Edito
05H30 - mercredi 13 août 2025

Ma parole !

 

Ma parole !

La parole. Individuelle ou collective, elle vacille. Comme si elle avait oublié sa finalité première : créer du lien. Parler, c’est entrer en relation. Mais aujourd’hui, ne sait-on plus se parler ?

La parole politique, elle, a été saccagée. Les exemples abondent : l’élection de Donald Trump, le référendum du Brexit. Mensonges démultipliés, avènement de la « post-vérité ». Le Washington Post a recensé plus de 30 000 mensonges ou approximations prononcés par Trump durant son premier mandat.

En France, Emmanuel Macron a parfois démenti ses propres propos.

Aujourd’hui, les responsables politiques mentent sans en payer le prix. Le rapport au vrai s’est altéré. Machiavel murmurait : « Mentez, mais mentez bien ». Et comme l’avait cyniquement résumé Goebbels : « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois, il devient une vérité. » Nous en sommes à un stade où le rapport à la vérité a disparu de manière quasi universelle.

Et pourtant, nous parlons plus que jamais… mais pour nous écouter de moins en moins. La parole n’est plus un pont, mais une arme. Dans toutes les sphères, elle se transforme en instrument de choc : punchlines, clashs, saillies assassines. Elle ne relie plus : elle frappe. Non plus symbole d’interaction, elle devient symptôme : jaillissement brut, pulsions libérées, violences verbales déchaînées. Aujourd’hui, on peut tout dire — et chacun revendique son opinion. Autrefois, le mensonge était stratégique ; désormais, on ment parfois même sans raison apparente.

Or la démocratie repose sur un double rôle : écouter les discours, voter, mais aussi délibérer. Cela suppose un accord sur des faits communs, une base solide sur laquelle fonder la discussion. Or, aujourd’hui, ce socle semble s’effriter. Des sujets sensibles comme le wokisme ou ce qu’on appelle « islamo-gauchisme » cristallisent des tensions profondes. Derrière ces mots se cache souvent une incompréhension mutuelle, voire une instrumentalisation politique. Leurs définitions mêmes sont floues, et chacun y projette ses peurs ou ses combats idéologiques. Plus encore, toute critique de l’Islam est parfois immédiatement disqualifiée par l’accusation d’islamophobie, transformant ainsi le débat en un champ de bataille où la parole est muselée. Cette instrumentalisation empêche la discussion honnête et nourrit le rejet de l’autre point de vue. Les mots se vident de leur sens. Et dans cette logique, si vous n’êtes pas d’accord avec moi, vous n’existez pas. Nous confondons débat et combat.

À cette dérive s’ajoute une autre : la victoire de l’émotion sur la raison. L’affect prime, altérant nos facultés de jugement. Saturés d’émotions, nous perdons la distance critique nécessaire pour analyser. Nous devenons vulnérables à la manipulation. Et nous perdons même le droit de ne pas être d’accord.

De là, des raisonnements bancals prolifèrent. Exemple : l’armée israélienne combat le Hamas; des civils palestiniens meurent de faim ; donc Israël affame volontairement les civils. Un syllogisme qui omet causes, contexte et complexité, mais se diffuse car il frappe l’émotion.

Ma parole ! Oui, il nous faut la retrouver. La parole comme lien, comme espace commun. Cesser de la réduire à un projectile. Réapprendre à écouter, à reconnaître un fait, à débattre sans anéantir. Car, comme le rappelait Montaigne, « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute. » La parole ne vaut que si elle ouvre. Et, peut-être, si elle soigne.

 

Sandrine Pilcer

Ingénieur financier