La chronique de Philippe Boyer
09H57 - mardi 3 novembre 2020

Post card #3 de Philippe Boyer : que sera le monde si Joe Biden est élu ?

 

Sans doute sommes-nous encore nostalgiques de cette Amérique protectrice et émancipatrice, celle qui libéra l’Europe en 1945, celle qui véhicula sa culture pendant les Trente Glorieuses, bref celle qui s’est tenue aux côtés de ses alliés comme de ses vassaux pendant des décennies. Sauf qu’il faut nous résoudre à remiser cette vision car cette Amérique-là n’existe définitivement plus. Et si demain Joe Biden est élu, il faudra se garder de penser que les « jours heureux » diplomatiques seront de retour. Certes, les relations internationales devraient gagner en sérénité, loin des tweets vengeurs et du comportement Isolationniste, nationaliste, et impulsif de l’ancien Président mais, et sur le fond, cette élection fera-t-elle véritablement bouger les lignes de la politique étrangère américaine ?

 

Gendarmes du monde : une époque révolue

Une chose semble certaine, Trump ou Biden à la Maison Blanche, les Etats-Unis ne seront plus jamais les gendarmes du monde tels qu’ils ont pu l’être pendant des décennies, en particulier pendant la Guerre Froide. Au cours de la dernière décennie, l’émergence de la Chine a bouleversé l’équilibre des forces et l’affectation des ressources américaines. Face à la Chine conquérante, tant au plan économique, militaire que du soft power de Pékin, un nouveau conflit de civilisation s’est ouvert mettant face à face l’Oncle Sam et le dragon chinois. Et l’Europe dans tout ça ? Si par le passé notre continent constituait un rempart contre le communisme, ce monde bipolaire n’est plus. De ce fait, les Etats-Unis se sont progressivement détournés des enjeux européens au point, sous la présidence Trump, de remettre en question la contribution financière de Washington au financement de l’OTAN. On se souvient de la stupéfaction des chefs d’Etats, réunis pour un sommet de l’Otan, lorsque Donald Trump affirma en conférence de presse : “I want to keep Nato, but I want them to pay[1],” (« Je veux rester dans l’Otan mais je veux que les autres paient »). Sous-entendu, les Etats-Unis ne continueront pas à être les premiers bailleurs de fonds de cette institution (22% du budget). Et de rajouter, plus récemment, dans un tweet vengeur « @NATO, very unfair to the United States! »[2] (L’OTAN n’est pas sincère avec les Etats-Unis).

 

Les priorités de Joe Biden

 Si le candidat Joe Biden est élu, à quoi faudra-t-il s’attendre en matière de politique étrangère ? Bien sûr, il y a son programme[3]. En substance : d’abord, réinstaurer des relations normalisées avec les partenaires des Etats-Unis, en ce compris l’organisation d’un « Sommet pour la démocratie » quelque part durant la première année du mandat. En cela, on peut déjà affirmer qu’il sera / devrait être nettement plus multilatéraliste que son prédécesseur. Ce ne sera pas difficile. On se gardera néanmoins de crier victoire du fait que Biden entend lui aussi privilégier un plan d’investissement massif pour promouvoir le «Made in America » attaquant ainsi Donald Trump sur son propre terrain. Cela devrait se traduire sur le plan des relations commerciales entre l’Amérique et le reste du monde, en particulier en direction de la Chine. Pour le reste, ses autres grandes priorités sont connues :  se donner les moyens d’en finir avec les guerres au Moyen-Orient (vœu pieux ?), maintenir l’effort pour combattre l’Etat islamique, renforcer l’aide américaine pour protéger l’allié de toujours, Israël. Somme toute, pas si loin de bon nombre d’actions de Donald Trump. Figurent en revanche d’autres axes qui, à ce stade, et sur le papier, pourraient bouleverser la nature de la politique étrangère de Washington. Notamment, la réouverture d’un début de dialogue sur le nucléaire iranien dès lors que Téhéran donnera de sérieux gages sur le sujet ou encore son soutien à l’Otan pour faire face aux nouvelles menaces. Pour autant, et sur ce dernier sujet, on peut douter que l’engagement financier des Etats-Unis à l’égard de cette institution héritée de la guerre froide augmente. Il faudra guetter ce qu’il faut entendre par « soutien ». On scrutera également les actes du nouveau Président en ce qui concerne le retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris et plus largement les actes de la nouvelle administration sur ce sujet de la bataille contre le réchauffement climatique. Cet axe-là figure en bonne place sur la plateforme présidentielle[4].

Bien sûr, et c’est une évidence, si le candidat démocrate l’emporte, bon nombre de lignes de la politique étrangère de Washington bougeront. Mais gardons-nous de penser que tout sera comme avant. Le monde a trop changé pour que nous retrouvions un semblant de jours heureux. Le feuilleton « Happy Days » fait partie de ces très vieilles séries américaines seulement rediffusées à l’occasion d’émissions souvenirs pour quelques nostalgiques de cette Amérique protectrice.

 

Philippe Boyer

Philippe Boyer est un contributeur régulier à Opinion Internationale tant sur des sujets en lien avec le numérique ou encore l’actualité internationale et géopolitique. On peut également lire ses analyses dans La Tribune et Forbes France.

[1] https://www.theguardian.com/us-news/2016/jul/27/donald-trump-nato-isolationist

[2] https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1164231651351617536

[3] https://joebiden.com/joes-vision/

[4] https://joebiden.com/joes-vision/

 

Lire les 3 Post card Elections américaines de Philippe Boyer :

https://www.opinion-internationale.com/2020/11/02/post-card-1-je-suis-joe-biden-et-japprouve-ce-message-la-chronique-de-philippe-boyer_80783.html

https://www.opinion-internationale.com/2020/11/02/post-card-2-hillary-en-a-reve-kamala-le-fera-la-chronique-de-philippe-boyer_80792.html

https://www.opinion-internationale.com/2020/11/02/post-card-1-je-suis-joe-biden-et-japprouve-ce-message-la-chronique-de-philippe-boyer_80783.html

 

 

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