
Il s’est donc adressé pour la première fois en direct aux Français depuis le perron de l’Hôtel de Matignon… trois semaines après sa nomination ! En fait le premier ministre n’avait un message que pour les députés seuls et il a feint de prendre les Français à témoin.
En annonçant qu’il renonce à l’usage de l’article 49.3 de la Constitution pour faire voter notamment les budget de l’Etat et de la Sécurité Sociale, le Premier ministre est-il assez naïf pour croire qu’il tend la main à l’Assemblée nationale et qu’il obtiendra en retour une certaine complaisance des oppositions ? Il risque au contraire de n’en récolter qu’humiliation et attaques incessantes. En se privant de cet outil de gouvernance qu’est le 49.3, Sébastien Lecornu n’empêchera nullement les oppositions de recourir, elles, à un vote de censure. Le Premier ministre s’affaiblit chaque jour un peu plus. Peut-il seulement gouverner la France dans une telle position de fragilité ?
Pire encore : un nouveau front vient de s’ouvrir, que le (futur ?) chef du gouvernement s’est bien gardé d’évoquer ce matin. Bruno Retailleau, qui doit préparer désormais 2027 s’il veut espérer l’emporter sur le RN, a annoncé que la participation de LR au futur gouvernement n’était nullement acquise. Lui aussi exige désormais un contrat de gouvernement et près d’un tiers des postes ministériels — des exigences évidemment inconciliables avec les négociations menées, en vain, depuis des semaines par Sébastien Lecornu avec le Parti socialiste.
Impasse, impasse, impasse.
En réalité, le nouvel hôte de Matignon cherche à gagner du temps. Son message aux députés, au lendemain de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, revient à dire : « Je vous passe la patate chaude du budget, débrouillez-vous ! » Mais personne n’est dupe. De même qu’il n’a pas su trouver de compromis pour éviter une motion de censure, il sait parfaitement qu’aucune majorité de compromis ne pourra émerger des discussions au sein de cette Assemblée nationale divisée en trois blocs irréconciliables.
Puisque Sébastien Lecornu a renoncé au 49.3, il est donc fort à parier que les débats budgétaires s’enliseront : amendements, obstructions, blocages multiples, surtout venus de LFI et de la gauche, empêcheront l’examen des budgets de l’État et de la Sécurité sociale d’avancer dans les délais.
Après la « chienlit sociale » du mois de septembre, voici annoncée la « chienlit parlementaire » ! À la fin de l’année, l’Assemblée n’aura certainement pas voté le budget. Il faudra alors recourir à un vote technique reconduisant le budget 2025 pour le début de l’année 2026. Mais d’ici là, il est fort à craindre que les oppositions se seront coalisées pour voter la censure du gouvernement Lecornu et plonger un peu plus la France dans la crise politique.
Jamais en effet premier ministre et avec lui le (futur) gouvernement et l’exécutif n’ont été aussi fragiles. Mais en affaiblissant l’exécutif, pivot central de la Ve République, le premier ministre affaiblit la France. L’économie stagne, les Français dépriment et le monde avance. Les entrepreneurs et les innovateurs, eux, se prennent en main par eux-mêmes, conscients que la politique ne leur oppose que des obstacles (et des taxes).
Mais, pendant que nos responsables politiques se déchirent et que l’exécutif s’affaiblit dangereusement avec un président de la République isolé et un premier ministre qui s’empêche lui-même, la Ve République — dernier rempart encore solide d’un modèle politico-social en profonde crise — se meurt à petit feu.
Michel Taube




















