Droits pratiques
07H30 - mardi 29 octobre 2019

Interdire les listes communautaristes aux municipales : un vœu pieux face aux contraintes du droit. La chronique de Didier Maus

 

La proposition d’interdire lors de prochaines élections municipales les « listes communautaristes » rencontre une adhésion facile de la part, avant tout, des Républicains de tradition (qui n’ont rien à voir avec les membres de LR) et, ensuite, de tous ceux qui, à travers cette nouvelle règle, voudraient stigmatiser la religion islamique. Le communautarisme est fondamentalement contraire à l’esprit de la République, mais est-ce suffisant pour que le Parlement adopte d’ici Noël, à moins de quelques semaines du dépôt des listes pour les élections municipales de mars une telle innovation législative ?

La première difficulté réside dans la définition d’une « liste communautariste ». Avant d’interdire, il faut définir. Comment délimiter un comportement communautariste ou une expression communautariste ? Il ne suffit pas d’aligner les mots, il est indispensable qu’ils aient un sens et, surtout, une portée juridique. Que chacun se reporte à l’impossibilité de donner une définition juridique incontestable de « la religion », d’une « secte » ou d’un « groupe minoritaire » et on mesurera aisément l’ampleur de la tâche. Le communautarisme se caractérise logiquement par l’appartenance à une communauté ou, au minimum, par la volonté de faire prévaloir des valeurs communes par rapport à un ensemble plus vaste. S’il est aisé d’évoquer la « communauté des joueurs de pétanque » de telle commune, il est beaucoup plus délicat de cerner la communauté de celles et ceux qui professent une même identité religieuse, philosophique ou culturelle, qu’elle soit majoritaire, dominante ou minoritaire. Tous les membres de cette communauté virtuelle ne sont pas enregistrés dans un fichier. Heureusement !

Lorsque le législateur a voulu interdire le port du « foulard islamique » à l’école, il a été obligé de viser tous les signes d’appartenance religieuse, même si l’un d’entre d’eux était plus dans son collimateur que d’autres. Il en est de même pour la définition des « listes communautaires ». En admettant qu’il soit possible, à partir d’un faisceau d’indices, de définir une telle notion, comment la limiter à la sphère du sacré ? Que faire de listes ouvertement « communautaristes » comme celles de Chasse, pêche, nature et tradition ou d’un Parti animaliste ? Le communautarisme dépasse très largement les comportements inspirés par une pratique religieuse déterminée.

Au-delà de ce premier obstacle, la barrière la plus difficile à franchir serait celle des libertés d’expression et de candidature aux élections. Dans le droit français, comme dans celui des autres démocraties, le moment électoral est un moment solennel où toutes les idées ont vocation à se confronter et à participer au libre choix des électeurs. La liberté religieuse, puisqu’il s’agit souvent d’elle, trouve son fondement dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le Conseil constitutionnel et toutes les juridictions veillent de manière très stricte au respect de cette disposition. Admettons même qu’une liste, mal conseillée, propose de limiter dans la commune concernée la mise en œuvre de la laïcité, s’agit-il d’un trouble de l’ordre public ? On ne peut pas condamner sur des intentions.

Les limitations à la liberté de candidature aux élections, qu’elles soient nationales ou locales, doivent être strictement définies par la loi, sont appliquées de manière restrictive par le juge et ne concernent jusqu’à présent que des situations où la morale collective est en cause, par exemple une condamnation judiciaire. Comment faire entrer le « communautarisme » dans ce moule ?

Certes, l’article 4 de la Constitution dispose que « les partis et groupements politiques doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », mais il n’inclut pas, au sens propre, les valeurs de la République, avec au premier rang la laïcité. En 1958, il s’agissait, en tant que de besoin, de donner un fondement à une éventuelle action à l’encontre du Parti communiste, mais la liberté des partis politiques, et par conséquent de leurs prolongements sous forme de listes aux élections, l’a toujours emporté sur les autres considérations. Pour envisager une interdiction des « listes communautaristes », il faudrait auparavant compléter l’article 4 de notre Loi fondamentale, comme le proposait en 2015 le sénateur Jacques Mézard, devenu depuis membre du Conseil constitutionnel.

Autant dire que les élections municipales de mars 2020 permettront à des « listes communautaristes » de se présenter.

En revanche, rien n’interdit, bien au contraire, de les combattre au nom de l’universalisme de la tradition républicaine.

 

Didier MAUS

Ancien conseiller d’État

Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel

Maire de Samois-sur-Seine