Edito
12H48 - vendredi 26 juillet 2019

Des gilets jaunes au maillot jaune : la France réconciliée. L’édito de Michel Taube

 

Le jaune, on en a plein la vue (et plus) depuis la naissance du fameux mouvement couleur canari. Et pourtant, on en n’en a jamais autant voulu, du jaune, même s’il ne s’agit pas exactement de la même nuance. En tout cas, le jaune est la couleur de l’année. Celle, aussi, du soleil de plomb et des canicules qui émaillent l’été. Les gilets jaunes ont été, sont encore marginalement, et seront peut-être à la rentrée, en tête du peloton de la contestation. Ils incarnent la France qui déraille, qui échoue, qui déçoit (même si c’est surtout sa direction politique et ses élites qui en sont tenues responsables). Les gilets jaunes, c’est la France qui pleure, qui râle, qui souffre.

Et puis vint Julian Alaphilippe (sans oublier Thibaut Pinot)… L’emblème du cyclisme, le Maillot jaune porté par un Français sur le Tour de France, et voilà que le jaune devient la couleur de la joie, de l’espoir, de l’amour de la patrie (mieux vaut le chauvinisme des supporters de sport que le nationalisme des militants d’extrême droite).

À tous points de vue, l’édition 2019 du Tour de France renoue avec la magie de cette compétition extraordinaire qui éclipse toutes les autres courses cyclistes. Bien plus qu’une compétition sportive, elle est un moment de communion nationale (surtout quand un Français est en situation de l’emporter), et une fête internationale, l’une des plus suivies et célébrées de la planète.

France’s Julian Alaphilippe (C) celebrates his overall leader’s yellow jersey on the podium of the eighteenth stage of the 106th edition of the Tour de France cycling race between Embrun and Valloire, in Valloire, on July 25, 2019. (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

 

Le Tour de France, franchement, on commençait à s’en lasser. Une semaine de plat avec principalement des arrivées au sprint, une semaine avec trois jours dans les Pyrénées et un contre la montre, et une autre avec trois jours dans les Alpes et des étapes de liaison. Mais surtout, une grosse équipe américaine ou britannique cadenassait le Tour, qui devenait aussi ennuyeux qu’une course de Formule 1. Sept années de Lance Amstrong réduites à rien après la perte de ses titres pour dopage, puis le règne des Sky devenus Ineos cette année, avec Christopher Froome puis Geraint Thomas. Le Tour devenait fade, sans suspens, au point que les aficionados en mal de sensations fortes, de surprises et d’imprévus, regardaient du côté du Giro italien ou de la Vuelta espagnole.

En 2019, la messe semblait une nouvelle fois déjà dite à l’avance, l’équipe Ineos (un géant britannique de la chimie) étant promise à la victoire. D’ailleurs, deux coureurs de cette équipe occupent deux des trois premières places du classement général, à deux jours de l’arrivée. Les spécialistes du cyclisme les voient bien monter sur les deux premières marches du podium final, et briser in extremis notre rêve bleu blanc rouge, celui d’une victoire française que nous attendons depuis 1985.

Car là est le désespoir des amoureux (français) de la petite reine : depuis la dernière victoire de Bernard Hinaut, les Français n’ont droit qu’à des places d’honneur ou des lots de consolation, comme le Grand prix de la montagne et son fameux maillot à pois.

Mais au matin du 26 juillet 2019, le maillot jaune est porté par le Français Julian Alaphilippe, numéro 1 mondial après ses nombreuses victoires dans des « classiques » (courses d’un jour). Du reste, un autre Français, Thibaut Pinot, meilleur grimpeur qu’Alaphilippe, est également en situation de l’emporter, les deux dernières étapes avant l’arrivée sur les Champs-Élysées étant promises aux grimpeurs. Tout est donc possible : un doublé français comme aucun Français sur le podium. Le suspens est cette fois à son comble.

 

 

La France derrière le Tour

Un Tour de France avec un Français en jaune, et un vrai espoir de victoire finale, cela change évidemment l’impact de la course en France et l’engouement qu’elle suscite chez les spectateurs. Mais même en faisant abstraction de toute dimension chauviniste, force est d’admettre que les organisateurs ont su, cette année, nous concocter un parcours exceptionnel. Comme le disait naguère Greg LeMond, ancien vainqueur américain de la grande boucle, le Tour de France, c’est le Super Bowl tous les jours !

Mais cette année, c’est l’hyper Bowl. Il y en avait pour tout le monde, en particulier en montagne, où les modestes Vosges ont permis à des puncheurs, comme notre Maillot jaune Alaphilippe, d’exprimer leur puissance. Ces dernières années, Italiens et Espagnols pensaient nous ridiculiser, en mettant au menu de leur tour respectif des pentes à 20 % sur de courtes distances. Et bien nous avons trouvé dans les Vosges un dernier kilomètre avec des portions à 25 %. Presque du cyclocross ! Plus beau, plus grand, plus fort…

À la télévision, le Tour de France est la troisième compétition sportive la plus regardée au monde, derrière les JO d’été et la Coupe du monde de football, qui n’ont lieu que tous les quatre ans. Balayés, le Super Bowl, le grand prix de F1 de Monaco ou la finale de Wimbledon. Et que dire du Giro d’Italie, relégué au rang de Tour de France de deuxième division. Le roi des dopés, Amstrong, avait déclaré du temps de sa (fausse) splendeur que le Giro était une très grande épreuve, mais que le Tour de France était dix fois plus grand !

 Le maillot jaune est le Graal absolu du cyclisme. Le porter un seul jour impacte davantage la carrière d’un cycliste que nombre de victoires ailleurs. Et le porter quatorze jours, comme c’est le cas de Julian Alaphilippe depuis le début du Tour 2019, transforme à jamais un coureur en star internationale.

Cette année, pour le centenaire du maillot jaune, les coureurs et le public ont même eu droit à un discours de notre maillot jaune national du moment, Emmanuel Macron, président de la République, en présence du Dieu Eddy Merckx, de Bernard Thevenet et de nombreux anciens maillots jaunes.

Gagner le Tour, cela équivaut à gagner la Coupe du monde de foot.

La France a gagné la coupe du monde (masculine) de foot il y a un an. Elle est championne du monde en titre. Dans ce pays qui doute de lui-même, où tant de Français ont porté un gilet jaune pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, la tunique jaune sur les épaules de Julian Alaphilippe ou peut-être ce soir ou demain sur celles de Thibaut Pinot nous mettrait bien du baume au cœur. De toute façon, ces quatorze jours en jaune et ce magnifique Tour de France, qui a également montré au monde entier à quel point la France est belle et diverse, sont déjà un magnifique cadeau estival est une victoire. Reste à la parachever.

Enfin, pour la petite histoire qui participe également à la grandeur du Tour de France, rappelons-nous que le groupe de musique électronique Kraftwerk lui avait consacré une chanson en 1983, puis un album en 2003. Kraftwerk n’est ni plus ni moins que le plus grand influenceur de la new-wave et de toute la musique des années 1980, de Depeche Mode à David Bowie en passant par Simple Minds ou Coldplay.

Julian et Thibaud, mettez-vous du Kraftwerk dans vos oreillettes avant d’escalader cet après-midi le col de l’Iseran, et ramenez-nous enfin ce maillot jaune à Paris !

 

Michel Taube

 

 

 

 

Directeur de la publication