Droits pratiques
19H13 - lundi 3 décembre 2018

Comment redonner de la légitimité à l’impôt ? Philippe Rosenpick, avocat, explique les enjeux de la crise fiscale que portent les gilets jaunes

 

En janvier 2017, Philippe Rosenpick, avocat associé au cabinet Desfilis, signait un article dans La Tribune sur la légitimité perdue de l’impôt. Nous étions à une autre époque – pas si lointaine certes – et pourtant ce texte est d’une actualité criante à l’heure de la mobilisation des gilets jaunes.

Si les Français continuent à les soutenir malgré les violences de ces derniers jours, c’est que la contestation fiscale a pris une ampleur sociale inédite. Dans cet article qu’Opinion Internationale publie à nouveau, Philippe Rosenpick explique combien il n’imagine d’avenir au capitalisme que s’il retrouve un but social permettant à la population de toucher les dividendes de son travail et de réduire les inégalités.

Comme l’écrivait La Tribune en introduction de l’article de l’avocat, « l’impôt peut devenir effectivement illégitime si celui qui le lève n’a plus la légitimité voulue. Il faut désormais agir et réussir. »

L’article de Philippe Rosenpick est saisissant en ce qu’il insistait déjà à l’époque sur la légitimité du président de la République pour « faire passer la pilule » de prélèvements obligatoires exorbitants. Un propos d’actualité en ces heures de contestations du président Macron par ceux-là mêmes qui disent non aux taxes supplémentaires.

A lire pour comprendre la légitimité à l’impôt et déterminer quelques pistes pour réconcilier les Français avec la chose publique…

 

La France ne va pas bien : croissance en berne, dette non jugulée, chômage non résolu, pouvoir d’achat des ménages qui se détériore, ascenseur social en panne et augmentation des inégalités, etc….et toujours plus d’impôts. La progression fiscale depuis plusieurs années est impressionnante, sans pour autant que cela ait permis de renverser les tendances ou de croire dans des lendemains meilleurs. L’impôt moderne revêt différentes fonctions : un rôle financier (investissements), un rôle économique (structurel et conjoncturel), un rôle social (redistribution des revenus), un rôle politique (légitimation du pouvoir).

Les trois premières fonctions semblent singulièrement en panne : la place prise par les dépenses de fonctionnement et le remboursement de la dette limitent l’investissement nécessaire (hôpital, école, sécurité par exemple) ; les politiques fiscales n’ont pas permis de relancer le pouvoir d’achat ou la croissance ; plus de 50% de l’impôt est payé par moins de 1% des contribuables sans pour autant faire repartir l’ascenseur social ou réduire les inégalités.

Reste la fonction politique de l’impôt qui, en période de crise, prend un relief particulier : l’ISF et la taxe sur les hauts revenus, la fiscalisation plein pot des résidences secondaires, les droits de succession, etc. Il faut donner l’impression qu’on « s’occupe des riches » alors que ceux qui contribuent beaucoup devraient plutôt être remerciés de croire encore dans leur pays, sans s’être délocalisés dans un pays plus arrangeant qui leur fait les yeux doux.

Les conditions du consentement à l’impôt

Nombre de personnes sont en réalité disposées à payer des impôts significatifs mais il faut pour cela plusieurs conditions. Premièrement, un leader et un personnel politique irréprochables, à l’inverse de l’image désastreuse actuelle qui fait monter le populisme : le scandale Cahuzac en début de mandat, le coiffeur du Président ou plus récemment encore le refus des parlementaires de permettre le contrôle de leurs dépenses, par exemple.

Deuxièmement, que l’on ait le sentiment que cela soit efficace et que les réformes qui doivent mettre fin au gaspillage et aux prébendes, soient faites. Pas que, de droite ou de gauche, on laisse cela au suivant. Le fait que François Fillon sorte vainqueur des primaires de droite est illustratif. C’est le seul qui n’a pas promis de baisser l’impôt sur le revenu. Mais il est choisi massivement. Parce qu’il incarne… L’impôt passe alors au second plan, il est accepté. Mais s’il déçoit, s’il donne le sentiment que tout cela n’était que de la stratégie de communication, alors, l’impôt redeviendra illégitime.

Que l’administration soit au service du contribuable

Troisièmement, que l’administration soit au service du contribuable. Pour que la sanction soit acceptée, il faut que l’agent soit lui aussi irréprochable. Beaucoup de contribuables relatent des relations exécrables avec l’administration décrite comme inquisitoriale, dogmatique, jugeant lors des contrôles leur mode de vie, oubliant les efforts faits depuis l’après-guerre pour passer de la notion d’assujetti à celle d’usager. « Peu à peu les hommes du roi pénètrent partout » disait-on il y a bien longtemps. Les nouvelles technologies favoriseront encore plus cette intrusion dans l’intime. Tocqueville disait aussi que « l’impôt n’atteint pas les plus capables à le payer mais les plus incapables à s’en défendre (les classes moyennes, les artisans, les professions libérales) ».

L’humeur fiscale en France a souvent été à la grogne et c’est souvent pour des raisons fiscales que les révolutions ont eu lieu ; entre 1660 et 1789, l’historien Jean Nicolas a dénombré 8528 cas de rébellion dont près de 40% dus à la fiscalité. Nous avons eu récemment les « pigeons », les « poussins » (etc..), il y avait déjà les « tondus du fisc » qui avaient accompagné l’émergence du poujadisme, le CID-Unati dans les années 70. L’acceptation ou le refus d’une fiscalité élevée ne sont que la traduction de la croyance des peuples dans leurs leaders et dans l’avenir.

Alors, lorsque tout dérape, l’impôt peut devenir effectivement illégitime si celui qui le lève n’a plus la légitimité voulue. Il faut désormais agir et réussir. Il n’est plus certain que la légitimité soit acquise pendant 5 ans dans un univers de plus en plus 2.0.

 

Philippe Rosenpick, associé au cabinet Desfilis