Edito
06H57 - jeudi 16 avril 2020

Coronavirus : et si Macron avait raison ? L’édito de Michel Taube

 

Ce sont d’abord les Français, toutes opinions politiques confondues, qui ont eu raison de dénoncer les retards, les erreurs, certains mensonges de l’exécutif, notamment sur les masques. L’humilité dont font preuve Oliver Véran, Édouard Philippe et même Emanuel Macron, en particulier dans son discours du 13 avril, cachent mal le fait qu’ils semblent suivre davantage la pression de l’opinion publique plutôt que de la devancer.

Nous tous, y compris les scientifiques jamais d’accord et pourtant (trop) sûrs d’eux-mêmes, avons nourri le débat, pointé les manquements, mis en exergue la manière dont d’autres nations ont affronté le Covid-19. Nous devons continuer à le faire, sans doute de manière plus constructive, pour contribuer à réussir la sortie du confinement et préparer le monde d’après. Cette sortie sera décisive pour que la France reste la France !

Par définition, le chef de l’État n’est pas seulement comptable des agissements du gouvernement, ni même de l’administration. L’État est bien davantage… Surtout sous la Vème République : dans notre monarchie républicaine, tout part du président et remonte à lui. Les gilets jaunes ne s’y étaient pas trompés. Les Français sauront le rappeler au chef de l’Etat à la sortie de la crise.

Emmanuel Macron, même s’il en avait quelque allure, n’a pas su être le Kennedy français que nous avons élu. Mais pouvait-il en être autrement ? Lui-même déclarait le 25 août 2017 que le pays n’est pas réformable parce que les Français détestent les réformes. En décembre dernier, avant-guerre, une poignée de conducteurs encartés dans quelques syndicats marxistes n’ont-ils pas su bloquer toute l’Île-de-France pour préserver leurs privilèges, et les Français, même les Franciliens, les ont approuvé dans leur majorité. Les Gilets jaunes avant eux, devenus rouges et violents, dévastèrent les centres-villes, et pourtant, les Français ont continué à approuver le mouvement. En mars dernier, en plein confinement, la CGT a lancé un appel à la grève générale dans la fonction publique au nom de la poursuite du combat social contre toute solidarité sanitaire. Nulle part sur la planète, pareille chose n’est imaginable. Même la victoire à la Coupe du monde de football, en 2018, n’a réjoui les Français qu’une seule petite semaine. Après, il n’y en a eu que pour l’affaire Benalla. Les spasmes de notre société et la veine gauchisante de l’opinion publique résistent à toute idée de réforme de ce modèle français qui révèle pourtant une fois de plus ses limites dans la crise du coronavirus !

Comment réformer un pays de rebelles ? Et pourtant, ne respectons-nous pas le confinement aussi bien voire mieux que certains Anglo-saxons ou Nordiques réputés disciplinés ? Les Français seraient plutôt un peuple schizophrène : nous voulons une chose et son contraire, comme la grève des transports et la retraite universelle en décembre dernier… Difficile de réformer dans cet état psychologique !

Imaginons qu’au début de l’épidémie, disons mi février, Emmanuel Macron ait annoncé aux Français qu’il s’est trompé ou qu’il l’a été par son conseil scientifique, par l’OMS et par le gouvernement chinois, que le Covid-19 frapperait de plein fouet la France, que nous avions un insurmontable problème de masques parce que les stocks ont été détruits par les gouvernements précédents, et que lui n’a pas songé à les reconstituer. Imaginons qu’il ait été totalement transparent sur la pénurie de tests, de lotions hydroalcooliques, de lits d’hôpitaux, notamment en réanimation, sur le dépeçage de l’hôpital public depuis plusieurs décennies, sur l’écrasante bureaucratie digne de l’Union soviétique qui pénalise la réactivité, l’efficacité de toutes les initiatives, même privées.

Imaginons que le président de la République ait eu le courage, l’audace et la véritable humilité de prévenir d’emblée les Français que nous sommes en retard sur presque tout et que n’aurons que l’arme des pauvres, c’est-à-dire le confinement total, cette double peine, pour éviter une hécatombe. Pire, qu’il nous faudra sacrifier nos anciens, les plus vieux et les plus fragiles, ceux qui finissent leurs jours dans les EHPAD (juteux business, à plus de 4000 € par mois à Paris !), car on ne les prendra pas en charge dans les hôpitaux, faute d’équipement en nombres suffisants. Et le président aurait pu ajouter qu’un confinement trop long conduirait au désastre économique, à une flambée du chômage, à une hausse des impôts, car il faudra bien que quelqu’un paye…

« Je ne vous promets que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » ! Les Français auraient-ils été capables d’entendre ces vérités, même enrobées dans un message entraînant, aux accents gaulliens ou, en l’espèce, churchilliens ?

Faute de machine à remonter le temps, cette question demeurera sans réponse. 

Mais, il n’empêche, Emmanuel Macron aurait eu raison de tenir un tel discours de vérité. Dès le départ de la pandémie. Dès que les alertes les plus alarmantes sont remontées jusqu’à lui. Mais ces alertes ont-elles seulement transpercé les barrières du Château ?

Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, est comme prisonnier d’un donjon inatteignable, celui d’un appareil d’Etat mastodonte et rouillé. Si certaines leçons de cette crise seront de portée mondiale, comme les dangers d’une mondialisation effrénée (on avait déjà commencé à le comprendre), dont la Chine est devenu le centre névralgique, d’autres seront surtout nationales, et en France, conduire à une réforme en profondeur de l’État, de l’organisation même des services publics et des partenaires sociaux.

Plus que le gouvernement, plus que Macron, c’est cette administration jacobine, centralisée, obèse, pléthorique, bureaucratique, tatillonne, qui pénalise la France depuis si longtemps, cette armée mexicaine de sous-chefs, au service d’une autre armée mexicaine d’élus (la moitié des communes d’Europe sont françaises), le tout émaillé de commissions Théodule improductives.

On comptait sur Emmanuel Macron pour faire ce grand ménage. Il a échoué ou renoncé. Peut-être a-t-il compris que sa mission était tout simplement impossible. En annonçant la suspension de toutes ses réformes dès le 12 mars, le président a profité de la crise pour mettre définitivement entre parenthèses son projet de réforme de la France !

Pire, la crise du coronavirus révèle l’urgentissime nécessité de refonder les institutions et tous les modes de représentation du modèle français : les retards coupables (criminels selon certains) à l’allumage de cette pandémie ne sont-elles pas principalement le fait des concurrences administratives, matinées de connivences commerciales parmi les élites médicales de notre système hospitalier ?

Or en bon libéral politique que nous sommes et assumons fièrement d’être, ce sont les institutions et les modes de gouvernance représentative qui façonnent la conduite publique des hommes ! On le voit tragiquement aujourd’hui en matière de santé publique.

Notre République centralisatrice et administrative est morte avec la crise du coronavirus !

Or Emmanuel Macron, lorsqu’il a voulu réformer (légèrement) la Vème République en 2017 et 2018 (avant que l’affaire Benalla ne vienne stopper ses ambitions constitutionnelles), qu’a-t-il voulu faire ? Renforcer encore et encore les pouvoirs de l’exécutif et la centralité des décisions. Tout ce qu’un Etat moderne doit éviter dans un monde aussi complexe et rapide.

Emmanuel Macron a eu raison de vouloir réformer la France. Il a eu tort de ne pas s’en donner les vrais moyens. Dans ce cas, quelles conséquences devrait-il en tirer, lorsque l’échéance de 2022 s’approchera ? 

Le 16 mars, dans son discours de guerre, le président de la République terminait son adresse aux Français sur ces mots : « je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences. »

Michel Taube

 

 

 

 

 

Directeur de la publication

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