La chronique de Patrick Pilcer
16H32 - mercredi 9 novembre 2022

Peut-on tout dire ? La chronique de Patrick Pilcer

 

Patrick Pilcer

Revenons sur cette triste invective que celle lancée par le député du Médoc Grégoire de Fournas : « qu’il retourne en Afrique !».

Entre la prise en main de Twitter par Elon Musk et cet outrage lancé en pleine Assemblée Nationale, la question de la liberté d’expression revient sur le devant de l’actualité.

Peut-on donc tout se dire ?

Tout d’abord, ce propos du triste sire Fournas a ému tous les Français et il le fallait. Si son propos était contre Carlos Martens, comme on est en droit de le penser en relisant les minutes de ce débat au Palais Bourbon, c’est à l’évidence un propos haineux, raciste, xénophobe et l’Assemblée a eu raison, dans sa grande sagesse, de le condamner fermement.

Mais si son propos, comme Fournas le prétend, était destiné aux migrants cherchant désespérément un refuge, c’est tout aussi grave. L’honneur de la France a toujours été de défendre l’universalisme des valeurs de Liberté, d’Egalité, de Fraternité, de défendre les faibles, la veuve et l’orphelin, de faire preuve de générosité, d’accepter l’autre parce que Autre. C’est le Génie Français !

Il est naturel que la France ait accouchée de Médecins sans frontière par exemple, qu’elle ait contribuée largement à sauver les Boat People après la chute de Saigon. Naturel car ces nobles valeurs sont inscrites dans le code génétique de notre beau pays, de tout temps.

De tout temps, en fait non, pas sous Vichy, où ses gouvernants refusaient de sauver les faibles et envoyer, en toute conscience, enfants et vieillards, femmes et hommes à la déportation et à la mort !

Fournas s’est peut-être cru dans l’Hémicycle de cette France vichyssiste, lui qui revendique de s’engager contre les initiatives visant à lutter contre les discriminations, lui qui apportait son soutien à cette militante d’extrême droite qui insultait Taubira.

Marine le Pen aurait dû l’exclure immédiatement si elle souhaitait, vraiment, fermer le livre des années sombres du FN. Elle a préféré soutenir Fournas en arguant de la liberté d’expression. Elle a grand tort, car la liberté d’expression, comme toutes les libertés, à l’Assemblée comme ailleurs, a des limites. L’article 70 du règlement de l’Assemblée précise parfaitement le cadre de la liberté d’expression, en son sein : les injures, les provocations, les menaces, les outrages n’y ont par leur place !

Carlos Martens, le député LFI de Seine Saint Denis, victime de cette insulte, aurait lui aussi pu réfléchir un peu plus, comme le rappelle à juste titre l’ancien maire de Sarcelles François Pupponi, lorsqu’il s’affiche avec Nabil Koskossi, l’organisateur et porte-parole de la manifestation pro-palestinienne à Sarcelles en 2014, manifestation interdite par le préfet, manifestation qui a dégénéré en émeutes anti-juives et en début de pogrom, en France, au XXIème siècle. Plutôt que de s’afficher, encore en juillet 2022, avec Koskossi, et appeler au respect de la liberté d’expression, il aurait dû s’interroger sur le cadre dans lequel cette liberté s’exerce. Et il aurait lui aussi dû être exclu de LFI et de la Nupes pour ce soutien affiché !

Elon Musk a grand tort également de vouloir tout permettre sur Twitter. D’ailleurs en quelques jours, en « libérant l’oiseau », le nombre de propos haineux, racistes, antisémites sur Twitter a littéralement explosé…

Sur les réseaux sociaux comme dans l’Hémicycle, la liberté d’expression doit avoir des limites. Comme toutes les libertés !

Imagine-t-on la liberté de circuler sans code de la route ? La liberté religieuse sans Laïcité ? La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres disait John Stuart Mill. Nous devons respecter le cadre qui permet le Vivre ensemble. Je ne peux soumettre les autres à ma propre liberté. C’est la base de la vie en société, non pas parce qu’il y a concurrence entre nos libertés, mais parce qu’il y a solidarité entre nous. Nous ne sommes pas des animaux, acceptant la loi du plus fort, mais des humains à la recherche permanente de l’équilibre entre liberté individuelle et contraintes sociales. C’est d’ailleurs sur cette insociable sociabilité des hommes, thème cher à Kant, que repose notre Vivre Ensemble !

Toutes nos libertés s’exercent dans un cadre, avec éthique, sous contraintes. En Mai 68, nous entendions qu’il était interdit d’interdire, c’est faux ! Ce n’est pas ainsi qu’on vit en société, ce n’est d’ailleurs pas non plus ainsi que nous pouvons être libres. Au contraire, c’est en acceptant un cadre commun, des lois communes que nous pouvons garantir le Vivre ensemble. En somme, c’est en choisissant nos limites communes que nous pouvons nous libérer véritablement.

Alors, Vive ces contraintes, Vive ces interdits qui nous libèrent !

 

Patrick Pilcer

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers