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09H30 - lundi 29 août 2022

Abondance de pénurie ? Il manque même des médicaments dans les pharmacies ! L’édito de Michel Taube et Serge Guérin

 

©I Viewfinder/AdobeStock – Parlement Européen

 

Nous entrons dans un monde d’abondance de pénuries. Ce sera donc cela le monde d’après ?

L’explosion des prix en est la première conséquence. Pendant des décennies, la mondialisation s’est emballée jusqu’à la caricature et a eu pour effet de tirer artificiellement les prix vers le bas et d’accroitre les coûts de logistique. Sans compter les effets sur l’environnement, la consommation d’énergies fossiles et le réchauffement climatique de cette débauche de transport. Actuellement nous vivons un brusque rattrapage des prix correspondant à la réalité de la rareté et de la valeur des choses, énergie comprise. Il va donc falloir s’y habituer.

Surtout aussi parce que cette inflation se nourrit de ruptures d’approvisionnements en matières premières, de véritables grippages dans le système mondial des échanges. Nous entrons dans une économie de pénuries structurelles dues à une concurrence acharnée, elle-même accélérée par le choc des empires qui ne fait que commencer. Des pénuries qui concernent – et concerneront – aussi, n’oublions pas, les ressources naturelles et les énergies fossiles.

Le réchauffement climatique et la guerre en Ukraine sont donc loin d’expliquer seuls cette situation inouïe.

 

La moutarde ne peut même plus nous monter au nez !

Nous pensions que la moutarde était le symbole de ce monde d’après : la célèbre moutarde de Dijon venait souvent du Canada, premier hic sur la marchandise. Nos amis moutardiers d’outre-Atlantique, premier producteur mondial, ont souffert de terribles sécheresses ces dernières années et se sont donc reconvertis dans les céréales. Nos étales sont donc vides en France depuis plus de six semaines et pour quelques mois encore, la production en France ayant, heureusement, été exceptionnelle cette saison.

Mais, non, bien que la moutarde nous maille à ravir dans un bon repas, elle n’est peut-être pas un produit essentiel.

Non, le symbole de cette abondance de pénuries, ce sont les médicaments. Cela participe directement de notre souveraineté.

Étrangement, peu de grands médias en parlent, mais certains pharmaciens ont de plus de plus de mal à fournir les médicaments prescrits sur ordonnances par les médecins. La pénurie de certains médicaments est vraiment problématique : les anti-infectieux, médicaments du système nerveux, le Méthotrexate utilisé dans le traitement de certains cancers ou maladies auto-immunes, le tiorfan, antidiarrhéique pour les bébés, le paracétamol manquent de plus en plus.

Selon plusieurs pharmaciens que nous avons consultés [voir la liste des médicaments dans une officine le 12 août], le phénomène s’est fortement intensifié cet été. Et ce n’est pas dans les plaines ukrainiennes ou les usines russes que les médicaments sont produits.

C’est surtout en Inde et en Asie que les molécules chimiques sont fabriquées et produites à une échelle industrielle. Bref notre vie, au sens propre pour les malades chroniques, dépend, en grande partie, de ce qui se passe à l’autre bout du monde.

Les pouvoirs publics ont-ils anticipé la pénurie ? Déjà en octobre 2019, par une question écrite au gouvernement, le sénateur du Pas-de-Calais Michel Dagbert alertait sur la pénurie de médicaments. Et depuis cette période, l’Etat se défausse grosso modo sur les industriels et les labos pharmaceutiques en leur imposant l’obligation de constituer un stock de sécurité qui ne peut excéder quatre mois pour tout médicament et une obligation d’importation, aux frais de l’industriel, en cas de rupture d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur. La réalité est qu’il y a des ruptures !

Certes, comme le confiait aux Echos le 10 août Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques français, « la rupture de stocks n’est pas uniquement de la faute du fabricant français. Cela concerne l’ensemble du circuit de fabrication. »

En effet, le vieillissement de la population mondiale, la hausse exponentielle des maladies chroniques, les effets sur la santé des émissions de CO2, de polluants et de particules fines, l’exigence de confort et de bonne santé d’un nombre accru d’habitants sur la planète n’ont pas fini de faire exploser la concurrence entre pays pour aller acheter les médicaments sur les marchés mondiaux.

Pour le cas français, sans doute que la gratuité de la santé en France limite probablement les possibilités de surenchère des industriels français sur les prix pratiqués par la concurrence, les remboursements étant planifiés. De même, n’oublions pas que 30 % des médicaments achetés en France ne sont pas utilisés ce qui renforce encore les risques de pénurie.

Les patients devront-ils bientôt consulter la liste des médicaments manquants avant d’aller chez leur pharmacien ?

La seule solution, la seule vraie anticipation, c’est d’investir massivement dans la relocalisation sur le sol européen de l’industrie du médicament. Plus généralement, il est urgent que la France et l’Europe redéployent une grande politique agricole et industrielle de souveraineté, sur la base d’une révision générale de nos besoins essentiels et stratégiques, dont nous devons relocaliser la production. La relocalisation des productions vitales, essentielles, est une priorité absolue.

Au-delà, c’est l’enjeu de faire de la prévention une ardente obligation, d’innover, par exemple avec le soutien à la télémédecine mais aussi en faveur de nouvelles formes de coopération entre les soignants et d’organisation des soins.

Espérons qu’Elisabeth Borne, Bruno Le Maire et tous les ministres qui défileront lundi et mardi à la REF, pour la grande rentrée du Medef à Longchamp, apporteront des réponses fortes.

Convaincus que la santé sont l’un des axes majeurs de notre contrat social, nous avons décidé de créer « oNEhEALTH », une rubrique régulière sur ces enjeux vitaux, parrainée par Ghislaine Alajouanine, pionnière de la télémédecine en France et engagée dans le combat pour « Zéro désert médicaux », qui viendra enrichir votre site.

 

Michel Taube & Serge Guérin, chef de rubrique oNEhEALTH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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