Edito
09H40 - samedi 5 octobre 2019

Zemmour et les islamistes, même combat ! L’édito de Michel Taube

 

Eric Zemmour a dérivé et est tombé un peu plus dans un tourbillon qui est celui de l’extrême-droite. L’intellectuel n’est plus – et depuis longtemps – un journaliste éditorialiste mais un militant politique qui n’hésite plus à s’afficher avec une Marion Maréchal Le Pen, nouvelle égérie des nostalgiques du Front National et d’une vieille France ultra-conservatrice et nationaliste.

L’éditorialiste, l’intellectuel, souvent brillant, a droit à la liberté d’expression et au débat médiatique et public. Mais l’auteur de délits de haine, non ! En diffusant son discours à la Convention de la droite, LCI ne pouvait anticiper la radicalité ou la violence de ce qu’allait dire Zemmour. Les voici avertis désormais.

Zemmour a peur de l’Islam et nourrit la peur des musulmans dans ses sorties : ses propos sont de plus en plus des délits relevant de la haine de l’autre qu’il nous faut condamner avec force.

Condamné le 20 septembre dernier pour provocation à la haine religieuse pour des propos anti-musulmans prononcés lors de l’émission « C à vous » le 6 septembre 2016 sur France 5, Eric Zemmour avait affirmé qu’il fallait donner aux musulmans « le choix entre l’islam et la France ». Selon lui, la France vivrait « depuis trente ans une invasion… ». Eric Zemmour avait déjà été condamné en 2011 pour avoir légitimé les contrôles au faciès et la discrimination à l’embauche au motif que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes ».

Parce que 100% (ou presque) des terroristes se réclament de l’islam, Zemmour voudrait nous faire croire que 100% des musulmans, et pire l’Islam en soi, seraient un danger pour la République. C’est évidemment faux. Multipliant les stéréotypes et les préjugés essentialistes, Zemmour fait avec les musulmans ce que l’on a fait avec les juifs ! Zemmour est donc raciste. C’est insupportable.

Lors de son discours à la Convention de la droite, il a partagé avec les islamistes un point précis, fort justement pointé par Dominique Jamet : « une vision apocalyptique. (…) Ça me rappelle l’intervention de Goebbels : “Voulez-vous la guerre totale ?” C’était du même niveau ». Faites peur, faites peur, faites peur… il en restera forcément quelque chose dans les têtes, c’est-à-dire les germes d’une guerre civile.

 

En finir avec le « Grand remplacement »

Eric Zemmour n’a jamais été condamné pour diffusion de la théorie du « Grand remplacement » mais il est bon de rappeler à Zemmour lui-même et à toutes celles et ceux qui seraient tentés d’y croire que cette théorie est née à la fin du 19ème siècle, qu’elle est raciste et antisémite qu’elle a été reprise par les nazis, et plus récemment par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus (Le Grand remplacement, paru en 2011).

Non, il n’y a pas de substitution délibérée de la population européenne par des Maghrébins et autres Africains, avec la complicité des élites politiques et intellectuelles occidentales. Ainsi décrit, le Grand remplacement serait un complot « mondialiste » et non un fait démographique. C’est évidemment faux.

Mais abstraction faite de toute spéculation complotiste, l’analyse démographique et l’observation du quotidien permettent de convenir que la France change. L’islam est devenue la deuxième religion de France et comme les doctrines salafistes et fréristes gagnent du terrain parmi la population musulmane, notamment auprès de milliers de convertis chaque année, les habitudes vestimentaires, les convictions changent et se voient dans les rues de certains quartiers et villes de France. Il faut nommer les choses et ne pas ignorer les réalités !

Les études corroborent cette observation : il ressort notamment des rapports de l’INSEE une progression régulière des naissances d’enfants dont l’un des deux parents au moins est étranger ou né à l’étranger, alors que celles d’enfants dont les deux parents sont Français ou nés en France diminuent. La France compte un million d’immigrés de plus qu’en 1999. On estime que depuis 2011, près de 200 000 nouveaux immigrés s’installent en France chaque année, principalement en Île-de-France, dont environ le tiers de la population est issu de l’immigration. Mais d’autres étrangers quittent la France, avec pour effet que le solde migratoire annuel serait inférieur à 50 000 personnes, chiffre ne prenant pas en compte l’immigration clandestine.

Dans son livre Décadence, paru chez Flammarion en 2017, le philosophe de gauche (sauf aux yeux des marxistes) Michel Onfray souligne que « si les Européens judéo-chrétiens ne font plus d’enfants, les nouveaux Européens arrivés avec l’immigration produite par les guerres occidentales en provenance de pays massivement détruits par l’Occident, modifient la configuration spirituelle, intellectuelle et religieuse de l’Europe. Ces peuples sont en effet en grande partie musulmans. Ils fuient légitimement la guerre, l’anarchie, le chaos, la misère créés par les armées américaines et leurs coalisés, dont la France et nombre de pays européens. Ces nouveaux Européens, donc, prennent le relais démographique car leurs taux de natalité en expansion compensent le taux de natalité effondré des Européens post-chrétiens tout acquis à la religion de l’individualisme consumériste. Une fois encore, la chose n’est ni bonne comme le croient les islamophiles, ni mauvaise comme le pensent les islamophobes, elle est – comme le sait le tragique. »

Nul besoin de statistiques pour prendre conscience de la mutation de la population, non pas de manière uniforme sur l’ensemble du territoire, mais dans certaines zones géographiques. Marseille ou Paris, et plus encore leurs banlieues, en sont des exemples édifiants. La population musulmane est majoritaire dans certaines communes, en particulier de Seine Saint-Denis, et il est frappant de constater que dans certains quartiers, la (quasi) totalité des femmes sont voilées. Ce n’est pas être islamophobe que de le regretter avec force et conviction sans pour autant stigmatiser ces femmes voilées ni encore moins de les soupçonner d’être des terroristes en puissance !

Éric Zemmour, puisque c’est à lui que cet édito est consacré, même si l’on peut douter qu’il mérite tant d’égard et d’attention, n’aurait donc peut-être pas tout à fait tort. Son tort, et même sa faute, est de ne proposer que le rapport de forces et la guerre, civile ou non, d’attiser les haines, de faire abstraction des causes des problèmes, rendant impossible leur traitement serein. S’il est encore possible d’éviter le pire, ce n’est pas Zemmour, Le Pen ou Maréchal qu’il faudra suivre. Le fait qu’ils amplifient certaines vérités ne fait pas moins d’eux des imposteurs.

 

Les musulmans laïcs doivent remplacer l’islam politique

La vérité est que l’Occident doit réinventer un projet, un espoir, une promesse plutôt que de condamner des visions qui progressent contre elle.

La vérité, c’est aussi que l’Islam de France doit se réformer, en profondeur, afficher une modernité sans réserve (respecter les incroyants et la liberté de conscience, promouvoir l’égalité hommes – femmes, l’abolition de la peine de mort, le droit d’être homosexuel…) et faire la guerre aux salafismes et aux frérismes de tous poils qui la minent de l’intérieur.

Dans son dernier livre Taqiyya !, Mohamed Sifaoui décrit par le menu l’infiltration des corps intermédiaires, services publics, associations, leaders d’opinion… par cet islam rétrograde et hostile à tout ce qui s’écarte de son dogme. Les Frères musulmans, aujourd’hui en position de force, et les wahhabites/salafistes se partagent ce véritable marché de l’obscurantisme. Refuser de combattre leur idéologie au nom du multiculturalisme ou de la peur de l’amalgame revient à s’en rendre complice.

Notre conviction, un peu folle peut-être, est que c’est du plus grand pays musulman d’Europe, la France, notamment parce qu’il nage dans un bain laïc, que l’Islam se réformera, comme le firent le christianisme et le judaïsme en leur temps.

Plutôt que d’écouter Zemmour, donnons la parole à des intellectuels musulmans qui ne cessent de mettre en garde les pouvoirs publics contre le danger de l’islam politique.

En particulier lorsqu’il s’exprime dans une réunion politique, Éric Zemmour nourrit cet amalgame et pervertit les esprits comme le fait le fondamentalisme islamique. Lui et toute l’extrême droite en sont également complices, en marginalisant les musulmans laïcs et en donnant du crédit au discours victimaire. Entre soumission et guerre civile, il ne conçoit aucune voie médiane…

Or la seule voie médiane, c’est de mettre en avant des musulmans laïcs et modernes, de les dresser en exemples de réussite qui susciteront dans les quartiers des vocations modernistes contre le travail de sape intellectuelle que mènent les islamistes !

C’est la seule condition pour reconquérir les territoires perdus de la République, pour reprendre le titre d’un livre collectif écrit sous la direction de Georges Bensoussan, publié en 2002 par les Éditions Mille et une nuits.

Emmanuel Macron semble l’avoir compris, sauf qu’il parle d’immigration là où il devait parler d’Islam politique pour désigner le problème à régler. La méthode n’est pas établie, mais il est évident qu’elle sera plus efficace si elle s’appuie sur les Français musulmans laïcs et républicains, encore majoritaires si on en croit les rapports de l’Institut Montaigne, que si elle les ignore, les stigmatise, les enferme dans une identité exclusivement musulmane. En ce sens, Éric Zemmour a tort. Une fois encore.

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication