Décideurs engagés
08H00 - lundi 10 décembre 2018

Bernard Bourigeaud : entretien avec un gentleman de l’esprit d’entreprise

 

Nouvellement nommé à la présidence du groupe Ingenico, le fondateur d’Atos, un des plus grands groupes de services informatiques et de paiements dans le monde, professeur affilié à HEC notamment, est un gentleman de l’entrepreneuriat. Fort de son expérience, il transmet le flambeau en investissant dans des startups, en soutenant la veine entrepreneuriale des jeunes et en publiant des ouvrages qui tentent d’expliquer le secret de sa réussite : mettre l’humain au cœur de l’entreprise. Entretien au cœur d’une actualité française très chaude…

Opinion Internationale : que vous inspirent le mouvement des « gilets jaunes » et la situation de la France ?

Bernard Bourigeaud : nous faisons face à une situation très sérieuse car la pauvreté a augmenté depuis quarante ans en Europe et aux Etats-Unis et atteint un point de rupture. Imaginez : près de 9 millions de Français n’ont pas de compte en banque.

Les décisions prises ces derniers jours pour répondre à la colère des « gilets jaunes » sont un empilement de mesures sans cohérence. L’économie française va en pâtir sérieusement même si l’image de la France ne va guère en être affectée : les étrangers savent que la France a fait la révolution et que notre pays est coutumier des grèves et des manifestations. Et puis le président Macron a bien restauré l’image internationale de la France.

 

L’un de vos livres s’intitule « Le projet qu’aucun candidat ne proposera », écrit avec Richard Bielle, président du directoire du groupe CFAO, aux Editions France Up!. Emmanuel Macron n’a-t-il pas justement eu l’audace de proposer un projet relativement libéral ou à tout le moins qui visait à libérer les énergies ? Le sort que lui font les « gilets jaunes » et une majorité de Français si l’on en croit les sondages n’est-il pas injuste ?

Certes, mais la mise en œuvre de son programme a manqué de clarté. La simplicité, une des clés de réussite de tout projet, n’a pas été au rendez-vous. C’est le moins que l’on puisse dire.

Dans le livre que vous citez, avec Richard Bielle, notre idée principale, d’inspiration libérale, était la création d’un revenu universel : tout Français recevrait un revenu dès ses 18 ans jusqu’à la fin de sa vie. Ce revenu remplacerait toutes les aides sociales et toutes les niches fiscales, chacune étant d’une complexité infinie. Dans notre « programme », tout le monde paierait l’impôt et non pas seulement 50% des contribuables comme c’est le cas actuellement, situation profondément injuste d’ailleurs. Ce serait une aide précieuse pour les jeunes dont la précarité est aujourd’hui une des causes principales de l’arrêt de l’ascenseur social. Il donnerait du pouvoir d’achat aux chômeurs et aux retraités, sainement de surcroît d’un point de vue macro-économique.

 

A quel montant serait fixé ce revenu ?

Selon nos calculs, basés sur la comptabilité publique de 2016, on l’a imaginé à 500 € /mois sous forme de crédit d’impôt.

 

Donc un « gilet jaune » qui travaille et gagne 1250 € par mois, toucherait ce revenu universel ?

Oui et chaque personne dans sa famille le toucherait. Cela solutionnerait largement les problèmes de fin de mois.

Je souhaite ajouter que la situation actuelle est aussi l’héritage de la réforme des 35 heures qui a été catastrophique, notamment parce que les patrons ont décidé, en contrepartie de cette mesure unilatérale et fort coûteuse, d’appliquer une modération salariale dont les salariés payent le prix tous les jours.

 

L’humain au cœur de l’entreprise

Les entreprises qui se développent le plus sont-elles, pour reprendre le titre de l’un de vos deux livres co-écrits avec Jacques Brun, « L’humain, la priorité des entreprises qui gagnent » (Ed. Eyrolles), celles qui placent l’humain au cœur de leur projet ?

Oui c’est ma conviction la plus profonde et toutes les études le prouvent. Pour diriger, il faut aimer les gens. Recruter, c’est l’acte le plus difficile et le plus stratégique et puis il faut intégrer, développer et épanouir les personnes.

 

Quels sont les indicateurs les plus concrets de la place centrale donnée à l’humain dans l’entreprise ?

Des dirigeants qui écoutent mieux et une place plus grande donnée à la direction des ressources humaines. Sachez que 30% des étudiants pensent aujourd’hui à créer leur propre entreprise car ils ne veulent pas ressembler à ceux qui vont les commander et ils veulent de l’autonomie. Ils veulent que leur travail donne un sens à leur vie et que l’entreprise dans laquelle ils s’épanouissent repose sur des valeurs fortes.

 

Mais n’est-ce pas du côté de l’humain que le bât blesse souvent. C’est aussi cette déshumanisation du monde du travail qu’expriment les peuples en descendant dans la rue ou en votant aux extrêmes ?

Dans une entreprise, le métier le plus difficile, c’est celui de directeur des ressources humaines car beaucoup de managers pensent qu’ils savent faire.

 

Quelles sont les valeurs d’une entreprise qui fédère aujourd’hui ses collaborateurs ?

Les valeurs, c’est servir et « aimer » son client… Une entreprise est d’abord une communauté de gens motivés pour servir le client.

 

Le client est donc encore le roi ?

Oui. Un client ne doit jamais souffrir de la complexité de votre organisation. Il y a ensuite l’engagement personnel : chaque personne, quel que soit son niveau dans l’entreprise, a un rôle à jouer et doit tenir son engagement.

Les valeurs, c’est aussi la convivialité. Une bonne ambiance. Un esprit collectif. Enfin, le courage, qualité rare et inversement proportionnelle à la taille des sociétés.

 

S’il y a un secteur dans lequel vous aimeriez créer une société demain matin ? 

J’investis dans beaucoup d’entreprises très différentes mais, ayant été membre du comité paralympique mondial pendant huit ans, j’y ai découvert un monde porteur de valeurs très fortes. Et je soutiens des projets dans ce secteur.

Ceci dit, demain matin, je créerais une entreprise dans les ressources humaines et le coaching qui sont vraiment LE secteur d’avenir car, partout, les collaborateurs ont besoin de se sentir bien au travail et ont besoin d’être aidés à se connaître et à se réaliser.

Dans une entreprise, tous les gens sont importants et ont besoin de reconnaissance.

 

C’est la maïeutique de Socrate façon Bernard Bourigeaud ?

Oui c’est un peu cela.

 

« Imagine 2019 » sera le thème de notre soirée de vœux prospectifs le 12 décembre : quelle personnalité fera l’année 2019 ?

J’ai une grande confiance dans le grand élan des jeunes qui veulent créer leur entreprise. Ils seront les héros de 2019.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

Directeur de la publication