La chronique de Daniel Aaron
09H12 - dimanche 12 mars 2023

Clause de conscience, aiguilles à tricoter, IVG : il faut choisir ! La chronique de Daniel Aaron

 

La loi est faite par les hommes… pour les hommes ! Surtout quand il s’agit des femmes.

J’ai eu la chance d’écouter et de saluer lundi dernier le Professeur Israël Nisand que j’admire. Immense gynécologue obstétricien français, professeur des universités. Une conscience française et universelle consultée par  tous les comités d’éthique et les législateurs en France et dans le monde !

C’est avant tout un honnête homme car son expertise est née uniquement de sa pratique. J’ai la prétention de dire que moi aussi. Ses conférences ont la légitimité de sa pratique quotidienne des drames féminins qu’il a affrontés. Ses idées ont la force de celui qui a sauvé des milliers d’entre elles.

Après sa conférence, j’ai pu discuter avec Mr Nisand sur un sujet qui me passionne : entre clause de conscience et droits des femmes, c’est la femme qui perd. 

Mr Nisand défendait l’idée que la clause de conscience ne peut être dévoyée car c’est le médecin, lui, seul, qui va plonger ses mains dans l’utérus pour retirer le fœtus, et parfois en plusieurs parties (je passe les détails qui ont été décrits par Mr Nisand avec une infinie humanité mais aussi, avec la conviction que les mots doivent être dits).

J’ai rétorqué qu’alors les médecins qui refusaient de pratiquer l’IVG, sortaient du pacte passé avec la société car ils se nourrissaient au sein de la sécurité sociale. Et que celle-ci avait le droit d’imposer des DEVOIRS.

Je rajoutais aussi…

Un professeur d’histoire a l’obligation d’enseigner la Shoah sinon il est viré. Et de préciser : un élève qui n’aura pas ses cours sur l’holocauste sera blessé à vie et cette plaie en plein cœur explique qu’il deviendra probablement antisémite. On ne demande pas son avis au professeur d’histoire. Il applique les lois de la république.

Entre le médecin qui doit affronter les entrailles et les corps sans vie du fœtus et le Professeur qui ouvre des plaies terriblement graves pour des décennies, on laisse le médecin se dérober et le Professeur non.

Je pense que la question de la liberté de conscience et des droits à l’IVG n’est pas une question de corporation et de choix individuels.

Mais doit être abordé d’un point de vue juridique avec une triple idée :
– on ne peut plus aborder les grands maux de notre société sans réfléchir d’abord aux DEVOIRS puis aux droits ;
– les femmes doivent passer avant les hommes et cela doit être systématique surtout quand il s’agit de leur vie. D’ailleurs quand un bateau chavire, on dit bien « femmes et enfants d’abord » ;
– il faut créer une nouvelle notion de subsidiarité des lois. A une époque où les droits, textes, lois se superposent comme une voiture qui dévale une pente en roue libre, cette clause de subsidiarité doit imposer sans ambiguïté la supériorité juridique de l’IVG sur la clause de conscience.

Chacun se fera une idée de cet échange et se rangera probablement derrière le formidable Israël Nisand que j’admire et que je remercie sincèrement pour le long échange.

Mais, et je dois le rajouter, étant autodidacte dans tout, ayant les bacs D et C comme seuls bagages, mais trois carrières derrière mois exercées dans des univers tellement différents, avec des gens tellement différents, je suis sans cesse meurtri par le fossé entre le terrain et les sachants.

Et en particulier, j’ai constaté l’iniquité qui fondait le quotidien des femmes et leur sort bafoué de la naissance jusqu’à la retraite et la mort.

Tout cela a fait naître un doute sur la sincérité de tous nos grands penseurs, intellectuels, philosophes et politiques. Ceux qui produisent ces lois misogynes.

Alors que les bibliothèques sont remplies d’ouvrages de sachants démontrant que notre civilisation est basée sur des principes magnifiques tels que les droits de l’homme, l’humanisme, la liberté, l’égalité, la réalité du terrain elle, est trop souvent l’anti-thèse de tous ces ouvrages.

En France, en Europe, on nous sert ces valeurs à toutes les sauces, on se drape derrière ces beaux mots qui cachent souvent une misère, l’occulte pour se convaincre que la réalité est idyllique.

Les hommes peuvent alors se regarder dans le miroir et se dire « nous sommes magnifiques, nous sommes des êtres justes, c’est écrit dans les ouvrages, dans la loi, c’est donc vrai ».

Mais ce miroir déformant ne pèse souvent rien face à la réalité crue du quotidien, du terrain.

Car, en effet, si les valeurs peuvent prendre un vrai sens, ce n’est que dans une réelle matérialité, avec des actes qui vont donner une portée concrète à ces idées sublimes.

Sur l’avortement, la beauté et la portée des textes s’évapore face à la cruauté insupportable du terrain.

Pour l’IVG, on privilégie clause de conscience et aiguilles à tricoter. 

Si les textes juridiques garantissent l’accès et l’application de l’IVG, celle-ci se heurte tous les jours sur le terrain à la clause de conscience que tout médecin peut revendiquer pour ne pas appliquer l’avortement.

Deux textes, deux valeurs qui s’entrechoquent.

Et à la fin, c’est l’homme qui gagne !

La réalité du terrain montre que la vie d’une femme est « inférieure » à la liberté de conscience du médecin.
Au Portugal, en Italie, en Espagne, en Irlande, en Amérique latine, dans certains États américains, des milliers de femmes doivent avorter en cachette avec parfois des conséquences terribles.

Et quand elles ont été violées par leur père, par dix hommes, la clause de conscience est encore « supérieure ». A Malte, surtout à Malte où la nouvelle Présidente du Parlement européen a été élue avec sa conviction anti-IVG, l’IVG est totalement interdite. Quelle humiliation pour la condition féminine !

Que deviennent alors les droits de l’homme, l’humanisme, la liberté devant tant de cruauté, de barbarie ? Pourquoi l’égalité des sexes n’a-t-elle pas la primauté alors même que le médecin est payé par la sécurité sociale ?

Un médecin a donc le droit de s’extraire du pacte républicain qui concerne aussi les femmes… C’est bien de le redire.

Alors que la clause de conscience est purement théorique, le droit à l’IVG est concret, pratique. Ils touchent la « matérialité » des femmes.

Je me permets de dire là qu’avec mon regard d’autodidacte, venant du terrain, je suis fier de n’avoir pas lu tous ces ouvrages. J’ai gardé une approche plus humaine je crois. Plus empathique.

Mon identité rend insupportable cette injustice. Je ne la comprends pas. Je ne peux accepter quand une femme va peut-être mourir, qu’on lui objecte une liberté de conscience en se drapant derrière les grands principes. Quelle contradiction.

La vérité est que face à tous les arguments du monde, spirituels surtout, l’Homme doit maintenir consciemment ou inconsciemment une supériorité avec les femmes. Elles doivent souffrir, c’est leur lot, c’est presque religieux.

Ainsi, dans les méandres de sa conscience, l’homme se perd.

Alors que nous devons tous faire des concessions avec nos principes, la condition féminine doit être prioritaire sur une liberté de conscience presque toujours religieuse.

Dans un Etat républicain, il ne devrait pas y avoir de débat.

Pour conclure, je m’adresse au Président Emmanuel Macron qui veut inscrire l’IVG dans la Constitution.

Il faut absolument rajouter une clause de subsidiarité qui impose sans ambiguïté la supériorité juridique de l’IVG sur la clause de conscience.

Omettre cette subsidiarité dans ce rajout revient juste à se donner bonne conscience. A rajouter un volume dans les bibliothèques, à faire travailler des centaines de fonctionnaires sur cette inscription, à la faire traduire dans 26 langues, à faire travailler des milliers d’étudiants en Droit pour leur enseigner l’inégalité, et, et …. à laisser les femmes dans leur misère.

Monsieur le Président Macron, réunissez une assemblée de femmes et demandez-leur de rédiger les rajouts elle-même.

Que la loi soit faite par les femmes pour les femmes !

 

Daniel Aaron

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