Edito
07H48 - mercredi 4 mars 2020

Migrants venus de Turquie… et d’ailleurs : le cruel dilemme de l’Europe. L’édito de Michel Taube

 

Le refoulement des migrants par les garde-frontières grecs préfigure-t-il la réaction de l’Europe face aux migrations massives qui s’annoncent ?

Au prétexte que la Turquie ne peut gérer seule l’afflux de migrants réfugiés sur son territoire, et en violation de ses accords avec l’Union européenne, le président autocrate et islamiste Recep Tayyip Erdogan a décidé de les laisser partir vers l’Union européenne. Par milliers, ils se précipitent déjà depuis trois jours vers la Bulgarie et surtout vers la Grèce. Ils étaient hier 13.000 à se masser le long des 212 km de la frontière terrestre gréco-turque, au bord du fleuve Evros.

Les garde-côtes grecs tentent d’empêcher les embarcations de migrants d’accoster sur les îles à l’aide de perches et en tirant à la mitrailleuse dans l’eau. Des citioyens grecs, excédés, ont aussi refoulé des bateaux parvenus jusqu’à la côte.

Et ce n’est qu’un début. Recep Tayyip Erdogan menace d’envoyer vers l’Europe des millions de migrants s’il n’est pas soutenu dans la guerre qu’il a déclarée à la Syrie, sur le territoire syrien, oubliant qu’il aura également à faire face à l’armée russe, autrement plus puissante que celle du génocideur syrien Assad qui a, il est vrai, déclenché, lui, les hostiliités à Idlib, en violation des accords de Sotchi et du droit international humanitaire.

Et comment l’Europe pourrait soutenir le tyran d’Ankara qui soutient les djihadistes de Daesh en Syrie ? S’il fallait choisir un camp, non merci, pas celui-là !

 

Défendre les frontières de l’Union européenne plutôt que de restaurer des frontières internes

Néanmoins, le terrible spectacle offert par ces Syriens, Afghans et autres Somaliens fuyant la guerre ou la misère présente un intérêt géopolitique prospectif. Si effectivement, Erdogan incite les quatre millions de migrants présents sur son territoire à se ruer vers l’Europe, les Grecs ne pourront pas les arrêter sans une véritable solidarité européenne.

Comme le clamait Vincent Ledoux, député du Nord à l’Assemblée Nationale lors des questions au gouvernement hier, « aujourd’hui, notre frontière est Kastanies au nord de la Grèce ! ».

Car sauf à décider d’accueillir tous les migrants, l’Europe aura tout intérêt à protéger ses frontières extérieures et non, comme le laissent croire mensongèrement les nationalistes, à rétablir des frontières entre pays de l’UE. Dans le cadre des accords de Schengen, le renforcement de Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, gagnerait à devenir un corps comparable aux garde-frontières des États-Unis, avec des agents de plusieurs nationalités (sous direction grecque aurait du sens) venant de toute l’UE, protégeant nos frontières communes.

Pour l’heure, les dirigeants européens se contentent de déclarations, comme Emmanuel Macron sur Twitter : « Pleine solidarité avec la Grèce et la Bulgarie, la France est prête à contribuer aux efforts européens pour leur prêter une assistance rapide et protéger les frontières. Nous devons agir ensemble pour éviter une crise humanitaire et migratoire. » La chancelière allemande Angela Merkel s’est contentée d’un couplet protestataire, jugeant « inacceptables » les pressions d’Ankara « sur le dos des réfugiés. »

Espérons qu’à Zagreb le 6 mars, en sortant du conseil extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l’Union, Jean-Yves Le Drian, en son for intérieur, ne reprendra pas les termes de la question de Vincent Ledoux : « dans cette affaire comme dans d’autres, l’Europe s’est montrée dispersée, indécise et procrastineuse et notre communauté internationale prise au piège de ses nombreuses contradictions ! » La Grèce et l’Union ne s’en remettraient pas !

 

Comment faire face à un afflux de millions, et demain, de dizaines voire de centaines de millions de réfugiés ?

Car les images des garde-côtes grecs tirant des coups de semonce pour faire reculer les migrants interrogent sur la méthode qui devrait être employée si la Turquie ouvrait pleinement les vannes.

Quand bien même Erdogan ne mettrait-il pas ses menaces à exécution, comment faudra-t-il réagir lorsque, dans quelques décennies, les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique, en particulier la submersion de terres et la détresse hydraulique, provoqueront des mouvements migratoires jamais connus dans l’histoire de l’humanité ? En ce sens, la mise à exécution de la menace turque n’aurait-elle pas valeur de répétition générale ? Lorsque le phénomène atteint une pareille ampleur, il devient impossible d’appliquer des filtres ou des quotas. Accepter un ou deux millions de réfugiés n’a pas de sens s’ils sont dix ou cent fois plus nombreux à vouloir gagner l’Europe, par tous les moyens et avec la plus farouche détermination.

Le choix sera entre la fermeture des frontières et l’accueil massif. Les deux hypothèses conduisent au désastre : accueillir, c’est d’abord avoir la certitude que l’extrême droite accédera au pouvoir en Europe. La montée des populismes doit beaucoup au million de réfugiés arrivés en Europe en 2015 sans anticipation ni – souvent – insertion des populations.

Pourrait-on même reprocher aux peuples européens d’être effrayés par une invasion réelle, factuelle, et non fantasmée, quand bien même ne pourrait-on pas reprocher aux migrants, aujourd’hui politiques et économiques, demain climatiques, de tout faire pour échapper au pire ?

On entend déjà les bonnes âmes d’une intelligentsia parisienne jamais avare de leçons, distribuer les mauvais points aux méchants racistes grecs qui n’ouvrent pas leurs bras à ce flot de migrants, parmi lesquels se cachent aussi des djihadistes, ce qui est partie intégrante de la menace Erdogan. Eux – ces bobos parisiens et français, qui n’ont jamais accueilli un seul migrant dans leur demeure et qui, à juste titre, ne seraient guère enchantés que Paris soit violemment envahie et squattée (les habitants de la Porte de la Chapelle et de Stalingrad en savent quelque chose), devraient prendre conscience que cette présentation biaisée de la réalité ne peut que contribuer à accélérer l’avènement de l’extrême droite.

En revanche, il faut dénoncer tous les traitements inhumains et dégradants qui pourraient être infligés aux migrants, même dans l’attente de leur refoulement. Les 21.000 réfugiés entassés dans le camp fermé de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, survivent dans des conditions de précarité désespérantes. Même en France, les campements sauvages tels que ceux qui subsistent toujours à certains abords du périphérique parisien, n’honorent pas la patrie des droits de l’homme.

In fine, la question à laquelle l’Europe et au-delà les pays plus ou moins tempérés devront répondre est simple et binaire : soit nous ouvrons nos portes, parce telle est notre approche humanitaire et que nous sommes tous citoyens du monde, soit nous nous barricadons, et si nécessaire, tirons en l’air sur les intrus pour les faire reculer, ce qui ne manquerait pas de déclencher des réactions aussi violentes que le terrorisme.

C’est donc à un jeu perdant-perdant que nous serons conviés à jouer. Peut-on y échapper ? S’agissant du différend actuel avec la Turquie, nous sommes encore dans un cas typique des relations internationales fondées sur les rapports de force et les jeux d’intérêts. En somme, on peut encore espérer trouver un terrain d’entente avec Erdogan, principalement en dégainant l’arme la plus puissante de l’Union européenne : le carnet de chèques. L’alternative est la menace de sanctions économiques dans le but de faire plier l’autocrate d’Ankara. En revanche, face à une migration climatique d’immense envergure, aucune solution ne semble crédible. N’a-t-on pas échoué (les dirigeants africains y sont pour beaucoup !) à développer les pays pauvres pour endiguer la migration économique ? Quant aux guerres qui génèrent d’autres flux migratoires, l’Occident s’est montré plus efficace pour les déclencher que pour les arrêter.

Peut-être faudrait-il demander à la fée Greta Thunberg de mettre fin au réchauffement climatique à coups de baguette magique ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication