Edito
10H27 - vendredi 2 avril 2021

Et si la France et l’Europe recouraient aux vaccins chinois pour enfin réaliser une vaccination massive contre la Covid ? L’édito de Michel Taube

 

L’erreur devient faute lorsqu’on ne sait en tirer les leçons. La faute devient culpabilité lorsqu’on refuse d’en tirer les conséquences. L’Union européenne a échoué dans sa stratégie de commandes de vaccins contre la Covid. C’est patent, c’est évident, c’est incontestable.

L’Europe a été d’une naïveté puérile. Elle ne fabrique pas de vaccins et dépend donc des autres, principalement des États-Unis et du Royaume-Uni. La France est déstabilisée par la situation : la seule puissance du Conseil de sécurité des Nations unies à n’avoir pas son vaccin.

Avec le virus, c’est comme avec Internet : les Européens ont le RGPD quand les Américains et les Chinois ont les GAFAM et les BATIX. Avec la Covid, l ’Union européenne n’a pas le vaccin mais seulement les larmes des victimes du virus et de la crise économique et ses belles paroles pour tenter de récupérer quelques doses supplémentaires de vaccins auprès de Londres et de Washington.

Triste sort pour le « Vieux » Continent ! Et c’est un fervent partisan de la construction européenne qui le regrette amèrement.

La course au vaccin, c’est chacun pour soi : America first, United Kindom first, et pour les autres, c’est au plus offrant, comme Israël ou les Émirats arabes unis. Et l’Europe réclame (ou attend) les soldes, avant de s’étonner qu’elle soit servie en dernier.

Nous avions été parmi les premiers à proposer que d’emblée, vue la pandémie mondiale, les vaccins soient traités comme des médicaments génériques. Philippe Douste-Blazy, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, est plus pragmatique. Il faut dire qu’il a présidé pendant dix ans Unitaid. Il est aujourd’hui un des grands experts sur les financements innovants dans la lutte contre les grandes pandémies.

L’ancien ministre de la santé français vient d’écrire « Maladie française. Pandémie : et pourtant tout avait été préparé » (Ed. Archipel, 2020). De retour d’Afrique où il lutte contre la malnutrition des enfants (en explosion du fait de la pauvreté engendrée par la crise de la Covid), il nous confie : « le nationalisme vaccinal est une honte au niveau mondial. L’OMS souhaite reprendre un mécanisme que j’avais imaginé il y a dix ans contre le paludisme, le « Medecine patterns pool », première communauté de brevets pharmaceutiques, qui pourrait s’appliquer au Covid. Les Etats n’en prennent pas le chemin. »

Une idée pourtant plus efficace que l’Appel d’une vingtaine de chefs d’Etats, dont Emmanuel Macron, pour un traité international sur les pandémies. Une fausse bonne idée, comme souvent avec le président français : belle sur le papier, trop longue à mettre en place, trop générale, trop dans la pétition de principes et pas assez dans les solutions.

 

Pour un grand partenariat avec la Chine contre la Covid-19

Or des vaccins disponibles immédiatement, il y en a sur le marché mondial : qu’ils soient russes ou chinois, peu importe s’ils peuvent sauver des vies en Europe et nous permettre de relancer l’économie et une vie normale. Pour le vaccin français, on verra à la prochaine pandémie !

Certains pays de l’Union européenne, la Hongrie (le 16 février, le premier lot de 550 000 doses du vaccin chinois inactivé Sinopharm Covid-19 est arrivé à Budapest, la capitale de la Hongrie, premier pays de l’UE à acheter le vaccin chinois) et la République tchèque, ont franchi le pas, et il serait risible de les montrer du doigt comme de mauvais Européens. Soit l’UE, au lieu de gronder les laboratoires qui se rient d’elle et n’honorent pas ses commandes, décide d’élargir son panel de fournisseurs, en particulier à la Chine, soit la France doit le faire. Et le faire maintenant. Les retards, ça suffit ! On ne peut être dernier partout. Les masques, les tests, l’isolement des positifs… Maintenant les autotests et les vaccins.

Pourquoi la solution peut-elle venir de Chine ?

Alors que l’OMS vient d’accuser la vaccination européenne d’une lenteur « inacceptable », le laboratoire chinois Sinovac vient d’annoncer cette nuit le doublement de sa capacité de production de doses de vaccins, soit deux milliards de doses par an.

Selon les chiffres compilés par l’entreprise britannique spécialisée dans les données scientifiques Airfinity, ce sont environ 413 millions de doses qui ont été produites dans le monde début mars 2021. La Chine est devenue rapidement le premier producteur et domine la fabrication de vaccins avec près de 142 millions (34 % du total), tandis que les États-Unis ont dépassé le cap des 100 millions de doses produites (25 % du total). En Europe, la Belgique et les Pays-Bas ont fabriqué ensemble plus de 81 millions de doses (près de 20 % du total mondial), alors que l’Inde a contribué pour le moment à la production de plus de 42 millions de doses.

L’Agence de presse autrichienne a récemment rapporté que le chancelier autrichien Kurz avait souligné dans un communiqué que tant qu’une société de vaccins chinoise ou russe soumettrait une demande, l’Agence européenne des médicaments devrait envisager l’approbation et « il ne devrait y avoir aucun tabou géopolitique ». Le ministre allemand de la Santé Span a aussi déclaré qu’une fois que l’Agence européenne des médicaments l’a approuvé, l’UE n’a aucune raison de rejeter le vaccin chinois. « Quel que soit le pays dans lequel le vaccin est produit, tant qu’il est sûr et efficace, il peut être utilisé pour lutter contre l’épidémie. »

Retour en France : en attendant de pouvoir produire son propre vaccin qui se fait attendre, la France a pressé Sanofi de mettre à disposition ses lignes de production pour faire face à l’immensité de la demande. Or « toutes les capacités de production françaises sont saturées par d’autres vaccins, dans l’immédiat », indiquait mi-mars un porte-parole du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance. Estimant qu’il «n’y a pas, aujourd’hui de sites disponibles qui permettraient de développer par exemple le vaccin russe ou chinois ».

Si la vaccination massive des Français est à ce prix, la priorité est donc de renforcer la coopération sino-française. D’autant que les vaccins chinois sont aussi efficaces que le Pfizer BioNTech et le Moderna. Pour une fois, Jean-Luc Mélenchon a raison de proposer ce rapprochement sanitaire.

En effet, plusieurs laboratoires chinois ont élaboré des vaccins anti-Covid. Ce ne sont pas des amateurs. Sinopharm, pour ne citer que le plus grand d’entre eux, emploie près de 120 000 personnes. Ses vaccins ont déjà été administrés à des dizaines de millions d’individus, et pas seulement en Chine, qui a fourni une assistance vaccinale à 53 pays, dont 22 ont importé ses vaccins. Le Maroc, l’Indonésie, les Émirats arabes unis, le Chili et plusieurs pays africains, comme la Mauritanie, la Guinée équatoriale, le Gabon ou Madagascar, ont sauté le pas. Sinopharm annonce une efficacité à près de 80 %, ce qui est comparable à l’AstraZeneca rebaptisé, ô micracle, Vaxzevria. Aussi est-il incompréhensible que les agences nationales et l’agence européenne du médicament n’aient entrepris aucun essai de validation, une attitude dont la justification n’est assurément pas d’ordre sanitaire.

Évidemment, l’offre chinoise n’est pas seulement de portée humanitaire. La diplomatie vaccinale est à l’œuvre, en particulier en Afrique. La Chine l’avait déjà fait avec les masques. Et alors ?! Si Sanofi et Pasteur avaient été à la hauteur de leur réputation, nous aurions des vaccins pour les Français et ferions aussi de la diplomatie vaccinale, précisément en Afrique où la France perd de son influence. Emmanuel Macron n’avait-il pas proposé en février dernier que l’Europe et les États-Unis réservent 3 à 5% de l’approvisionnement en vaccins aux pays en développement, en particulier l’Afrique, précisant que vendre des vaccins aux pays africains à des prix exorbitants marquerait une « accélération des inégalités mondiales inédite » ?

 

Emmanuel Macron serait à la hauteur de son premier devoir, celui de protéger les Français, s’il négociait, dans le cadre de l’UE ou directement, des livraisons rapides et massives, notamment avec la Chine, pour nous permettre enfin de commencer une vaccination massive de ses concitoyens.

Comme le dit Gao Fu,dit George Gao, médecin chinois réputé, actuellement directeur du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, directeur adjoint de la Fondation nationale des sciences naturelles de Chine et directeur adjoint de l’Académie des sciences de la vie de Pékin : « Si le monde ne partage pas les vaccins, le virus divisera le monde. »

Y renoncer pour des motifs prétendument diplomatiques serait impardonnable.

Et Philippe Douste-Blazy qui, déjà dans les années 2000 lorsqu’il était ministre de la santé, avait milité pour mettre la politique internationale au service de la santé publique (et non l’inverse), de conclure : « Les vaccins n’ont pas à être européens, russes ou chinois. Les chefs d’Etats européens doivent convaincre leurs homologues russes et chinois de soumettre à l’Agence européenne du Médicament et à la Haute Autorité de Santé, que j’ai créée en 2004, l’homologation la plus rapide possible des vaccins chinois et russes. » 

L’Union européenne n’a pas le choix : elle doit accueillir tous les vaccins. Car nous sommes dans une course de vitesse qui se compte en dizaines de milliers de vies à sauver et en des sociétés entières à réparer.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

 

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Directeur de la publication