Afriques
10H12 - vendredi 7 mai 2021

Aidons l’Afrique à devenir la « Nouvelle Chine » de demain. La chronique de Patrick Pilcer

 

La pandémie de la Covid 19, venue de Chine à la fin 2019, nous oblige à réfléchir à nos modèles de développement économique et à nos échanges internationaux. Que ce virus vienne d’un pangolin, d’un étal de marché ou d’une erreur d’un laboratoire de l’Armée Rouge Chinoise importe peu. Ses conséquences ont surtout mis en lumière notre trop forte dépendance aux entreprises d’un pays qui manie les échanges commerciaux comme arme géopolitique, n’hésite pas à organiser et profiter de pénuries, et considère la réalité des chiffres et des statistiques comme la téléréalité considère la réalité des relations entre les gens.

Il est évident à présent que nous sommes au bout d’un modèle né à la fin des années 1970, et qu’il nous faut penser notre modèle de demain. La Chine, sa capacité de production pendant longtemps à coût imbattable, et son marché intérieur de 1,3 milliards de personnes, vingt fois la France, deux fois et demie la population de la Communauté Européenne, du temps pas si lointain où la Grande Bretagne en était membre, a permis au monde entier de connaître une expansion économique remarquable, exceptionnelle, une longue période de croissance sans pression inflationniste. Mais ce modèle s’essouffle et les ambitions géopolitiques de ce pays toujours pas démocratique peuvent inquiéter. Il nous faut penser un nouveau modèle.

La Chine n’est pas la seule à pouvoir offrir des termes économiques attrayants. Si nous ciblons des coûts de production faible, autant investir au Vietnam, au Cambodge, au Laos. La France serait d’ailleurs très bien placée pour participer au développement économique de ces pays pour le siècle qui s’ouvre, et il faut que nous soyons très présents dans cette zone. Il y a l’Inde, bien sûr, et sa population de 1,3 milliards également. Et il y a l’Afrique, là encore avec une population de 1,3 milliards.

Ce serait une erreur de prendre l’Afrique comme une seule entité. La Chine, l’Inde peuvent l’être, et encore, mais l’Afrique, c’est une cinquantaine d’Etats très différents. Aucune similarité entre l’Ethiopie et l’Afrique du Sud, entre l’Egypte et le Gabon, entre le Mali, ou le Maroc et le Zimbabwe. Mais si on focalise notre regard sur l’Afrique de l’Ouest, francophone, voire sur l’Afrique francophone tout court en y incluant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, nous trouvons une zone économique qui peut être la Nouvelle Chine de demain.

Voilà un vaste territoire, riche de matières premières, avec une population extrêmement jeune, relativement bien éduquée, connectée. Les pays de cette zone connaissent des mutations fortes avec une urbanisation de plus en plus intense. Faute de développement économique suffisant, ces jeunes Africains sont attirés par l’Europe, par notre modèle politique et économique. Comme il est agréable de vivre dans un pays animé par la Liberté, l’Egalité, la Fraternité, la Laïcité, où le destin n’est pas déterminé dès la naissance, enfermé par le nom de l’ethnie, du clan ou de la tribu dont on provient, par l’argent de ses parents, par la couleur de sa peau ou par sa religion, où le mérite compte et non l’origine. Les plus brillants viennent s’instruire sur les bancs de nos universités et Grandes Ecoles. Beaucoup viennent y chercher de quoi vivre alors que leurs territoires regorgent de ressources énergétiques et minières, et de potentiel. Et le flux migratoire est massif.

La « pandémie du pangolin » est une opportunité que la France doit saisir pour aider nos partenaires africains à transformer le potentiel de ce vaste territoire voisin en réalité économique. A nous de construire avec les Africains les autoroutes et chemins de fer qui faciliteront leur développement. A nous de co-contruire avec eux leurs autoroutes de l’information, de placer leurs fibres optiques, mais aussi leurs hôpitaux, leurs écoles, leurs universités. Ces territoires ont besoin d’électricité. Aidons-les à développer leurs éoliennes, leurs mini-usines hydroélectriques adaptés à leurs villages, les maxi barrages adaptés à leurs centres urbains, leurs centrales solaires. Ecrivons avec eux le nouveau contrat économique qui permettra cette co-construction du développement, un new deal, un contrat qui ne soit pas de la simple sous-traitance mais une véritable aventure commune, une joint-venture.

Nous avons des partenaires qui aiment notre culture, qui partagent notre langue, et une partie de notre histoire. Eux ont depuis longtemps tourné la page de la colonisation/décolonisation. Ils souhaitent écrire avec nous la page de leur développement économique du XXIème siècle. Pourquoi Peugeot, par exemple, ne créerait pas sa prochaine usine de SUV en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, dans une zone où la marque est déjà appréciée, plutôt qu’en Chine où le pouvoir central va tout faire pour privilégier les constructeurs chinois ? Pourquoi STM, Infineon ou ASML ne créeraient pas une usine de semi-conducteurs de nouvelle génération à Libreville, une fois bien sûr la page Ali Bongo refermée, plutôt qu’à Shanghai, alors que la Chine tente de profiter de la pénurie de micro-processeurs, avant d’essayer de mettre la main sur Taiwan, et sa forte part de marché sur ce secteur ? Pourquoi Solvay ne bâtirait pas une usine chimique de nouvelle génération à Meknès ou Ghardaïa plutôt qu’à Yangchen ? Notre intérêt, économique comme géopolitique, devrait être de créer plus d’emplois stables et de richesse en Afrique, qu’en Chine…

L’Europe, et surtout la France, ont une carte à jouer majeure. La France doit être le pays moteur de cette transformation économique, de cette révolution, de ce new deal. Ce devrait être un des sujets forts de l’élection présidentielle de 2022, après un quinquennat où le développement économique de l’Afrique de l’Ouest a été, disons, quelque peu oublié, avec un ministre des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian, plein de bonne volonté et d’enthousiasme, mais cornaqué par un service Afrique à l’Elysée sans vision et sans inspiration. Il en va de l’intérêt des Africains, il en va de l’intérêt de la France. Et si nous gâchons pendant encore un quinquennat cette opportunité, si nous ne tendons pas la main à nos amis Africains, l’Afrique de l’Ouest sombrera dans l’escarcelle islamiste et nombre d’Africains viendront chercher une meilleure vie en France.  

 

Patrick Pilcer

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers

 

 

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