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17H47 - lundi 30 août 2021

Tu fais quoi dans la vie ?

 

– Tu fais quoi dans la vie ?
– Prof

Elle ne se considère pas comme exceptionnelle, particulière ou différente des autres profs. Elle fait partie de ceux qui se lèvent chaque jour avec la volonté chevillée au corps d’enseigner, dans une classe souvent décrépie, aux ordinateurs en panne et au tableau noir abimé. Cette vocation, fort heureusement, permet aux profs d’inculquer leur savoir, heure après heure, à des élèves plus ou moins motivés.

Mais Cécile Chabaud, c’est quand même la prof qu’on aurait tous aimé avoir !

Dans son livre « Prof ! » elle nous explique son quotidien et nous donne (parfois) l’envie de retourner sur les bancs de l’école, avec une ribambelle de chapitres courts et de remarques bien senties.

L’invitation au Voyage

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté…

Vous me faites évidemment remarquer qu’on dirait le slogan d’un yaourt. Passé ce brillant commentaire, je dois vous dire qu’on est dans une chambre, hein. Les amants sont pas là pour jouer à la coinche. Je vous ai briefés sur Baudelaire.

On vous prévient, elle provoque sans vergogne : tout est bon pour retenir l’attention des élèves. Au-dessus de son tableau, elle a affiché la phrase de Bachelard : « Toute connaissance est une réponse à une question ». Car rien ne sert à rien. Et elle veut faire passer le message. Fort et clair.

« Depuis 22 ans, à chaque heure de cours il se passe quelque chose de drôle ou de grave, nous confie-t-elle, mais il se passe quelque chose ». Elle ouvre ainsi la porte de sa classe à ceux qui ne comprennent pas ce que c’est d’être prof aujourd’hui. Pour parler au plus grand nombre, elle a laissé aux vestiaires son style bon élève et a adopté une écriture pleine de peps et d’humour,  à la fois ciselée et mâtinée de gros mots.

Les génies du mal

(…) Rousseau : abandonne ses enfants à l’Assistance publique pendant qu’il écrit son traité De l’éducation.
 Hugo : se tape allègrement toutes les jeunes soubrettes qui se présentent dans sa maison. Maupassant : passe son temps dans les bordels à refiler sa syphilis à des pauvres filles qui n’ont rien demandé. 

Cécile Chabaud tout en clamant son amour de la littérature, n’hésite pas à faire descendre les grands noms de leur piédestal. « L’Assommoir » ? Elle parle de l’absinthe et des maisons d’aliénés. « Les Misérables » ? Place aux digressions sur les faiseuses d’anges.

C’est d’abord pour elle et ses amis que Cécile Chabaud a commencé à raconter ses petites misères et ses grands fous rires. Et, de fil en aiguille, un livre est né. « Tout ce qui nous révolte et constitue un frein dans notre métier, on en fait abstraction et on y va quand même. Parce que si on n’est pas là, les enfants ne travaillent pas » évoque celle qui a décidé de coucher sur papier ces petits moments qui surprennent, irritent, donnent le sourire ou la larme à l’œil.

Les noms des élèves, bien entendu, ont été changés. À l’exception de celui de Mehdi. Mehdi qui finit tragiquement l’ouvrage. Mehdi dont le court destin bouleverse immanquablement les lecteurs. « Parce que la vie pour ces enfants peut être terrible et il ne faut pas l’oublier », rappelle-t-elle. Mehdi… à qui les pires caïds du Blanc-Mesnil sont venus rendre hommage un matin blafard. Victime de la violence, du hasard, mais de l’éducation aussi.

Aujourd’hui, quand on demande à Madame Chabaud ce qu’il faudrait pour améliorer l’école, et donc, la société, elle répond : « Il faudrait arrêter le nivellement par le bas et avoir tous, parents, professionnels de l’éducation et politiques, un discours unanime et exigeant sur ce que le collège doit transmettre. Ce serait un premier pas. »

Dans trois ans, ça vote

Alors là…

Question : « Où se passe la scène ? Justifiez. »

Réponse : « La seine se passe à Paris. Parce que la seine. »

Parents, si vous passez par là, et comme disait M. Hessel : « Indignez-vous. »

Aïe ! « Quand on n’a pas les mots, nous précise Cécile Chabaud, on devient violent, car on reste étranger au monde qui nous entoure, frustré. D’ailleurs, le plus grand challenge des profs aujourd’hui consiste à travailler avec peu de moyens et donner le goût de la lecture et du vocabulaire ».

Résiste

Je demande de conjuguer « se taire », deuxième personne du singulier, au présent.

La réponse attendue, « tu te tais », a manifestement trop résisté à Ramiro qui, après avoir tenté « tu te tus », « tu tait » et « tu te taisait », a rageusement barré l’ensemble et écrit « tu fermes ta gueule ».

L’occasion d’expliquer à ses élèves que l’identité de chacun est livrée dans un texte. Le français (ou n’importe quelle langue d’ailleurs) comme fondamental de la rhétorique… Rendre compréhensible un discours rend crédible, ce qu’un simple « wesh », vous le concevrez bien, ne permet clairement pas. Néanmoins, nulle intention de se plaindre ou de baisser les bras pour la jeune femme. « Ce métier m’apporte autant que je lui donne ». En 22 ans, elle a rencontré des personnes magnifiques, qui lui procurent la force de continuer jour après jour.

Les Anciens

(…) Je sais qu’en refermant la porte, il s’en trouvera toujours pour dire « c’est grâce à elle si le français a été un joli moment ».

Je verse un sourire dans l’amertume de mon café. La fatigue m’a quittée, j’y retourne.

Un livre à feuilleter en famille, à dévorer à la rentrée, à offrir à un prof, pour rire en douce, partager avec ses enfants, échanger avec ses collègues, et parfois, oui, pleurer.

Prof ! de Cécile Chabaud

À acheter ici, à la Librairie ICI

Deborah Rudetzki

Directrice de la Rédaction

Cinq romans à offrir

Notre sélection de romans, tantôt noirs, tantôt parsemés de lumière, pour terminer l’année sur une touche littéraire.
Anne Bassi

La drague

Ombre sans ciel. Poèmes de de Jean-Marie Viala de Reilhac