Droits pratiques
06H28 - mardi 27 novembre 2018

Macron, président des riches ? Entretien avec Philippe Rochmann, Avocat-associé Maison Eck, sur la loi de finances 2019

 

La loi de finances 2019 a été votée en première lecture par l’Assemblée Nationale. Le Sénat a entamé les discussions en séance publique lundi 26 novembre. Dans un contexte de ras-le-bol fiscal exprimé notamment par les gilets jaunes, Opinion Internationale a souhaité savoir ce qu’il en est vraiment de la politique fiscale du gouvernement d’Emmanuel Macron. Entretien avec Philippe Rochmann, Avocat-associé Maison Eck

Opinion Internationale : Maître Philippe Rochmann, Emmanuel Macron a été élu sur une promesse forte, la suppression de l’ISF avec, certes, maintien d’un dispositif sur le patrimoine immobilier. Cette mesure produit elle des effets ?

Maître Philippe Rochmann : Des effets négatifs sur les ressources de l’Etat très probablement : Bercy estimait, au moment de la présentation de la réforme, le manque à gagner à 3,2 milliards d’euros par rapport à l’ISF. La collecte serait effectivement d’un peu moins d’un milliard d’euros, représentant 0,3% du budget de l’Etat !

Ce qui est attendu avec beaucoup d’angoisse, ce sont les effets très négatifs sur la collecte des dons par les fondations faisant appel à la générosité du public, et donc sur leurs moyens d’action : la baisse de cette collecte est estimée à 54% en moyenne !

Plus marginalement, la réforme a introduit des éléments de complexité pour les contribuables qui détiennent des biens immobiliers par l’intermédiaire de sociétés. Elle a ainsi rattrapé des non-résidents détenant un actif immobilier par l’intermédiaire d’une société étrangère possédant d’autres actifs d’une valeur supérieure aux dits actifs immobiliers.

Il ne semble pas que cette réforme ait eu à ce jour une influence notable sur le retour des « exilés fiscaux ». En revanche, certains contribuables ont modifié leur stratégie patrimoniale en cédant des actifs immobiliers et notamment ceux qui présentent une rentabilité insuffisante compte tenu du coût de l’impôt sur le revenu, des contributions sociales et de l’IFI lui-même.    

 

Vous parlez des exilés fiscaux. Justement, la promesse de voir rapatrier les capitaux et investisseurs français en France est-elle satisfaite au niveau des mesures fiscales prises l’an passé et annoncées pour 2019 ?

Les pouvoirs publics ont indéniablement lancé un message fort à destination des investisseurs français et étrangers pour susciter le retour des investissements en France. La suppression de l’ISF, la baisse programmée de l’impôt sur les sociétés, la baisse du coût du travail et les modifications du droit du travail vont dans le bon sens.  

Il n’en demeure pas moins que la mauvaise habitude française de la rétroactivité des lois fiscales comme l’augmentation de 1,7 % de la CSG, votée fin 2018, et applicable rétroactivement à certains revenus de 2017 (par exemple, aux plus-values sur la cession des actions d’une société) agace les investisseurs pour un intérêt budgétaire limité ; de plus, cela génère des contentieux en nombre, pouvant à terme avoir un coût d’indemnisation supérieur au gain fiscal attendu !

A cela s’ajoute, la forte instabilité fiscale passée et nos clients, qui n’ont pas la mémoire courte, posent souvent la question, pas nécessairement de politique fiction… : « et après, si on change de nouveau ? ».

Pour finir sur ce point, il existe une forte attente sur la baisse des droits de donation ou des droits de succession. Sur ce sujet, le Président de la République a dit à plusieurs reprises que ce n’était pas dans son programme. Et on peut le comprendre : comme la majorité des successions ne sont pas soumises aux droits de succession, le risque majeur serait d’entendre qu’il s’agit à nouveau de mesures « du président des riches ».

L’espérance de vie de nos concitoyens augmente, et c’est tant mieux. L’âge moyen auquel on peut éventuellement hériter est le plus souvent au moment de la retraite, quand peu de Français décident d’investir dans l’économie ! Un mécanisme qui favoriserait les donations de sommes d’argent, en pleine propriété, avec des abattements applicables en fonction de l’âge de celui qui reçoit (plus celui à qui l’on donne est jeune, plus grand est l’abattement) serait de nature à accélérer la circulation de cet argent et à augmenter le pouvoir d’achat des jeunes actifs ou leur capacité à investir.

 

 « Le président des riches » : cette formule lapidaire est-elle pertinente au vu de la loi de finances 2019 actuellement en discussion ? Des observateurs soulignent que seuls les revenus moyens supérieurs gagnent véritablement du pouvoir d’achat au détriment des contribuables les plus modestes.

Le projet de loi de finances pour 2019 ne prévoit pas de nouvelles réductions d’impôt. Ce qui a un impact cette année, ce sont les baisses votées en loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 qui avaient pour particularité de n’être applicables qu’en 2019. Nos concitoyens ont d’ailleurs ressenti l’effet d’annonce des mesures exposées à l’automne 2017 et mises en œuvre seulement 15 mois plus tard.  

La question demeure : à qui profitent-elles ? La suppression de la taxe d’habitation bénéficie bien aux contribuables les plus modestes. La loi de finances pour 2018 a instauré un dégrèvement de cette taxe pour la résidence principale des contribuables ayant un revenu fiscal inférieur à 28.000 €, pour un célibataire.

La baisse des cotisations salariales des salariés du secteur privé, effectuée en janvier et en octobre 2018, est bien une mesure qui redonne du pouvoir d’achat. Et ajoutons qu’ils sont les seuls pour lesquels l’augmentation générale de 1,7 % de la CSG en janvier 2018 a eu un effet de compensation.

En définitive, c’est l’augmentation de la fiscalité pétrolière – on le voit bien avec les gilets jaunes – et de la fiscalité sur les tabacs qui diminue le plus notre pouvoir d’achat, qui touche toujours plus les revenus les plus modestes s’agissant de fiscalité indirecte. 

  

Comment jugez-vous le prélèvement à la source en termes de justice fiscale ?

Le prélèvement à la source a pour objectif de régler l’impôt concomitamment à l’encaissement des revenus par les contribuables au lieu et place de l’ancien mécanisme où l’impôt était payé l’année N+1 sur les revenus de l’année N. Certes, des acomptes étaient réglés tout au long de l’année N de sorte qu’à revenus identiques la majorité des contribuables ne ressentaient pas cette anomalie. Elle était en revanche pénalisante pour les contribuables constatant une forte hausse mais surtout une forte baisse de revenus (entrée dans la vie active, départ en retraite, accident de la vie, chômage…). Dans ce dernier cas, se retrouvaient en grande difficulté, les contribuables pouvant devoir de l’impôt sans avoir eu la possibilité d’épargner à un moment où leurs revenus étaient en forte baisse.  C’est désormais une situation gérable.

Par ailleurs, ce que l’on appelle par commodité « l’année blanche », permet aux contribuables de ne pas payer en 2019 à la fois l’impôt sur les revenus de 2018 et le prélèvement à la source sur les revenus de 2019. En effet, par le mécanisme complexe du crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR), dans la majorité des situations (revenus de 2017 similaires aux revenus de 2018), l’impôt de 2018 sera complétement annulé par le CIMR.

Toujours en termes de justice fiscale, le seul bémol réside dans la prise en compte partiellement différée des crédits d’impôts liés notamment aux dons et à l’emploi de personne à domicile : ils ne sont pas pris en compte pour le calcul du CIMR mais remboursés en deux temps, avec 60% en janvier et 40% en septembre de l’année qui suit les versements des sommes ouvrant droit au crédit d’impôt.

Le dispositif fiscal retenu reste complexe…

 

Y a-t-il une autre mesure de la loi de finances 2019 que vous aimeriez souligner en termes de philosophie fiscale ?

La loi Dutreil permet la transmission à titre gratuit d’entreprises avec un abattement de 75% sur la valeur des biens transmis. Pour mémoire, cette loi permet aux nombreuses entreprises familiales d’être transmises sans coût fiscal exorbitant, ce qui favorise la transmission aux enfants ou aux salariés ayant le désir et la compétence pour les reprendre.

Le projet de loi de finances pour 2019, s’il est voté en l’état, permettra un assouplissement des conditions d’application de cette loi, notamment en baissant les seuils de détention du capital à transmettre, en permettant des restructurations du capital et en assouplissant des obligations déclaratives.

 

Propos recueillis par Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale, chef de rubrique « Droits pratiques »et directeur de le l’IDP – Institut de Droit Pratique

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique