La chronique d'Anne Bassi
06H54 - samedi 24 octobre 2020

« Mon frère, je ne l’aurais jamais choisi comme ami. » Les rencontres littéraires d’Anne Bassi avec David Le Bailly, en lice pour le Renaudot avec « L’autre Rimbaud »

 

Les frères Rimbaud. L’un s’appelle Frédéric, l’autre Arthur.

Deux garçons ayant grandi dans la même famille, avec les mêmes parents. A l’un le génie, à l’autre le néant. Comment est-ce possible ? Où se trouve la réponse ?

Frédéric deviendra conducteur de calèche dans les Ardennes, sera banni par sa mère, effacé des correspondances familiales et dépossédé des droits d’auteur générés par son frère.

Pourquoi ce silence autour de Frédéric alors que les deux frères étaient inséparables dans leur jeunesse malgré leur caractères si éloignés ? L’auteur a voulu redonner la parole à ce « sans voix », progressivement il dévoile l’autre Rimbaud en emmenant le lecteur à la rencontre de son personnage.

Mélange d’Histoire et de fiction, les recherches historiques sont entrecoupées par les réflexions personnelles de l’auteur.

« L’autre Rimbaud », paru aux Éditions Iconoclaste, est à la fois une enquête palpitante, un voyage dans les Ardennes et une réflexion sur le Destin.

Un livre en lice pour le Prix Renaudot dans la catégorie Essai qui sera décerné le 10 novembre 2020 et pour le Prix des deux magots qui sera remis début 2021.

 

Anne Bassi : votre premier livre « La captive de Mitterrand » est une enquête sur Anne Pingeot, la compagne de de François Mitterrand pendant plus de trente ans. « L’autre Rimbaud » est un roman-enquête sur Frédéric Rimbaud.  Les deux livres ont pour point commun des personnages qui vivent dans l’ombre d’un mythe. Ils sont soumis au silence. Pourriez-vous nous parler encore du personnage de Frédéric et de sa condamnation au silence ?  

David le Bailly : Frédéric est condamné au silence dès lors que sa famille prend conscience de la portée des textes d’Arthur Rimbaud. Ce ne sont pas, comme elle le croyait, des gribouillages d’adolescents, mais une œuvre unique qui fait l’admiration d’écrivains célèbres. Des journalistes s’intéressent à la vie d’Arthur : son soutien à la Commune de Paris, ses écrits blasphématoires, sa relation avec Verlaine. Pour la famille Rimbaud, des propriétaires terriens du sud des Ardennes, très conservateurs, très catholiques, tout cela doit être tu. Isabelle, la sœur, va même plus loin : elle construit la légende d’un poète ayant renié ses poèmes et ses engagements, ayant vécu comme un Saint dans la corne de l’Afrique, revenu à la foi catholique dans ses derniers jours.

Avec Verlaine (qui meurt assez vite après Arthur), Frédéric est le seul à pouvoir démentir ce tissu de mensonges : non seulement il est en conflit avec sa mère et sa sœur, mais en plus il connaît parfaitement la vie d’Arthur, de qui il a été très proche dans sa première jeunesse.

Quand le journaliste Rodolphe Darzens propose de réunir dans un recueil les principaux poèmes d’Arthur Rimbaud, et sollicite pour cela l’autorisation de Frédéric, celui-ci la lui donne sans rechigner. « Comme plus proche parent du défunt j’autorise la publication de tout ce qui peut avoir trait à lui et sans aucun contrôle », répond-il.

On peut imaginer la colère d’Isabelle, qui finit par s’approprier les droits sur les poèmes d’Arthur Rimbaud. Cette même Isabelle qui, lorsqu’un éditeur la sollicite à son tour, a cette réponse édifiante : « Une partie de ces poésies exprime des idées et des sentiments dont l’auteur devenu homme, et homme honnête et sérieux, a eu honte et regret. Voilà ce que j’ai pensé. On pourrait faire un choix, supprimer et modifier quelques morceaux ; le reste est si joli qu’il serait peut-être encore publiable. » Frédéric Rimbaud était un homme simple, un conducteur de calèche, et surtout un homme pauvre. Avec les années, résister à l’emprise de sa famille devient de plus en plus dur. Il est la victime collatérale de la gloire d’Arthur Rimbaud : effacé des photos, son nom rayé de la correspondance d’Arthur publiée par Isabelle.

 

Vous décrivez la proximité des frères pendant l’enfance et leur indifférence à l’âge adulte et vous vous interrogez ainsi sur les liens mystérieux de la fratrie. Vous entrecoupez vos recherches par vos réflexions personnelles, ce qui inscrit votre roman dans le temps présent. Au cours de votre démarche d’introspection, vous dévoilez brièvement votre enfance de fils unique et votre rêve d’avoir un frère. Quel lien faites-vous entre la fiction et votre histoire personnelle ?

Au départ aucun. L’histoire de ce frère, conducteur de calèche dans les Ardennes, m’a intéressé à cause de l’opposition de destin entre Frédéric et Arthur. Voilà deux frères qui ont moins d’un an d’écart, élevés dans les mêmes conditions, ayant partagé la même chambre, très proches durant leur enfance : comment expliquer que l’un devienne une figure du génie universel, d’une précocité stupéfiante, et l’autre un modeste conducteur de calèche à Attigny ? Ce n’est que par la suite que j’ai découvert cette histoire d’effacement, de silence.  Et cette relation entre Frédéric et sa mère, une relation dure, cruelle, qui faisait écho à la mienne. Quant au thème de la fraternité, il m’intriguait, plus précisément la distanciation à l’âge adulte entre deux êtres inséparables durant leur enfance. Mais cela est très courant finalement. Et plusieurs amis qui ont des frères, et que j’avais interrogés, ont eu cette phrase : « Mon frère, je ne l’aurais jamais choisi comme ami. »

 

Frédéric Rimbaud a été dépossédé des droits d’auteur générés par son frère sur le fondement d’une déclaration d’acceptation de sa part mais faite par sa sœur. Trente ans plus tard, les actions des héritiers de Frédéric sont prescrites. Pourriez-vous revenir sur ce contentieux ?

A la différence de sa mère, de sa sœur, mais aussi d’Arthur, Frédéric n’était pas un homme d’argent. Quand Rodolphe Darzens sollicite son autorisation pour publier des poèmes d’Arthur, il ne pense pas un instant à lui réclamer de l’argent. Ce n’est pas le cas d’Isabelle, qui cède les poèmes d’Arthur Rimbaud au Mercure de France en 1898, sept ans après la mort d’Arthur. Sur un document que j’ai retrouvé, Alfred Vallette, le directeur du Mercure de France, raconte avoir interrogé Isabelle sur les arrangements financiers prévus dans la famille. Et Isabelle aurait eu cette réponse : « Frédéric, pour des raisons de famille, a renoncé à ses droits. » Evidemment, il est fort probable que Frédéric n’ait jamais rien su de cette transaction. Frédéric meurt en 1911, Isabelle en 1917. Les droits reviennent alors à son époux, Paterne Berrichon, biographe officiel d’Arthur Rimbaud, puis, après le décès de celui-ci, en 1924, à sa femme de chambre, qu’il avait épousée entre-temps. Durant plus de trente ans, ce fut donc cette femme qui géra l’œuvre d’Arthur Rimbaud. Les filles de Frédéric eurent beau intenter une action judiciaire, la cour d’Appel de Paris estima qu’elles avaient agi trop tard. Autrement dit, en plus d’avoir été effacé, Frédéric fut spolié, et ses enfants avec lui. 

  

Après vos longues recherches sur la famille Rimbaud, quel regard portez-vous sur Frédéric ?

Un homme simple – mais pas simple d’esprit comme on l’a prétendu -, et un homme droit. Un homme déterminé aussi, qui sut résister à sa mère quand celle-ci voulut s’opposer à son mariage. Au fil de mes recherches, et plus encore au fil de l’écriture, je me suis senti investi d’une mission qui dépassait le simple souci de raconter une « bonne histoire » : celle de redonner une voix, un visage, à un homme qui avait été effacé. Cet autre Rimbaud, je me suis attaché à lui, je me le suis en quelque sorte « approprié », il est devenu une part de moi. J’ai éprouvé ses peines, ses indignations, ses déceptions. Et je me suis senti le devoir de rétablir une vérité, de réparer une injustice.

 

Propos recueillis par Anne Bassi

Présidente de l’agence Sachinka et chroniqueuse littéraire d’Opinion Internationale, Anne Bassi publie le 9 novembre son premier roman, « Le silence des Matriochkas » (Editions Berangel).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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