Rencontres Capitales
12H43 - mardi 12 juin 2018

Les Rencontres Capitales ouvrent le débat sur les grandes mutations de la transmission des savoirs.

 

Opinion Internationale consacre une rubrique aux Rencontres Capitales en publiant chaque mardi matin la synthèse d’un débat.

C’est avec le débat sur les grandes mutations de la transmission des savoirs que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France. 

© Irène de Rosen

 

 

Internet bouscule tout, accélère tout. La révolution digitale transforme de fond en combles les modes de transmission des savoirs et des informations. L’écran remplace les livres et la surmultiplication des canaux de diffusion pour les enfants, les ados, les étudiants et les adultes bouleverse totalement notre rapport à la connaissance, à la mémoire. Le web 3.0 facilite-t-il l’apprentissage scolaire ? L’école va-t-elle devoir elle aussi faire sa révolution ?

 

Des savoirs traditionnels disqualifiés

Avec l’arrivée des nouvelles technologies, le savoir diffusé par l’école est questionné, parfois de façon brutale, quand il n’est pas tout simplement récusé. La première rupture se situe peut-être dans le cercle familial, où l’épanouissement de l’enfant, les désirs et les potentialités individuels de chacun sont désormais privilégiés à l’acquisition de connaissances jugées obsolètes ou en décalage avec la réalité. Pour le Chancelier de l’Institut de France Xavier Darcos, internet est venue dynamiter un édifice déjà fragile : « Quand on a fondé l’école de la république, on a déterminé ce qui était légitime à savoir, et cela a duré jusqu’aux années 1960. Le corpus du savoir avait alors l’avantage d’être admis dans le contexte familial et les parents attendaient que leurs enfants apprennent la même chose qu’eux. Le web, parce que c’est un réseau, vient fragiliser de façon extrêmement perceptible le magistère. »

 

Une liberté ressentie

Cette discontinuité soudaine dans le processus de transmission coïncide avec une appropriation individuelle des savoirs, où l’école n’a plus le monopole. Nous sommes dans un nouvel environnement où il faut faire, seul, l’apprentissage de la liberté. Le sociologue François Dubet développe : « Il ne faut pas imaginer que le monde d’hier était un salon des Lumières pour la totalité de l’humanité mais il faut tenir compte de ce paradoxe qui fait que, quand vous êtes sur le net, vous avez le sentiment de construire votre propre savoir et le sentiment d’une forte maîtrise et cela affaiblit considérablement le rapport à l’autorité scolaire. C’est peut-être le paradoxe le plus compliqué à combattre parce que le web est un système de communication vécu comme la manifestation d’une liberté ». Une liberté ressentie, alliée à ce puissant sentiment de singularité et d’autonomie que l’on peut avoir lorsque l’on déambule dans les dédales de cette vertigineuse bibliothèque qu’est internet.

 

L’apprentissage du doute

Le web, est une bibliothèque virtuelle où coexistent ouvrages scientifiques, théories fantaisistes et manipulations à grande échelle de l’opinion et où il faut être cognitivement armé pour faire le tri. Co-auteure de la digitalisation de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Marie Leca-Tsiomis milite pour l’apprentissage de l’esprit critique et… du doute : « Le leitmotiv des encyclopédistes, c’était douter, cela ne veut pas dire une relativisation absolue, en aucun cas – l’idée était d’apprendre à douter. C’est un vrai travail de confronter les sources, de ne plus être seulement dans l’absorption mais d’être actif, de créer. C’est la définition que donnait Diderot du philosophe éclectique : apprendre à faire le tri, à penser par soi-même, à faire son choix, y compris à tourner le dos à ce qui est admis par tous. » Ce que Olivier Houdé, professeur de psychologie du développement, appelle la résistance cognitive – la capacité de notre cerveau à lutter contre nous-même, contre nos aprioris,  nos automatismes de pensée, pour nous permettre de réfléchir.

 

La vitesse face à  la pensée

Mais difficile de faire coïncider cette résistance, cette vigilance avec l’instantanéité, la vitesse, l’ivresse de l’instant, le besoin permanent de réagir en ligne. Olivier Houdé : « On ne peut pas faire deux tâches qui exigent un contrôle cognitif en même temps. La simultanéité met le cerveau en difficulté, en particulier en situation d’apprentissage. Parce que ne pouvant pas nous-mêmes contrôler cette complexité, cette simultanéité, on se laisse guider par les algorithmes de la machine. Les ordinateurs nous incitent à aller vite et c’est là que la valeur du raisonnement reste une valeur ultra-contemporaine… mais il faut la réveiller ! » Le numérique nous incite à aller toujours plus vite, or il est urgent de ralentir car le savoir exige du temps, de la maturation. 

Président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat, Bernard Stalter poursuit : « Ce sera la nouvelle génération qui va être créative sur le web, qui va créer les contenus, qui va coder les algorithmes, mais la créativité vient avec le temps elle aussi ».

 

Observer le cerveau qui raisonne

Une autre révolution est survenue grâce au numérique et à l’informatique à la fin du XXe siècle : les technologies d’exploration d’imagerie cérébrale. Platon rêvait d’explorer le cerveau humain et les chemins de la pensée ? C’est désormais une réalité. Ces deux révolutions, biologiques et numériques, se croisent et permettent aujourd’hui d’étudier les organisations cognitives, émotionnelles et sociales des individus. On étudie notamment comment les voies neuronales des enfants et des adolescents se reconfigurent selon la stratégie de raisonnement qu’ils déploient ou non face à un écran. Olivier Houdé précise : « On observe que les adolescents qui ont une utilisation importante d’internet ont une mémoire de lien, de méta-lien et peuvent davantage faire plusieurs choses en même temps mais ils ont une connaissance moins profonde et sans synthèse personnelle arrêtée à un moment donné. C’est le défi pour la nouvelle génération : d’articuler cette fluidité, ce multitâches, ces méta-liens avec cette intimité du raisonnement, de l’analyse. Si l’on parvient à combiner cette intelligence numérique rapide avec une intelligence littéraire plus lente et cristallisée, on peut imaginer une vraie marge de progrès. L’écran sera alors comme le livre un facteur d’intelligence et de culture ».

 

Jean-Michel Parouty

 

Revivez l’intégralité du débat en vidéo :

https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=c4X9QH_lx1g

 

Rendez-vous mardi 19 juin pour la synthèse du troisième débat : « mutations scientifiques : quelle responsabilité et quelle éthique ? »

Retrouvez dès à présent les premières synthèses des Rencontres Capitales dans la rubrique d’Opinion Internationale qui y est dédiée.

Les Rencontres Capitales 2018 sont organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France en partenariat avec : APCMA, ENGIE, FIDEXI, Fondation pour l’Audition, KEDGE, SwissLife, La Tribune,  France 24 et BFM TV accompagnés de CEA, INSERM, Nova, RFI, Stonepower et Maison des Journalistes. 

https://www.rencontrescapitales.com/partenaires/