La chronique d'Anne Bassi
13H26 - samedi 22 août 2020

Voyager à Paris à travers la littérature. Huit œuvres à lire ou relire pour finir les vacances en beauté. La chronique littéraire d’Anne Bassi avec Violaine Naud

 

 

Paris est bien triste sans ses touristes en été. Un peu plus déserte qu’à l’accoutumée, Opinion Internationale vous propose de visiter la Ville Lumière autrement… Anne Bassi, notre chroniqueuse littéraire, et Violaine Naud, vous proposent huit romans qui vous (re)plongent dans Paris. Comme si vous y aviez passé votre été 2020…

 

Paris travaille !

Zone, Guillaume Apollinaire

Dans ce long poème à la forme atypique qui met en scène l’opposition entre mondes ancien et moderne, on trouve aussi une ode à un Paris des travailleurs.

« J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom

Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes

Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent »

Ce Paris industriel fourmille d’activité. A chaque pas les passants manquent de se faire écraser par les autobus, le tout sous l’œil bienveillant d’une Tour Eiffel toute neuve. Un demi-siècle plus tard, Dutronc célébrera à son tour les travailleurs parisiens du quotidien. Une chanson elle-même inspirée d’un texte de 1802 écrit par Marc-Antoine-Madeline Désaugiers qui fêtait Suzette, la fleuriste de la Villette, et Gros-Pierre, le maraîcher de Vincennes, dans Tableau de Paris à cinq heures du matin.

Apollinaire voyage dans la suite du poème : à Marseille, Coblence, Rome, Prague, Amsterdam, avant de revenir à Paris, « devant le zinc d’un bar crapuleux », puis au petit matin, rentrant à pied vers Auteuil, alors que « les laitiers font teinter leurs bidons dans les rues. »

Loin d’une capitale momifiée dans sa beauté, le poète célèbre une ville vivante et ses habitants.

 

Paris commerce

Au Bonheur des Dames, Émile Zola

Depuis la parution de ce roman, en 1883, ses lecteurs ont été suspendus aux aventures de Denise Baudu, petite provinciale modeste arrivée à Paris, et d’Octave Mouret, puissant directeur du nouveau magasin baptisé Au Bonheur des Dames. Un roman optimiste, à la happy end rare ! Mais au-delà de l’intrigue sentimentale, on est aussi plongé dans une ville en pleine transformation. Georges Haussmann, préfet de la Seine sous le Second Empire, a fait percer de larges avenues, raser des quartiers entiers pour y construire de nouveaux immeubles. Une volonté d’éradiquer le fléau de l’insalubrité, et au passage de rendre moins aisée l’érection de barricades – la révolution de 1848 n’est pas loin-.

C’est dans ce contexte que naissent les grands magasins. Le Bonheur des Dames est d’ailleurs le vrai héros du roman, un personnage à part entière, décrit par Zola comme un ogre qui dévore peu à peu tout le quartier autour de la place Gaillon, condamnant les autres commerces à la faillite. « Il y avait là le ronflement continu de la machine à l’œuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages. » Personne n’échappe à cette nouvelle façon de commercer, aussi impitoyable que les engins venant détruire les masures parisiennes. Le quartier des grands magasins est né, et s’installe dans la durée dans le paysage de la capitale.

 

Sur les bancs de Paris

Vernon Subutex, Virginie Despentes

Ancien disquaire désormais à la rue, le héros de la série de Virginie Despentes est un looser magnifique et attachant qui passe beaucoup de temps sur les bancs parisiens (à partir de la fin du premier tome). Par exemple celui de la butte Bergeyre, dans le XIXe arrondissement, d’où il a une vue imprenable sur le Sacré-Cœur et les vignobles de Montmartre. Ou encore ceux des Buttes Chaumont, où il dort de temps en temps.

La situation de Vernon pourrait sembler désespérée. Et pourtant, malgré les dangers, les mauvaises rencontres, la maladie, il n’est pas atteint dans son être profond. « Parfois, il entreprend de se raisonner : il ne peut pas rester là indéfiniment (…) Mais alors même qu’il tente de renouer avec des idées pragmatiques, ça démarre : il part en vrille. Les nuages ont un son, l’air contre sa peau est plus doux qu’un tissu, la nuit a une odeur, la ville s’adresse à lui et il en déchiffre le murmure qui monte et l’englobe, il s’enroule à l’intérieur et il plane. » Les Parisiens qu’il rencontre, qu’ils soient grands bourgeois ou SDF comme lui, ne s’y trompent pas et viennent chercher auprès de lui une certaine sérénité. Apprendre à faire la manche à côté du Franprix, acheter du saumon dans une épicerie de luxe des beaux quartiers : on navigue entre la pauvreté et la richesse selon les personnages croisés par Vernon.

La vision de Paris que Virginie Despentes nous offre est à l’image de son style : prosaïque et crue, et traversée d’élans poétiques.

 

Paris se transforme

Sur Paris, Paul Scarron

Le Paris du XVIIe siècle de Paul Scarron est-il si différent de la capitale actuelle ? Bien sûr, la ville a encore une physionomie médiévale : maisons en bois, rues étroites, même si de grands travaux vont commencer. 400 000 habitants s’y entassent dans des logements souvent insalubres. Dans les cours intérieures, on trouve poules, cochons et lapins.

« Un amas confus de maisons

Des crottes dans toutes les rues

Ponts, églises, palais, prisons

Boutiques bien ou mal pourvues » écrit le poète, contemporain de Louis XIII et époux de Françoise d’Aubigné, la future madame de Maintenon. Mais la diversité des habitants, leur débrouillardise, leurs ambitions et leurs rêves, semblent les mêmes qu’aujourd’hui.

« Force gens noirs, blancs, roux, grisons

Des prudes, des filles perdues,

Des meurtres et des trahisons

Des gens de plume aux mains crochues

Maint poudré qui n’a pas d’argent

Maint filou qui craint le sergent

Maint fanfaron qui toujours tremble »

Le Cardinal de Richelieu embellit progressivement la ville, et y fait construire le futur Palais-Royal. Anne d’Autriche lance l’édification de l’église du Val-de-Grâce, qui deviendra un hôpital militaire en 1793. Puis Louis XIV, marqué par la Fronde, décide de déplacer la Cour à Versailles, marquant une pause dans la transformation de la capitale.

 

La traversée de Paris

Cercle, Yannick Haenel

Un homme attend le RER de 8H07 sur le quai de la station Champ-de-Mars pour se rendre au travail, comme tous les jours. Et décide de ne pas prendre le train. « C’est maintenant qu’il faut reprendre vie », se dit-il. Que fait-on quand on rompt les amarres de la routine quotidienne ? Le narrateur commence une errance poétique dans les rues de Paris. Sur un banc de l’île aux Cygnes, il feuillette son agenda saturé de rendez-vous et s’interroge sur ce qui rend libre ou prisonnier. Au milieu du pont de Bir-Hakeim, il vide sa sacoche dans la Seine. Sur le Pont des Arts, il fait la rencontre d’Anna Livia, une danseuse, « bras tendu de nymphe et jupe écarlate. »

S’il quitte par la suite Paris pour prolonger son errance ailleurs, c’est bien dans la capitale qu’il commence à écrire, punaisant les pages sur le mur de la chambre de son hôtel. « Le soir, le passage des bateaux-mouches les éclaire. La lumière tremble d’abord au plafond, par à-coups, comme une marée de petites vagues. En se retirant, elle passe sur les pages affichées. Alors une phrase, deux phrases, trois phrases s’éclairent par surprise, j’en vois le relief. » Paris marque le début d’un voyage intérieur, puis extérieur, le tout retranscrit par des phrases fulgurantes.

 

Paris (in)accessible

Dans les beaux quartiers, Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon

Durant toute leur carrière académique, le couple de sociologues s’est attaché à décrire les mœurs des classes aisées, et notamment leurs points d’attache géographique. Ils nous font découvrir dans plusieurs ouvrages les « beaux quartiers », regorgeant de secrets et de codes ignorés par les autres Parisiens. Les VI, VII, VIII et XVIe arrondissements « où l’on devine de beaux espaces et des appartements spacieux, de belles avenues, des magasins prestigieux et souvent de beaux jardins » sont, par nature, limités géographiquement : l’enjeu n’est donc pas le prix mais la rareté. Leurs habitants ? « Il s’agit de gens bien nés qui peuvent revendiquer le privilège de l’ancienneté et celui de l’héritage. » Et pourtant, derrière cette apparente homogénéité, bien des batailles se livrent, entre aristocrates déchus et nouveaux riches, chefs d’entreprise ou hauts fonctionnaires. Voilà pourquoi ces ouvrages sociologiques se lisent parfois comme des romans du XIXe. Lorsqu’ils nous ouvrent les portes des beaux quartiers, on découvre les stratégies mises en place pour acquérir ou conserver ces mètres carrés si précieux (dans tous les sens du terme), et la façon d’y rester « entre soi. »

 

Paris dans une bulle

Lutetia, Pierre Assouline

Nous fantasmons l’âme de Paris à travers ses rues, ses cafés, ses commerces, sa vie nocturne… mais, derrière les portes closes, certains lieux fermés sont à eux seuls une représentation miniature de la vie parisienne et de son fourmillement : les hôtels, dans lesquels Parisiens et voyageurs, oisifs et hommes d’affaires se suivent et se croisent, en se rencontrant ou dans la plus grande indifférence.

L’Hôtel Lutetia, unique palace de la rive gauche, fièrement dressé aux abords du Bon Marché à Sèvres-Babylone, fait partie de ces lieux mythiques qui renferment un morceau de l’âme de Paris.

Aujourd’hui, le palace a réouvert ses portes, après cinq ans de travaux. C’est l’occasion de le redécouvrir, en profitant sur place du bar Joséphine, mais également au travers de la littérature, en se plongeant entre les lignes du roman Lutetia de Pierre Assouline.

En 1938, Edouard Kiefer, un ancien détective des renseignements généraux, est chargé de la sécurité au Lutetia, qui voit alors défiler entre ses murs écrivains, artistes, businessmen, philosophes et journalistes. C’est lui qui, du soir au matin, gère le ballet presque chorégraphié des habitants permanents et temporaires du palace, du grand escalier du hall, d’où il observe chaque mouvement, au restaurant, tant fréquenté par les occupants de l’hôtel que par les Parisiens de passage ; des cuisines aux chambres, jusqu’à la petite terrasse installée sur le toit, où certains membres du personnel sont autorisés à jouer du jazz en vogue à Paris.

Il est là dans les années 30. Il est là, pendant la guerre, quand l’armée allemande, arrivée à Paris, occupe Lutetia, afin d’y installer les quartiers généraux de l’Etat Major. Il est toujours là quand, en 1945, il est arrêté pour duplicité avec l’ennemi. Ce qu’il s’est passé entre temps, les actions menées par cet homme, avant tout guidé par la loyauté et la fidélité envers son établissement, c’est ce que retrace le roman de Pierre Assouline, derrière une question : « jusqu’à où un homme peut-il aller pour conserver son intégrité ? ».

Avec lui, nous rencontrons cette âme de Paris, ses états d’esprits et ses contradictions d’avant-guerre, sa vie mise en suspend pendant l’occupation, et son climat oscillant entre culpabilité et allégresse, si spécifique à la Libération. Nous découvrons les secrets d’Edouard Kiefer comme ceux de son Palace. Comme ceux de Paris.

 

Grandir à Paris

Les Faux Monnayeurs, André Gide

Paris, dans les Faux Monnayeurs, roman publié en 1925 par André Gide, se fait le témoin de la jeunesse, de tous les âges de l’adolescence de cinq garçons, liés par les liens de la famille et de l’amitié.

Le Paris des Faux Monnayeurs, c’est les quartiers intellectuels et résidentiels des VIe et VIIe arrondissements, où les héros du roman de Gide gravitent ; où se situent les foyers de Bernard Profitendieu et des frères Molinier, ainsi que la pension Vedel-Azaïs pour adolescents.

 Le Paris des Faux Monnayeurs, c’est le lycée et les rues où Georges Molinier, préadolescent, entreprend innocemment avec ses camarades de collèges ses premiers méfaits, à la sortie des classes.

Le Paris des Faux Monnayeurs, c’est le Jardin du Luxembourg où Olivier Molinier et Bernard Profitendieu se retrouvent à la suite de leur bachot ; c’est ensuite les clubs littéraires du Faubourg Saint-Germain, où, suivant Passavant et Edouard, ils s’orientent inévitablement vers des chemins littéraires séparés.

Le Paris des Faux Monnayeurs, c’est l’Hôtel Particulier dans lequel se situent les appartements de Sarah, auprès de qui Vincent Molinier, déjà sorti de l’adolescence, réalise ce qu’il en coûte de vouloir grandir trop vite et de devenir un homme.

Le Paris des Faux Monnayeurs enfin, c’est tous les lieux précédents, où Etienne, oncle des frères Molinier, résidant à Passy, entre en résonnance avec ces jeunes hommes, les observe et les croise dans leurs quêtes adolescentes, tout en cherchant au milieu d’eux l’inspiration de son prochain ouvrage.

Ce Paris des Faux Monnayeurs, c’est le centre, c’est le quartier latin. Ce sont les hôtels particuliers dans lesquels vivent ces enfants aisés, ce sont leurs établissements scolaires, et leurs premiers lieux de débauche. C’est aussi un Paris plus sombre, dévoilant ses faces cachées, dont le jeu, le trafic de fausse-monnaie et la prostitution. C’est un Paris qui nous fait voyager, dans le début du XXème siècle, à travers ses quartiers, mais également en dehors de ses murs, jusqu’à la Suisse et la Corse.  

Anne Bassi et Violaine Naud

 

 

 

 

 

 

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