
Israël, Jérusalem : à Yad Vashem, chaque visage compte. Notre série d’été : un tour du monde touristique et politique. Etape 25.
Le chiffre est devenu trop grand pour les cœurs, trop froid pour les consciences.
Six millions.
On le prononce sans même le sentir. On l’enseigne comme une statistique. On le martèle, parfois, comme pour conjurer le doute. Et pourtant…
Plus de six millions d’êtres humains. D’âmes. De regards. D’enfants, de femmes, de vieillards. De médecins, de poètes, de commerçants, d’érudits, d’apprenants, de rabbins, d’athées, d’ingénieurs, d’ouvriers, de chômeurs, de violonistes, d’amoureux. D’êtres comme vous et moi. Comme moi, comme moi, comme moi, disait le Chanteur…
À Jérusalem, Yad Vashem, le mémorial de la Shoah, a entrepris depuis quelques années un travail monumental et salvateur : montrer les visages de ceux que l’on a voulu effacer.
Rendre leur nom, leur regard, leur dignité à chacun de ces six millions de Juifs assassinés par la folie nazie et la complicité froide de tant d’États, de voisins, de bureaucrates.
Un mur d’images, une mer de visages. Une réponse aux bourreaux qui ont voulu faire disparaître jusqu’aux traces. Une réponse aux révisionnistes d’hier et aux négationnistes d’aujourd’hui, qui, sous couvert de « justice », osent parler d’ »invention », de « narratif », de « manipulation ».
Chaque visage est une preuve. Chaque portrait, un cri.
Car à l’ère des fake news, de l’amnésie sélective, de l’indignation fabriquée, il ne suffit plus de dire « plus jamais ». On sait, depuis le 7 octobre, que ces deux mots ont perdu leur sens. On sait ce que valent les promesses des nations. Il faut montrer. Témoigner encore. Rendre visibles ceux que l’on a déshumanisés, puis fait disparaître. Non pour figer la douleur dans le marbre, mais pour la transmettre. Pour qu’elle devienne force, mémoire, enseignement.
Yad Vashem ne répond pas à la haine par la haine. Il répond par les visages.
La meilleure arme contre l’antisémitisme, ce ne sont pas les chiffres, ni les discours convenus, c’est le regard d’un enfant juif de Vilnius, d’une mère de Thessalonique, d’un oncle de Sosnowiec, d’une grand-mère de Strasbourg, d’un adolescent de Drancy. Un regard retrouvé. Un regard vivant.
Et quelle leçon pour nous tous, en France, alors que les actes antisémites explosent, que les symboles de la République sont piétinés dans certains quartiers, et que des voix de plus en plus nombreuses banalisent la haine des Juifs sous des mots nouveaux, plus sournois, plus insidieux, mais aussi dangereux.
Oui, la France a besoin, elle aussi, d’un Yad Vashem de visages.
De montrer les visages des victimes de l’Histoire. Celle d’hier et d’aujourd’hui.
De nos 58 parachutistes tués par le Hezbollah à Beyrouth en 1984. De nos militaires tués au Sahel.
De Gabriel (3 ans), d’Arié (5ans), de leur père et enseignant Jonathan Sandler, de Myriam Monsonego (8 ans), des parachutistes français Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad, tous assassinés par un terroriste barbare. De Sarah Halimi, de Mireille Knoll.
Des enfants juifs pourchassés hier comme aujourd’hui en France, des Français tués par les barbares gazaouis du hamas le 7 octobre 2023. Pourchassés, tués parce que juifs…
De Samuel Paty et Dominique Bernard, des professeurs décapités, assassinés pour avoir enseigné la liberté de penser.
Des maires lâchement agressés parce qu’ils symbolisent la République
Des citoyens pris pour cibles parce qu’ils portent une étoile ou qu’ils défendent la laïcité et la République.
Car, au fond, il n’y a pas de démocratie sans mémoire. Et pas de République sans vérité.
Rendre les visages, c’est rendre justice. C’est refuser que la Shoah soit réduite à un symbole abstrait, à un outil politique ou à un débat de plateau télé.
C’est aussi dire que chaque vie compte.
Et rappeler que le mal commence toujours par l’anonymat, par la foule indistincte, par les chiffres qui effacent les visages.
L’Education, la République, la Laïcité, c’est savoir transformer la foule en nation. C’est apprendre ou réapprendre à Vivre Ensemble, à faire ou à refaire Nation. Il nous faut réparer nos fêlures, les dépasser, les sublimer.
Oui la France a grand besoin d’un lieu pour se reconstruire. Le président Macron cherche depuis 2017 comment marquer l’histoire. Voilà une idée radicalement républicaine, orthogonale à la soumission.
À Yad Vashem, aujourd’hui, on répare.
Un visage après l’autre.
Une mémoire après l’autre.
Contre l’oubli, contre le mensonge, contre la haine.
Et pour l’avenir.
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers, auteur de « Ici et maintenant – lecture républicaine de la Torah » (préface du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, éd. David Reinharc).


















