Edito
13H25 - vendredi 13 mars 2020

L’Elysée a-t-il envisagé le recours à l’article 16 de la Constitution contre le coronavirus ? L’édito de Michel Taube

 

Article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.* »

Selon le JDD et plusieurs médias qui interrogeaient les constitutionnalistes toute la journée d’hier, le Président Emmanuel Macron aurait consulté, non seulement en vue de reporter les élections municipales – finalement maintenues, à la demande, semble-t-il, du Président du Sénat et de plusieurs leaders politiques – mais surtout de s’arroger les pleins pouvoirs au titre de l’article 16 de la Constitution. La lecture de cet article nous a laissé croire à un canular, même si le JDD n’est pas considéré comme un journal de plaisantins.

L’article 16 a inscrit la possibilité de donner les pleins pouvoirs à un seul homme (cela ne s’appelle-t-il pas la dictature ?) dans la Constitution et a donné un fondement juridique à ce basculement inouï, mais uniquement dans ces circonstances d’une exceptionnelle gravité, comme la guerre ou une catastrophe naturelle comme la France n’en a encore jamais connues. Cet article permet au Président de la République de s’arroger les pleins pouvoirs, comme naguère Louis XIV.

La France n’est aucunement dans un péril justifiant les pleins pouvoirs. Si personne ne peut en théorie empêcher le président de jouer à ce jeu dangereux (il lui suffit de consulter le Parlement et d’informer la nation), nul doute que cela aurait signé un tournant définitif dans un quinquennat tourmenté.

Rappelons que l’article 16 ne fut appliqué qu’une seule fois, par le général de Gaulle qui en fut l’initiateur, après le putsch des généraux en Algérie, lequel peut s’analyser comme un coup d’État.

Alors que la lutte contre la propagation du coronavirus exige d’éviter les rassemblements et de prendre des mesures certes fortes (des crèches à l’université, les enfants resteront chez eux), rien n’aurait permis de justifier une telle suspension des institutions.

Une autre hypothèse aurait été qu’Emmanuel Macron utilise l’article 16 dans le seul but de disposer d’un outil juridique pour reporter les élections municipales, ce que les constitutionnalistes contestent, puisqu’une loi peut-être votée en extrême urgence à ce seul effet ou un décret ministériel validé ultérieurement. Comme le disait hier à Ouest France Romain Rambaud, professeur agrégé de droit public, spécialiste en droit électoral : « Les électeurs sont convoqués par un décret pris en conseil des ministres. On pourrait donc très bien imaginer l’adoption d’un nouveau décret en conseil des ministres repoussant le scrutin et prolongeant le mandat des élus. Mais cet acte-là serait forcément un peu à la marge de la légalité, car contraire au code électoral. Il serait donc susceptible de recours devant la plus haute juridiction administrative.

« Mais ce n’est pas complètement impossible non plus. Il y a une théorie en droit administratif qui permet d’adopter des comportements très en marge de la légalité parce qu’il y a des circonstances exceptionnelles le justifiant. »

D’après le JDD, Emmanuel Macron aurait envisagé également une mesure moins radicale : l’état d’urgence, déjà mis en œuvre après les attentats islamistes de 2015. Mais même cette mesure ne se serait pas comprise. Quelle serait son utilité ? D’interdire les manifestations ? Même les gilets jaunes et les cégétistes les plus déterminés n’ont pas envie d’attraper le coronavirus. Même Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’il apporterait son entier soutien et même son aide au Gouvernement.

La justification de la dictature (dans l’hypothèse de l’article 16) serait de nouvelles données médicales dont le président de la République viendrait d’être informé. Il est vrai que voir la réaction de la Chine, puis de l’Italie, puis progressivement d’autres pays, laisse supposer que le coronavirus n’est pas la grippette que l’on voulait nous vendre sur un ton rassurant, il y a encore quelques jours. Le chef de l’état hier soir a clairement fait entendre qu’après les personnes fragiles, le coronavirus s’attaquera bientôt aux personnes valides. « L’épidémie va durer ».

Les informations les plus récentes, de France comme du monde entier, laissent supposer un taux de contagion bien plus élevé qu’on ne le pensait, si bien que l’on peut envisager que presque toute la population pourrait à terme être concernée. Bref nous serions tous bientôt des porteurs sains. Mais en contrepartie, la mortalité du virus serait bien moindre que ce qu’indiquaient les premières estimations, justement parce que de nombreux cas d’infections ne sont ni détectés ni déclarés. Peut-être qu’au final, le nombre de morts se comptera en milliers en France, principalement des personnes âgées ou fragiles. Mais plusieurs éléments scientifiques permettent de douter de cette perspective, l’un d’eux étant le renforcement des mesures de prévention collectives et individuelles, qui ont fait leurs preuves en Chine.

Que la motivation élyséenne soit d’éviter le désastre économique et la ruine de la France et des Français, ou de faire face à la catastrophe sanitaire du coronavirus, il n’y aurait pas eu matière à bafouer les institutions et la démocratie comme cela aurait été envisagé.

Reste une dernière hypothèse, qui est évidemment de la pure fiction. Emmanuel Macron aurait donc des informations scientifiques nouvelles selon le JDD… Si le coronavirus est aussi contagieux que la rubéole et aussi mortel qu’Ebola, alors on pourrait envisager le scénario du roman « le Fléau » de Stephen King, dans lequel la quasi-totalité de l’humanité est décimée par un virus militaire qui s’est rependu accidentellement. Si l’on avait vu hier soir Emmanuel Macron apparaître à l’écran en tenue de cosmonaute, on aurait pu se poser la question.

Au final, Emmanuel Macron n’a pas dégainé l’article 16. C’était donc une loufoquerie du JDD. Le JDD a donc commis une faute déontologique majeure en semant la peur jusque dans notre esprit démocratique. Ea folie ne s’est donc pas emparée de l’Elysée.

Michel Taube

 

 Suite de l’article 16 :

*Il en informe la Nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.

Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée. »

Directeur de la publication