Opinion Paris 2024
16H57 - mardi 4 juin 2024

Le président déjeune au château. Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #29 de Frédéric Brindelle

 

Les caméras immortalisent le sempiternel cérémonial, quelques jours avant l’Euro et les Européennes.
Sur le perron de Clairefontaine, le centre d’entraînement des équipes de France de football (baptisé le « Château »), Kylian MBappé et Didier Deschamps combinent habilement la posture protocolaire et les rictus complices. Le duo adulé par le peuple accourt au-devant d’Emmanuel Macron, acculé dans les cordes par l’acidité des sondages. Les trois hommes écrivent collégialement quelques chapitres de notre histoire contemporaine. Ça crée des liens. Poignées de mains, accolades, plaisanteries et vœux à volonté, fusent dans l’instant de l’accueil.

Le président de la fédération, Philippe Diallo et la ministre des sports Amélie Oudéa-Castera observent avec saveur, conscients de leur privilège du moment, celui de siéger dans le carré VIP le plus prisé de France.

Le capitaine offre au président la primeure de l’information que la planète football quémande depuis des semaines. Les micros saisissent l’échange, Emmanuel Macron pavoise. MBappé jouera au Real. Il le confirme « les yeux dans les bleus ».
Souvent les deux hommes se téléphonent et n’hésitent pas à le faire savoir. Pour l’un et l’autre, posséder dans leur carnet d’adresse, leur « 06 » respectif, s’avère précieux. Quand Macron vacille, il saisit goulument Mbappé. Quand Kylian s’isole, il brandit le symbole Emmanuel. L’opération séduction fonctionne ainsi.

Au cœur de la bouffée de notoriété, Didier Deschamps trône majestueusement.
Il y a quelques semaines, il haranguait les foules dans un Bercy festif, à côté de Brigitte Macron, entre deux récitals de « mégastars » de la chanson, venus soutenir l’opération « pièces jaunes ». Aujourd’hui, Il a posté ses joueurs en rangs d’oignons au pied du célèbre escalier, pour recevoir un président de la République connaisseur, apte à personnifier chaque poignée de main. Aucun couac !

Les présidents de la République ne manqueraient pour rien au monde, ce déjeuner médiatisé, avec une Equipe de France de football sur le départ pour un championnat d’Europe ou une Coupe du monde. L’évènement fédère suffisamment pour y déguster une portion de son agenda.

Les handballeurs, basketteurs ou autres volleyeurs ne méritent visiblement pas autant d’attention.
Ils défilent à l’Elysée, en cas de triomphe international, reçoivent la légion d’honneur et posent sur le perron avec l’hôte de ces lieux mais… après la compétition. Pas de visite avant !

Les footballeurs suscitent plus d’attention. Les footballeuses également, depuis peu. La mixité gonfle la notoriété politique paraît-il. Alors oui, désormais, le président déjeune avec les filles du football, au palmarès pourtant insignifiant, si on le compare à celui des handballeuses, championnes de tout mais invitées à rien.

Dans la famille « sport, » le positionnement médiatique reste la base de la reconnaissance. Le Rugby, remarquablement marqueté par ses valeurs sublimées, connaît les mécanismes du réseau d’influence. Il siège sur un solide éco-système. Aussi, il intéresse le pouvoir politique qui s’invite à sa table, désormais avant les grandes échéances.

Revenons à la visite officielle au centre national du football.
Emmanuel Macron salue habilement N’Golo Kanté, exemplaire camarade, altruiste star, résiliant célébré depuis l’annonce de son retour en bleu. « Comment va votre 3ème poumon ? ». Le pertinent clin d’oeil valorise astucieusement le joueur vénéré pour son aptitude à courir inlassablement et sa générosité.
Sa poignée de main chaleureuse pour Jonathan Clauss, unique Marseillais de l’équipe, son club favori, assoie son statut de passionné. En quelques minutes, le président rentabilise son déplacement et soigne son image. Au même moment, son épouse accueille les anciens combattants américains, venus assister aux commémorations du débarquement en Normandie.

L’équipe de France de football jouit d’un pouvoir inestimable. Elle peut à elle seule, revigorer le pays.
En 1998, la victoire à domicile de sa première coupe du monde transfigurait la France, redevenue fière, ambitieuse et fraternelle. En 2018, Emmanuel Macron s’appuyait sur la deuxième étoile des bleus pour dynamiser le début de son quinquennat. En revanche, le chef de l’état trébuchait en 2022, pas tant en raison de la défaite des hommes de Didier Deschamps en finale mais à cause d’un comportement ostentatoire, qui déclencha une salve d’indignations. L’Argentine célèbre sa victoire. Kylian MBappé maugrée sa déception, le séant planté dans le gazon qatarien. Son « ami » Emmanuel accourt, les caméras envoient l’image aux quatre coins de la planète. Une courte accolade amicale aurait suffi. Pourtant le président s’attarde, comme s’il capitalisait sur ce moment d’histoire. Kylian parvient à contenir ses émotions, il aurait pu éconduire son courtisant. La séquence s’éternise, le malaise envahit les téléspectateurs. Cet événement caractérise notre époque où la portée médiatique d’un geste prime sur la cohérence et le bon sens. Le président, premier personnage de la nation, imagine vraisemblablement que sa place se trouve à côté du joueur vedette, personnage central de l’évènement. Or ce n’est pas Kylian MBappé qui vient d’échouer contre l’Argentine, mais les 23 joueurs de l’équipe. Sans doute déstructuré par la portée politique de sa démarche, Emmanuel Macron omet d’aller réconforter les, Giroud, Tchouaménie, Rabiot, Upamecano et même le capitaine, Hugo Lloris. Comment ne parvient-il pas à se dire ?
« Je suis le chef de la nation, je dois réconforter l’ensemble de mes champions, leur apporter mon soutien, en tout humilité. Je les remercie au nom de la France pour s’être brillamment hissés en finale ».
Le président ratait lui aussi son match.

A Clairefontaine, le déjeuner se termine par la photo de groupe. Emmanuel Macron pose, encadré par MBappé et Deschamps. Que se passe-t’il alors dans son esprit ? S’interroge-t’il sur sa gestion médiatique du rendez-vous ou savoure-t-il ce moment dont il a peut-être rêvé dans ses années de gamin footballeur ?
Souhaitons-lui que ce soit la deuxième hypothèse. Elle ne peut que l’aider à conserver un peu d’authenticité dans son quotidien millimétré et aseptisé.

 

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »