Afriques demain
07H00 - samedi 14 septembre 2019

Femmes, jeunes, corruption, environnement : les défis que le prochain président tunisien aura à relever

 

Photo by FETHI BELAID / AFP

 

Place des femmes, avenir de la jeunesse, lutte contre la corruption… Les enjeux sociétaux sont au cœur de cette élection présidentielle, dont le premier tour se déroulera ce dimanche 15 septembre, mais aussi des élections législatives qui vont suivre, le 6 octobre 2019.

Huit ans après la « Révolution de Jasmin » qui a secoué l’État tunisien, mettant fin au régime de Ben Ali, ce sont donc 24 candidats et 2 candidates qui se bousculent pour se frayer un chemin jusqu’au palais présidentiel de Carthage. Des questions brûlantes pour la société se poseront au prochain président de la République [lire l’édito de Michel Taube sur les scénarios possibles du premier tour de la présidentielle] avec, en premier plan, l’autonomisation des femmes et l’avenir des jeunes, mais aussi la lutte tant rêvée contre la corruption. Autant d’enjeux sociétaux primordiaux pour la Tunisie – mais aussi pour le monde arabe, auquel elle devrait montrer l’exemple, du moins on l’espère.

Comment les candidat(e)s proposent-ils de répondre à ces enjeux ? Les débats télévisés – une première dans le monde arabe ! – diffusés par les principales chaînes du pays ont été suivis par près d’un tiers de la population. Ils ont permis d’y voir (un peu) plus clair dans les enjeux primordiaux de ces élections.

 

Autonomisation des femmes, égalité, représentativité… Un chemin encore semé d’embûches

La participation des femmes est l’un des enjeux principaux de l’élection présidentielle. D’ailleurs, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s’être inscrites sur les listes électorales en 2019, signe de leur intérêt quant à l’avenir que l’État tunisien leur réserve. Et pourtant, à quelques jours de l’élection, leur vote reste incertain. Se rendront-elles nombreuses aux urnes ? Si oui, pour quel(le) candidat(e) opteront-elles ? Quelles sont les propositions qui interpellent leur vote ?

Aujourd’hui, malgré l’amélioration de la représentativité des femmes en politique, pour ne citer que l’obligation de parité absolue qui a permis la présence de 47 % de femmes dans les conseils municipaux (certes, l’impératif paritaire est plus souple pour les législatives…), d’autres questions – et pourtant décisives! – restent en suspens. D’abord, il ne suffit pas d’avoir des femmes têtes de listes ou des femmes dans les conseils municipaux, les femmes doivent aussi être partie prenante des décisions : un chantier encore à construire, surtout quand l’on voit que seulement deux femmes – Abir Moussi (Parti Destourien Libre) et Salma Elloumi Rekik (El Amal) sur 26, soit 8% (on est loin de la parité !), sont candidates au poste de chef(fe) de la nation…

Ensuite, l’égalité hommes-femmes devant l’héritage en Tunisie, ambition pionnière dans le monde arabo-musulman, dont l’idée a été lancée à grand renfortsmédiatiques à l’été 2018 parfeu le président Béji Caïd Essebsi, est restée relativement sous silence lors de cette campagne électorale… Le chemin vers l’égalité hommes-femmes en Tunisie est encore long et reflète encore les divisions profondes qui subsistent au sein de la société tunisienne entre le religieux et le civil.

La démarche démocratique entamée en 2011 intégrant les femmes se poursuivra-t-elle avec le ou la nouvel(le) président(e) ? On l’espère…

 

PHOTO / FETHI BELAID

 

La jeunesse peut-elle attendre quelque chose des élections de 2019 ? C’est un autre enjeu clé de cette élection présidentielle : l’avenir de la jeunesse. Selon la Banque mondiale, le chômage des Tunisiens de 15-24 ans atteint 34,8% : un chiffre inquiétant qui propulse l’enjeu au cœur de la présidentielle mais aussi des législatives. Et même si les chiffres ont baissé depuis la révolution de Jasmin, on en est encore loin : trouver du travail reste l’une des principales préoccupations de cette jeunesse qui n’est pas toujours formée aux attentes du marché de l’emploi, même pour les plus diplômés qui constituent 30% des demandeurs d’emploi…

La jeunesse devrait donc être une priorité pour le ou la nouvel(le) président(e) et les députés qui seront élus. Car les Tunisien(ne)s ne comprennent pas que leurs préoccupations premières que sont le pouvoir d’achat, l’emploi, le contrat social, la répartition des richesses dans le pays, les inégalités territoriales ne soient pas la priorité du gouvernement tunisien et de l’Etat.

Au-delà de l’emploi, les jeunes manquent d’espoir, de perspective. Le nouveau pouvoir saura-t-il le leur donner enfin ? En tout cas, certains ont compris que leur avenir se joue aussi dimanche et ontlancé une plateforme, appelée « Chnowa barnemjek ? » (« Quel est ton programme ? ») pour vulgariser les programmes des candidats au grand public en comparant les différents programmes électoraux.

Et même si l’économie, la justice et les aides sociales ne relèvent pas des prérogatives du Président, de nombreux électeurs estiment que le(la) occupant(e) de Carthage devra être en mesure de mettre en place des outils de changement.

 

Lutte contre la corruption : un enjeu parfois détourné

La corruption est loin d’avoir disparu en Tunisie, au contraire, et c’est même un autre enjeu de premier plan de cette élection présidentielle. On n’a qu’à voir la succession de scandales qui ont eu lieu ces derniers jours ! Pour ne citer que l’arrestation de l’un des candidats favoris, Nabil Karoui, inculpé pour corruption et blanchiment d’argent…

Selon Chawki Tabib, premier responsable de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, les lobbys de la corruption ont profité de la faiblesse de l’État et de l’instabilité politique et se sont encore renforcés. Selonl’ONG Transparency International, 64% des Tunisiens estiment que le gouvernement n’est pas sérieux dans sa lutte contre la corruption.

 

Environnement : le grand absent de la campagne.

La Tunisie connaît une très forte dégradation de son environnement depuis huit ans. Des villes plus sales, des bandes côtières polluées, des scandales plus graves aussi viennent ternir la carte postale tunisienne. Il suffit de citer le scandale sanitaire éclaté il y a plus d’un an dans la ville côtière de Sadaya, près de la ville de Monastir. L’eau des habitants a été contaminée par un écoulement de produits chimiques venant des sociétés textiles et industrielles des environs, causant des cancers et d’autres maladies graves. Que feront les prochaines autorités ? Aucun candidat ne s’est vraiment risqué à prendre des engagements forts.

Pourtant, dans tout le pays, la sonnette d’alarme est tirée : une insuffisance en eau se couple à une inégale répartition de l’or bleu sur le territoire, mais aussi à une gestion de l’eau qui ne répond plus au contexte actuel. Une crise environnementale qui, mal gérée, devient progressivement une crise socio-économique.

Si l’on croit les derniers chiffres de la Banque mondiale, la population tunisienne, avec 467 m3 d’eau par personne et par an, se trouve aujourd’hui en dessous du seuil de stress hydrique, estimé à 500 m3 par personne et par an. À l’horizon 2030, ces ressources vont encore baisser pour arriver à 350 m3/hab/an. La Tunisie fait ainsi partie des 33 pays les plus exposés à une pénurie d’eau d’ici 2040…        

Pire, le Nord et l’intérieur du pays sont ceux qui localisent le plus de précipitations. Des inondations terribles et mortelles ont d’ailleurs dévasté le Cap bon (région de Nabeul – Korba) en novembre 2018. Au sud et au sud-est du pays, les ressources sont quant à elles (très) limitées…

La gestion des ressources hydrauliques est fort déficiante. 80% de l’eau issue des barrages est dédiée à l’agriculture et plus de 50% de cette eau est perdue dans les réseaux d’irrigation. Enfin, plus de 40% de l’eau à destination du réseau ville est perdue dans les canalisations.

On pourrait croire que les autorités ont plus ou moins saisi la gravité de la situation. Elles avaient lancé le « Plan quinquennal de développement socio-économique de la Tunisie 2009-2014 », un projet qui a été éclipsé par la révolution. En 2016, le projet “Eau 2050” propose une nouvelle feuille de route répondant aux exigences de la nouvelle Constitution tunisienne : le droit à l’accès à l’eau pour tous les citoyens, la conservation et la gestion durable de l’eau, le principe de discrimination positive en faveur des régions défavorisées ainsi que la décentralisation et la gouvernance locale.

Malheureusement, si l’esprit y est, les actes pas encore. Les nouveaux dirigeants de la Tunisie se lanceront-ils dans une nouvelle gouvernance hydraulique plus que jamais nécessaire ?

 

Abolition de la peine de mort, dépénalisation de l’homosexualité, suppression du service militaire obligatoire… Quelques autres débats sur la table des négociations.

Est-ce la brièveté de la campagne mais des sujets plus clivants, plus sociétaux n’ont pas enflammé les débats pendant cette campagne électorale. Pour des candidats, l’abolition de la peine de mort est un enjeu majeur pour les années à venir. Pour d’autres, c’est l’occasion de revenir sur l’article 230 du Code pénal tunisien condamnant l’homosexualité. Enfin, certains proposent de supprimer le service militaire obligatoire. Si ces débats refont surface – encore timidement – on est encore (très) loin du consensus.

 

Sofia Farhat

La jeunesse peut-elle attendre quelque chose des prochaines élections ?

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Chroniqueuse monde arabe d’Opinion Internationale