International
09H10 - mercredi 16 décembre 2020

Le geste : le covid a bouleversé nos manières de saluer

 

C’est l’histoire d’un directeur d’école publique élémentaire à Paris. Nous l’appellerons Monsieur K. Depuis vingt ans qu’il exerce, chaque matin, il serre la main de tous les enfants et de tous les parents qui les accompagnent à l’entrée de l’école. Une poignée de main bienveillante et ferme comme pour planter le décor et fixer le cadre, d’emblée, d’une scénographie qui commence : la journée de classe. Ce geste décisif, Monsieur K ne peut plus le faire évidemment depuis mars 2020. Il le remplace par une parole, un jeu de coudes et un regard peut-être plus appuyés.

C’est que la pandémie a radicalement modifié le rituel de la salutation. En Occident, mais aussi de plus en plus souvent en Asie, en particulier en Chine, le serrage de louche, ou poignée de main, est le modus operandi quasi généralisé, voire obligatoire. Il a d’ailleurs été jugé que le refus de serrer la main d’un client était une faute professionnelle (Cour d’appel de Grenoble, 14 septembre 2011). La même cause, si la main refusée est celle de son patron ou d’un collègue, peut conduire aux mêmes effets, sauf bien entendu si le refus a une motivation médicale. En revanche, la religion n’étant en principe pas une maladie, elle ne saurait juridiquement justifier une pareille attitude.

Entre amis, la salutation usuelle oscille entre accolade et embrassade plus ou moins appuyée. On est souvent moins exigeant quant à l’intensité et à la durée de l’amitié lorsque la salutation est destinée à une personne de sexe opposé. En français d’aujourd’hui, on dirait qu’un mec fait volontiers la bise à une meuf, même s’ils n’ont pas élevé les cochons ensemble !

 

Et puis le Covid arriva…

L’heure est donc désormais aux gestes barrière, une expression qui entrera sans doute dans la prochaine édition des dictionnaires, même si le débat fait toujours rage sur le fait de mettre ou non un trait d’union entre les deux mots, et s’il faut écrire le second au singulier ou au pluriel. Dans un même registre, la question de savoir si Covid est un homme ou une femme a été tranchée par l’Académie français mais nous continuerons à penser que cette sale bête ne peut être une femme… Parenthèse refermée.

Les gestes(-)barrière(s) ne vont pas avec le serrage de louche et encore moins avec l’accolade. Quant à la bise, elle en devient sanitairement impudique, ce qui pourrait satisfaire quelques féministes radicales qui pourraient y voir un début de tentative de viol.

Pour remédier à la frustration « salutatoire », il fallut en toute hâte inventer de nouveaux gestes : coude contre coude ou pied contre pied (quoi ? Se faire du pied ?!). Dans cette dernière hypothèse, il convient d’y aller en douceur, sans quoi la salutation pourrait se transforme en fauchage réciproque : O-soto-gari (grand fauchage extérieur dans le jargon du judo), avec tout le monde à terre !

 

Salutations ou qu’est-ce que l’homme ?

L’analyse anthropologique de la salutation conduit à deux conclusions diamétralement opposées : si l’on écarte l’impact de la tradition qui conduit au mimétisme et à la répétition béate des gestes, sans considération de leur portée, la gestuelle de la salutation peut répondre à un besoin social. Sa forme et sa nature, tout comme son intensité, peuvent également être un marqueur relationnel ou corporatiste. Les jeunes, notamment ceux des quartiers, adoptent parfois d’autres rituels, comme frapper son propre torse avant de joindre son poing à celui de son co-humanoïde, rituel dont il existe plusieurs variantes. Le social est aussi satisfait par le tactile. Dans ce monde d’écrans, où le virtuel prend une importance croissante, se toucher serait un besoin.

La vocation sociale de la salutation comporte également une forte dimension hiérarchique, généralement sans contact physique. Le salut militaire et le garde-à-vous, la prosternation devant le souverain, en sont quelques exemples. Attention : toucher la main de la Reine d’Angleterre à l’occasion d’un baise-main provoque un incident diplomatique !

Inversement, il serait aussi possible de considérer ces rituels comme un archaïsme primitif. L’être supérieurement intelligent que nous sommes pourrait fort bien s’en dispenser, au bénéfice d’une communication purement verbale, éventuellement complétée d’une légère inflexion du buste, comme dans certaines contrées asiatiques. C’est moins glamour que la bise. Et que dire du baiser à la russe (nous n’irons pas jusqu’au french kiss qui figure dans un autre registre) ?! Au sein de la famille ou entre amis intimes, nul besoin de cérémonial, car nul besoin de se dire que l’on s’aime ou que l’on s’apprécie… Quoi que ? L’accolade ou la bise peuvent alors être vues comme des gestes conditionnés, des automatismes, comme le chien qui réagit à la voix de son maître.

Notre vie sociale n’est pas seulement ritualisée lors des salutations. Par exemple, on se souhaite bonne santé en trinquant (faut-il y voir une contradiction ?). Mais la sincérité du vœu exige que l’on se retarde dans les yeux. En réalité, personne ne pense au sens profond du rite. Le geste est principalement festif. C’est un prélude à la dégustation (et parfois à l’ivresse). Il est aussi considéré que trinquer avec autre chose que de l’alcool dans son verre relève presque du blasphème, sauf bien sûr pour les musulmans ! Le rite peut ainsi devenir la traduction gestuelle de la superstition, comme celle du footballeur qui s’assied toujours au même endroit dans le vestiaire et répète à chaque match les mêmes gestes dans le même ordre.

Toujours est-il que la pandémie a bouleversé nos modes de salutation, au-delà même des gestes barrière. Le sourire est une salutation universelle dont nous avons été privés par le port généralisé du masque. L’avenir est donc à la télé salutation anglicisée : click and smile, donc ! Ou au geste respectueux japonais : mesdames, messieurs nos lecteurs, je joins mes deux facettes de mains devant moi et m’incline sincèrement devant vous !

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication

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