Edito
10H34 - mardi 28 juin 2022

Y a-t-il 44 députés « rhénans » au Palais Bourbon ? L’édito de Michel Taube

 

L’histoire de la République a connu (et connaît encore) les Girondins, les Jacobins. Voici les Rhénans (du nom du Rhin qui coule des Pays-Bas au nord de l’Italie, de l’Allemagne à l’Autriche en passant par la Suisse, sans oublier le Liechtenstein). Les Rhénans ou l’esprit de consensus !

Emmanuel Macron soulignait la semaine dernière dans son adresse aux Français qu’il est banal en Allemagne ou en Italie de voir des forces politiques opposées trouver des accords de gouvernement, soit sur les projets de loi précis soit sur une toute une mandature. La ministre fédérale des affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, patronne des Verts, ne cohabite-t-elle pas avec un Chancelier social-démocrate et des libéraux (quel crime pour un Français bien à gauche) du FDP ? Impossible en France ?

La France prouvera-t-elle dans les semaines qui viennent qu’elle n’est ni l’Allemagne ni l’Italie ?

Emmanuel Macron et sa majorité minoritaire disposent de 245 députés pour le moment loyaux (bon, la candidate choisie par le groupe Renaissance pour le perchoir de l’Assemblée nationale, Madame Yaël Braun-Pivet, n’était pas la favorite de l’Elysée). Il faut 289 députés pour atteindre la majorité absolue. Y aura-t-il donc à partir du 5 juillet, ou au fil des mois, 44 députés pour donner au chef de l’Etat une majorité parlementaire ?

L’esprit rhénan, bien connu des Alsaciens, gagnera-t-il certains députés pour, au-delà des querelles et des postures partisanes, doter la France d’un gouvernement capable de réformer la France ? Passé le choc des premiers jours post-législatives, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont dû se rendre compte qu’ils ont un coup à jouer pour tenter de constituer une majorité d’alliance avec des députés consensuels. Peut-être pas tout de suite, mais l’exécutif doit se dire qu’au fil des blocages systématiques que les Insoumis et le RN ne manqueront pas d’opposer, la crédibilité de l’Assemblée en prendra un coup et réveillera des élans plus consensuels de députés plus raisonnables. L’intérêt des Français avant tout, non ?

Au fond, avec les députés des Insoumis et du Rassemblement National qui, eux, ne voteront évidemment pas de projets de loi majeurs, ces deux groupes ne représentent que 173 députés dans l’hémicycle, deux députés de moins que le groupe Renaissance.

Il y a peut-être plus de députés que ce que l’on croit qui pourraient jouer les Rhénans !

Par exemple, cet esprit rhénan, pourrait-il gagner quelques-uns des 51 députés de l’Assemblée nationale française qui ne sont membres ni de Renaissance, ni de la Nupes ni du RN ni enfin de LR. Parmi ces 51 « autonomes », affiliés à aucun parti, la plupart de centre gauche, de centre droit ou régionalistes, y aura-t-il des indépendants qui tenteraient de passer un accord de mandature avec le gouvernement, lui confiant la majorité absolue qu’il lui manque en échange d’engagements de réformes précises auxquelles ils sont attachés ?

Même parmi les communistes, les socialistes, les écologistes, certes alliés dans la Nupes mais autonomes tout de même, certains tenteront-ils l’aventure d’une forme de coalition pragmatique ? A l’allemande, à la rhénane ? Que les Verts français prennent de la graine outre-Rhin…

Ces 44 Rhénans qui manquent à la macronie basculeraient-ils d’une « opposition propositionnelle » comme la défend Bertrand Pancher, député réélu de la Meuse et qui reprend la tête du groupe Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires, composé notamment d’élus ultra-marins et corses, à un accord gagnant – gagnant sur une dizaine de propositions phares ?

Un « anti-macroniste pragmatique », comme se définit l’excellent Oliver Marleix à la tête du groupe LR, peut-il aboutir à un accord donnant – donnant, pour gouverner mieux, plus vite et plus loin. Le même Marleix confiait hier sur LCP qu’il serait absurde de faire tomber la Première Ministre dès son discours de politique générale. C’est déjà un début de flexibilité certes sans concession. L’enjeu pour LR n’est pas d’être une « béquille » mais bien de retrouver un sérieux, une respectabilité largement écornée par des années d’opposition.

Nous aurons un avant-goût du climat parlementaire, chaudron ardent ou Assemblée rhénane, avec la discussion du projet de loi sur le pouvoir d’achat. Cette préoccupation majeure des Français depuis six mois aidera-t-elle les députés à s’entendre sur une grande loi bouclier ou verra-t-elle la représentation nationale s’embourber, et embourber la France, dans des tranchées idéologiques ?

Dans cette dernière hypothèse de blocage institutionnel, Emmanuel Macron pourra toujours prendre les Français à témoin et dissoudre une Assemblée impossible. Mieux lui vaudrait une Assemblée rhénane.

 

Michel Taube

Directeur de la publication