaisé, le comportement et le jugement qui en découle ne sont pas équitables.
Maintenant, par exemple, on parle dans le monde entier de la soi-disant famine à Gaza, ou d’un génocide. Vous avez des avions venant de Jordanie, des Émirats, du Maroc, de partout qui approvisionnent Gaza. Dans le même temps, il y a la guerre au Soudan. Une famine réelle pour le coup. Strictement zéro couverture. Des chrétiens sont massacrés par centaines chaque mois au Nigeria. Zéro couverture. Les Druzes en Syrie sont massacrés, assiégés. Zéro couverture. Il y a une obsession sur l’Etat juif.
Comme l’a très bien dit Alain Finkielkraut, qui est un philosophe très respecté, dans son livre Au Nom de l’Autre, le temps d’Auschwitz est terminé. Et l’obsession concernant les Juifs est de retour. A pleine capacité après le 7 octobre. C’était comme un génie dans une bouteille, un mauvais génie dans une bouteille, pas le gentil d’Aladdin. Et ce génie est sorti. Maintenant, pour le ramener à sa place, pour le rentrer dans sa bouteille c’est une mission très, très difficile.
Mais quelle est votre politique pour contrer cela ?
Je pense que la chose la plus importante est de remporter la guerre par une victoire décisive contre le Hamas. En ouvrant les portes de l’enfer, le 7 octobre 2023, les barbares islamistes ont suscité l’espoir qu’Israël pouvait être non seulement battu mais éradiqué. Cela a suscité cet espoir non seulement chez les islamistes radicaux, mais aussi chez les gauchistes radicaux, à tous ceux qui s’opposent au sionisme comme au judaïsme, à chaque antisémite sur Terre. Et cela gêne beaucoup de gens qu’il existe un Etat Juif à Jérusalem, à Hébron, à Bethléem, à Shilo, au Mont Ebal. Ceux-là pensent pouvoir nous effacer, remonter la roue du temps, la roue de l’histoire. C’est cela le symbole du 7 octobre. Ceux qui appellent à un cessez-le-feu, qui ne résoudrait rien, et non à une capitulation totale et sans condition, avec dépose des armes par le Hamas et libération de tous les otages, laissent perdurer cet espoir. Il nous faut éliminer à jamais cet espoir.
Notre mission principale est de nous assurer que le dernier barbare du Hamas, les gauchistes radicaux ou tout autre adversaire, comprennent que le 7 octobre a été une erreur fatale de leur part. Il faut qu’ils le regrettent pendant 100 ans.
Après la fin de la guerre, tout comme après l’opération Bordure protectrice ou toute autre opération ou guerre à Gaza et au Liban, les médias et surtout les opinions publiques reviendront à leurs préoccupations antérieures. Les gens auront d’autres soucis qu’Israël et Gaza.
En France, on a beaucoup de mal à comprendre quelle est la stratégie actuelle d’Israël sur Gaza. On a l’impression d’une succession de tactiques mais d’une absence de stratégie. Quelle est la stratégie d’Israël sur Gaza ? Quelle est la vision d’Israël sur Gaza à 6 mois, à 10 ans ?
Le cœur de notre stratégie est d’éliminer, d’éradiquer le Hamas à Gaza en tant que puissance militaire et politique, de nous assurer qu’il n’y ait plus de Hamas à Gaza et qu’aucune menace ne vienne de Gaza vers les kibboutz et les villages qui bordent Gaza comme vers tout Israël. C’est une mission importante, fondamentale. Parallèlement, Il y a bien sûr nos otages qui doivent tous être ramenés le plus rapidement possible. Il va sans dire que cela fait partie des objectifs premiers de la guerre.
Pour y parvenir, nous devons démanteler toute la force armée du Hamas dans la ville de Gaza, c’est le cœur du Hamas aujourd’hui, son centre névralgique. Puis nous devons repenser les frontières avec Gaza. Personne en Israël ne doit plus vivre sous la menace des islamistes de Gaza. Aucun habitant du pourtour de Gaza ne doit plus vivre dans la peur et la crainte de missiles ou d’attaques. Nous devons beaucoup mieux nous organiser qu’à la veille du 7 octobre. Avant, nos bases militaires étaient sur les axes qui menaient aux anciens villages israéliens de Gaza. Nos bases n’étaient pas pensées comme devant être des positions stratégiques. Demain, nos bases seront implantées sur des points stratégiques, c’est vital.
Lorsque nous en aurons terminé avec le Hamas, nous pourrons alors introduire des forces positives, progressistes, loin de l’idéologie du Hamas, loin de l’influence des Frères musulmans. Nous ne voulons donc ni du Qatar ni de la Turquie dans la bande de Gaza. Mais la porte est grande ouverte pour les Émirats, les Saoudiens, l’Europe, les États-Unis, et tous les pays qui souhaitent aider à créer une société différente, orthogonale au califat islamiste, radicalisé, djihadiste dont rêvent les barbares du Hamas et les soutiens des frères musulmans. Une société moderne et ouverte comme on peut le voir aux Émirats arabes unis, une société musulmane tolérante en somme.
Et sur la politique régionale ?
Dans la région, le principal changement est en Syrie bien sûr. Il y a à présent un axe que je considère comme terriblement dangereux, l’axe Turquie, Syrie et Qatar, l’axe des frères musulmans. Erdogan est très lié aux Frères musulmans. Leurs intérêts convergent. Chez Erdogan, il y a deux visions : L’une est la vision néo-ottomane avec Erdogan, qui se rêve empereur, mais c’est surtout un dictateur très dangereux, extrêmement antisémite, il faut l’entendre lorsqu’il dit vouloir effacer Israël de la carte. Et il y a sa vision impérialiste, il dit par exemple que Jérusalem fait partie de son empire.
Le centre du Hamas est, par exemple, aujourd’hui en Turquie. Un membre de l’Otan ! Le fait que la Turquie fasse partie de l’OTAN est une des plaisanteries de l’Europe, une des incongruités. Mais comme je l’ai déjà dit, nous n’attendons pas grand-chose de positif d’une partie de l’Europe. Erdogan est un dictateur, un islamiste fanatique, un très grand ennemi de l’État d’Israël et de la civilisation occidentale. Les Européens le savent parfaitement mais refusent de voir et d’agir.
En Syrie, il y a à présent Al Joulani. Comment comprendre que les ministres des Affaires étrangères européens se soient précipités, ont couru pour serrer sa main comme s’ils ne savaient pas ce qui était arrivé aux Alaouites quelques jours avant, avant même le massacre orchestré contre les Druzes. N’ont-ils pas vu ces centaines d’hommes forcés de ramper, d’aboyer comme des chiens avant d’être exécutés froidement, systématiquement. Torturés et exécutés. Plus de 1 000 Alaouites ont été massacrés. N’ont-ils pas voulu voir ?
Les Français et les Allemands ont été les premiers à aller serrer la main Al Joulani, le fondateur du front al nosra, Al-Qaïda en Syrie. Encore une fois, insistons, le fondateur d’Al-Qaïda en Syrie.
Malheureusement, après l’Europe, les États-Unis ont eux aussi normalisé les relations avec le régime d’Al Joulani. Ils ont levé les sanctions et Trump a même rencontré ce gentil monsieur. Je pense que c’était une erreur.
Évidemment nous avons aussi les Qataris et leur soft power, efficace tant à l’UEFA qu’auprès d’influenceurs ou de politiciens, partout dans le monde. Vous connaissez les Qatargate en Europe, mais ici aussi malheureusement. Le Qatar via Al Jazeera comme via ses organisations pseudo humanitaires répand le poison de l’islam radical comme de l’antisémitisme partout.
C’est cela le nouvel axe du mal. Et je pense que nous allons avoir de gros problèmes en Syrie dans cinq à dix ans. Cela va devenir un grand Gaza, un grand état terroriste islamiste.
Mais comment remodeler la région ?
Comment la remodeler ? Nous pensons pouvoir tout remodeler, mais nous n’avons pas à faire à de la pâte, ce n’est pas une boulangerie. Nous sommes face à des forces importantes qui dirigent le Qatar, la Syrie, et la Turquie. Malheureusement, au sein des pays occidentaux, je ne vois pas de dirigeants suffisamment forts et éclairés pour comprendre ce qui se passe vraiment dans cette région, et prendre les mesures qui pourtant s’imposent : s’opposer à Erdogan, lui mettre la pression et sortir la Turquie actuelle de l’Otan. Il faut libérer au plus vite tous les journalistes emprisonnés. Les leaders de l’opposition sont eux aussi en prison. Je ne vois aucun leader occidental se battre pour les Druzes. Il le faudrait pourtant. Comme je ne vois aucun leader se battre pour les Alaouites ou les Chrétiens d’Orient.
Je souligne que les Alaouites étaient nos ennemis. Mais je ne pense pas que nos ennemis méritent d’être tués comme des chiens. Regardez les images de tortures et d’exécutions. Ce sont aussi des êtres humains. Mais qui manifeste pour les Alaouites, les Druzes ou les Chrétiens d’Orient en Europe ?
Je ne vois aucun leader occidental nommer le Qatar pour ce qu’il est, un groupe de jihadistes fanatiques avec beaucoup d’argent. Et il achète tout le monde. Malheureusement, cela se passe aussi en Israël, pas seulement en Europe.
La seule façon d’aider à changer le cours des choses dans cette région est d’avoir des dirigeants européens qui, au lieu de propager les absurdités concernant les Palestiniens, et de diffuser leur propagande, s’occupe de protéger les vrais opprimés, les Kurdes, en créant enfin un état kurde, les Druzes, les Chrétiens d’Orient, mais aussi les Chrétiens au Nigéria, ou les Soudanais qui souffrent de persécutions et de famine, une famine réelle.
Mais votre ministre des Affaires Étrangères, Jean-Noël Barrot, me semble bien impuissant. On est loin de l’exemple d’un leadership. Cela prête plutôt à sourire…
Israël et la France sont des pays amis et frères depuis bien avant la création même de l’Etat d’Israël. Tout les rapproche, les valeurs universalistes, l’Histoire, les programmes de recherche, l’amitié pour ne pas dire la fraternité entre nos deux peuples. Aujourd’hui, il y a quelques gros nuages dans le ciel. La France doit bien sûr retrouver la raison sur beaucoup de sujets diplomatiques entre les deux pays, comme sur la lutte contre la haine des juifs. Mais Israël a aussi une partie du chemin à faire pour restaurer l’amitié entre nos deux nations. Que peut faire Israël ?
Quelques nuages, la France amie d’Israël aujourd’hui ? Êtes-vous certain de la formulation de votre question ?
La France est depuis longtemps attachée à la notion même d’Etat d’Israël. En 1926, par exemple, le Président de la République, Gaston Doumergue, un grand Radical, participe à la création de l’Association « France Palestine, amis du Sionisme », avec le président du Conseil des ministres de l’époque, Joseph Paul-Boncour, et avec Raymond Poincaré, Jules Cambon, Paul Painlevé et bien d’autres. Tous les grands noms de la France de l’époque sont là. Et cette association deviendra l’Association France Israël en 1948, quand la Palestine deviendra Israël, à la naissance de l’Etat d’Israël. L’attachement d’une grande partie de la France à l’Etat d’Israël est très ancien, et perdure de génération en génération.
Je dois en apprendre davantage sur l’Alliance, je connais mal l’histoire politique de la France. D’accord, mais continuons. Je ne pense pas, par exemple, que les nuages que vous évoquez soient nouveaux.
Mais même le Président Macron. Il appréciait Israël, vantait les mérites de la « Start-up Nation », et prenait l’écosystème israélien en exemple…
Certes, mais aujourd’hui il est l’un des tout premiers opposants à Israël. Je qualifiais le ministre Barrot d’impuissant, c’est aussi le cas du Président Macron. Il n’a plus un réel pouvoir, peut-être un pouvoir de nuisance, un pouvoir négatif, le pouvoir des nuages…
Ensuite, l’antisémitisme en France n’est pas né avec Gaza, il est bien plus ancien. Rappelez-vous l’Affaire Dreyfus ou Pétain et Vichy.
On peut aussi dire que grâce à Zola, à Clémenceau et à tant d’autres, la majorité de Français sont devenus dreyfusards. Et pendant la Seconde guerre mondiale, la France était à Londres.
Vous avez sûrement raison, vous connaissez l’histoire de France mieux que moi, mais convenons que les « nuages » pour reprendre votre terme ne sont pas apparus avec Gaza et le 7 octobre. Régulièrement, il y a eu des périodes où la France a abandonné ses juifs. Vous me parlez de l’action de minorité, mais la majorité était bien silencieuse.
Comme dans tout groupe humain, il y a 90% de suiveurs et seulement 10% de meneurs.
Bien sûr, mais quand on regarde la Grande-Bretagne par exemple, vous avez un État qui a combattules nazis pendant toute la guerre. Chaque pays a agi différemment. La Pologne, par exemple, elle a été vaincue. Il est difficile de juger la Pologne parce qu’elle n’existait pas en tant qu’État. Mais quand on regarde la France, vous avez le régime de Vichy, le pouvoir était à Vichy.
Mais vous aviez la France Libre avec De Gaulle à Londres. Vous aviez tous les réseaux de la Résistance, Jean Moulin, Pierre Brossolette, les FTP MOI et tant d’autres. Et grâce aux Justes parmi les Nations, grâce à la France profonde, les juifs en France ont été moins déportés et exterminés qu’ailleurs en Europe Continentale.
Mais ces résistants n’étaient pas au pouvoir. Ils ont été magnifiques, il faut leur rendre hommage, ils étaient un rayon de lumière dans l’obscurité. Mais vous ne pouvez comparer De Gaulle et Churchill. Vous êtes fier de votre pays, c’est très bien, mais la France n’a pas eu un rôle véritablement significatif dans la guerre contre les nazis. Les leaders qui ont réellement battu les nazis sont Churchill, Roosevelt, Eisenhower, Staline. Les autres, au-delà du romantisme, n’ont pas changé le cours de l’histoire.
Je souligne aussi que ce sont les Français qui ont permis au Mufti de Jérusalem, Al Husseini, d’échapper au procès de Nuremberg. Et plus tard, dans les années 1970, c’est en France que Khomeini a été hébergé. Puis c’est la France qui a sauvé Arafat au Liban.
Ce sont des points sur lequel nous différons, plus qu’un peu, mais revenons à aujourd’hui.
Je souligne ces pans de l’histoire car la « Nouvelle Ère » n’a rien de nouveau, surtout au sein des intellectuels de gauche en France. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Je n’ai pas de grandes attentes envers la France, vous l’avez compris. Je pense qu’elle a tout le potentiel pour être un État merveilleux, mais pas avec Macron, pas avec Mélenchon, et certainement pas avec Rima Hassan.
J’en viens à ce que peut faire et à ce que fait Israël. Nous n’avons bien sûr aucune vocation à remplacer les forces de sécurité locales en Europe et en France. Par contre, nous aidons à protéger le mieux possible les juifs en dehors d’Israël, par du matériel pour mieux sécuriser les synagogues. Avant de combattre l’antisémitisme, encore faut-il se protéger. Ensuite, il y a un partage approfondi de renseignements entre Israël et tous les pays occidentaux, y compris la France.
Enfin, nous surveillons l’antisémitisme sur les réseaux sociaux, avec ce que nous appelons OSINT, Open Source Intelligence. Nous monitorons ce que les gens disent sur Facebook, WhatsApp, Twitter, ce qui nous permet parfois prédire si quelqu’un veut passer à l’action. Ou s’il y a une manifestation qui peut devenir violente, comme nous l’avons vu à Amsterdam l’an dernier. Nous avions identifié un groupe qui disait sur Internet qu’il allait s’attaquer aux Juifs et qu’il y aurait beaucoup de violence. Cela est très utile. À Amsterdam, nous avons ainsi su quelques heures avant l’attaque qu’il allait y avoir une attaque physique, et nous avons alerté la police d’Amsterdam.
L’étape suivant est de créer des coalitions et de travailler avec des dirigeants partout dans le monde qui comprennent la menace réelle venant des islamistes radicalisés. Malheureusement, la direction actuelle en France, avec Macron, ne comprend pas toujours cela. En ne participant pas à la grande marche contre la haine des juifs et pour le République en novembre 2023, il a donné le sentiment de trahir la communauté juive en France. Sans parler de l’État d’Israël. Ici nous avons le sentiment qu’il nous a poignardé dans le dos, qu’il récompense le Hamas, les actes de barbarie que nous avons vus après le 7 octobre. Cela, je pense, n’est pas à la hauteur d’un homme d’état, c’est bien plus un acte de reddition, de soumission aux islamistes radicalisés, et à l’argent du Qatar. Vous comprenez que j’ai du mal à considérer Macron comme un véritable leader.
Pouvons-nous ensuite travailler ensemble pour combattre les fake news ? Il nous est difficile de travailler à présent avec Macron. C’est dommage, mais c’est comme cela. Nous pouvons par contre, peut-être, créer une coalition avec les dirigeants politiques en France qui comprennent vraiment la menace de l’islam radical. C’est pour cela que j’ai souhaité rencontrer Jordan Bardella et Marine Le Pen. En discutant avec eux, je pense qu’ils comprennent véritablement l’étendue de la menace et les enjeux sous-jacents.
Mais j’ai vu très souvent Manuel Valls, Gabriel Attal et beaucoup d’autres grands responsables politiques français. J’entends ce que disent et ce que font Bruno Retailleau et Xavier Bertrand, même si je ne connais pas grand-chose à la politique française.
Tous ces responsables pourraient effectivement prendre des mesures sérieuses contre l’immigration illégale, contre le chaos dans certains quartiers, à Paris, Marseille, dans la France profonde. Ils peuvent restaurer l’état de droit, la sécurité, le régalien.
Tous ces responsables ont une boussole morale claire, ils savent que nos ennemis sont aussi vos ennemis. Ils sont prêts à lutter contre l’entrisme des frères musulmans et contre l’islam radical, tout en soutenant la communauté juive de France. Ils comprennent la menace turque, qatarie, algérienne pour la France. Mais ils n’ont pas le pouvoir, ou pas tous les leviers du pouvoir.
Je suis bien conscient du poids de l’histoire de l’extrême droite en France, mais les dirigeants du RN ont changé, ils soutiennent les juifs de France à présent, et entendent lutter contre l’islamisme, ils me semblent très sérieux dans leur démarche. Pourquoi ne pas le reconnaître ? Tout comme Manuel Valls, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, Gabriel Attal sont depuis toujours aux côtés des juifs de France et d’Israël.
Lorsqu’on regarde Israël depuis la France, on a l’impression d’un peuple désuni que seules les menaces de ses ennemis soudent. Y-a-t-il selon vous un risque de guerre civile ou d’éclatement d’Israël comme du temps de la séparation entre le royaume d’Israël et le royaume de Juda ? Le réel danger pour Israël n’est-il pas là ? comment contrer ce danger existentiel ? comment rassembler Israël demain ?
Je ne suis pas aussi pessimiste. Je ne vois pas de menace de guerre civile, car la grande majorité des gens en Israël n’ont pas ce sentiment de haine envers leurs frères. Nous pouvons être très déçus les uns des autres. Nous pouvons aussi être en colère, mais nous n’avons pas la haine que certains de la gauche radicale éprouvent envers leur propre peuple. Le danger de guerre civile est bien moins fort qu’il y a deux ans.
J’ajoute que les voix de la gauche radicale sont largement amplifiées et de manière artificielle. Le journal Haaretz est très connu dans le monde entier, c’était un journal emblématique, mais c’est aujourd’hui l’un des plus petits journaux en Israël, représentant une infime partie de la société israélienne. Haaretz ne porte plus la voix de l’opinion publique en Israël.
Si, en Europe, vous cherchez à comprendre l’opinion publique israélienne à partir d’Haaretz, bien sûr vous pourriez craindre une guerre civile. Mais cela ne représente plus du tout Israël, à peine 5% des voix, voire moins. Aujourd’hui, la majorité des Israéliens est unie, rassemblée. Nous sommes un grand état démocratique. La grande majorité du peuple souhaite que la guerre prenne fin avec l’éradication complète du Hamas et la libération de tous les otages.
Malgré les financements, venant souvent de l’étranger, d’Europe ou du Qatar, la voix d’Haaretz et de la gauche radicale ne pèse plus grand-chose. Cet argent de l’extérieur alimente le conflit politique interne, il jette de l’huile sur le feu. La voix de la Gauche israélienne est très entendue à l’extérieur, en Europe, mais ici en Israël, elle ne représente plus grand-chose.
Selon moi, par conséquent, il n’y a qu’un très très faible risque de guerre civile. Israël est bien plus uni qu’il n’y paraît de l’extérieur. D’ailleurs, c’est l’une des plus grosses erreurs du Hamas.
Propos recueillis par Patrick Pilcer

















