Afriques demain
22H17 - mercredi 5 juillet 2017

Interview exclusive de Moussa Mara, ancien Premier Ministre du Mali, suite au Sommet du G5 Sahel.

 

Monsieur  Moussa Mara, vous avez été premier ministre du Mali d’avril 2014 à janvier 2015. Que pensez-vous de la tenue du Sommet du G5 Sahel qui réunissait, le week-end dernier à Bamako, les chefs d’Etats du Burkina Faso, du Mali, de Mauritanie, du Niger,du  Tchad et de France.

C’est une bonne chose, même si nous manquons encore d’initiatives concrètes sur le terrain. Le G5 Sahel est une organisation qui a été mise en place en 2013 et nous sommes en 2017 : or elle n’est pas encore fonctionnelle. Elle a fondamentalement des aspects sécuritaires mais elle revêt aussi des volets de solidarité, sans lesquels il ne peut y avoir d’espoir pour la population locale. Il est plus que jamais temps de passer à l’opérationnalité, notamment avec cette force de plus de 5.000 hommes pour sécuriser les bandes frontalières ainsi que les zones où il y a une permissivité pour les forces terroristes.

La nouveauté principale du Sommet de dimanche 2 juillet est que les partenaires africains et français ont convenu d’accélérer la concrétisation de l’engagement à la fois militaire et de développement. L’objectif maintenant est de faire en sorte que la Force Conjointe du G5 Sahel soit opérationnelle en novembre 2017, et que la “Conférence internationale de planification’’, prévue par la résolution 2359 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, soit convoquée avant la rentrée.

À ce propos, la question du financement de la Force Conjointe est la plus urgente. Sur le total du budget évalué (par le Président malien) à 423 millions d’euros, nous sommes aujourd’hui en mesure de mettre à l’actif seulement entre 110 et 130 millions (50 millions de la part de l’UE, et encore 50 de la part des pays du G5 Sahel). La France a pour sa part annoncé sa volonté d’y contribuer en dotant la Force de 70 véhicules tactiques. Je veux également saluer l’engagement qu’a pris le Président Macron de faire de l’Agence Française de Développement un instrument activement engagé dans ce projet, notamment à travers la nomination d’un directeur adjoint chargé du Sahel au sein de l’Agence.

 

Etes-vous déçu par la décision du président Trump de bloquer l’octroi d’un financement onusien à la force du G5 Sahel ?

Les Nations Unies ont donné leur accord pour le déploiement de la force africaine mais en renvoyant la question du financement à la Conférence internationale de planification. Je salue les efforts de l’Union européenne en la matière. Donald Trump, lui, avait annoncé la couleur lors de son élection. Il ne prendra que rarement part à des démarches multilatérales, encore moins pour les financer. C’est décevant car c’est seulement ensemble que nous éradiquerons les maux qui frappent l’humanité, du réchauffement climatique à la vague terroriste islamiste qui frappe nos pays. Avec ce désengagement américain, notamment au sein de l’ONU, il faudra combler le vide laissé par un pays qui a beaucoup contribué dans le passé au financement de ce type d’initiatives internationales. Aujourd’hui, le retraitdes Etats-Unis représente donc un vrai problème.

 

À quel stade du processus de paix entamé en 2015 nous trouvons-nous?

La force militaire du G5 Sahel n’est que un des éléments de l’Accord de paix signé à Alger le 15 mai et le 20 juin 2015. Nous en sommes à moins de 10% d’application de cet Accord. Et l’Etat malien est aussi responsable que les groupes armés. Désarmement, démobilisation, réinsertion doivent être mis en œuvre… Mais les réformes institutionnelles et la décentralisation n’ont pas été engagées.

 

On prête au président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), des discussions avec Iyad Ag Ghali, qui a fédéré des groupes islamistes radicaux. Qu’en pensez-vous ?

Le président de la République a clairement démenti ces allégations. Ces discussions seraient non productives et une pure perte de temps. En revanche, Iyad Ag Ghali est à la tête d’une organisation dont les chevilles ouvrières sont des jeunes Maliens qui sont recrutés tous les jours pour servir cette organisation terroriste. La priorité est donc de faire en sorte que ces jeunes ne rejoignent pas cette organisation terroriste en utilisant notre maillage social, les familles, nos religieux.

 

L’UNICEF et “Save the children” font état de dizaines de milliers d’enfants privés de scolarité suite à la fermeture de nombreuses écoles dans le nord et le centre du Mali , sous les menaces de prêcheurs islamistes auprès des directeurs d’écoles

Sans présence étatique, sans sécurité, il ne peut y avoir de vivre-ensemble. Ce qui se passe au centre du pays est dramatique et pourrait annoncer un effondrement de l’Etat malien si on n’agit pas fortement et au plus vite. La réalité est que l’Etat malien s’est fortement affaibli depuis le début de la crise en 2012. L’Etat doit reprendre le contrôle du territoire quitte à subir des pertes et des destructions.

 

Qu’avez-vous pensé de la visite du président français Emmanuel Macron à Gao deux jours après son investiture ? En Afrique, sa visite a été critiquée parce qu’il ne s’est pas rendu à Bamako pour saluer le président IBK.

Je n’ai pas d’état d’âme. Emmanuel Macron rendait visite à ses troupes et non au chef d’Etat malien. IBK a jugé non insultant cette visite à Gao et il est allé le saluer. Aurais-je fait de même ? Je ne le sais.

Les forces françaises de l’Opération Barkhane à Gao forment le contingent le plus nombreux de militaires français à l’étranger. Cela met le Mali en pleine lumière. Cette visite est l’expression de notre destin commun dans un contexte mondial de terrorisme qui frappe tous nos pays.

Depuis son élection, le président Macron a renouvelé les engagements de son prédécesseur vis-à-vis du Mali. Le Ministre Le Drian en a fait de même à plusieurs reprises. Je salue ces engagements.

 

Comment les nombreux expatriés Maliens, les Français d’origine malienne ou binationaux peuvent-ils contribuer à la lutte contre l’islamisme radical au Mali ?

La religion musulmane au Mali est pacifiste et tranquille. Mais la population, avant tout, doit mieux comprendre la religion : les leaders religieux ont donc une responsabilité éminente.

 Cette compréhension doit être diffusée par un partenariat entre l’Etat et le culte musulman. Je suis de ceux qui pensent que le meilleur rempart contre l’extrémisme religieux, c’est le religieux.

En effet, pour lutter contre l’islam radical, nous avons plusieurs segments : le contrôle étatique du territoire, le contrôle étatique du culte. Nous avons un ministre du culte, nous devons avoir une politique du culte et un statut des leaders cultuels. Nous ne l’avons pas encore au Mali.

Le dernier segment est le développement. Les extrémistes passent par le caritatif pour diffuser leur idéologie et recruter des orphelins, des personnes affaiblies. Les Maliens de France peuvent être utiles mais doivent être lucides lorsqu’ils envoient de l’argent au pays en faisant la part des organisations de connivence avec les islamistes radicaux.

Mais là aussi l’Etat doit impulser et organiser. Les transferts de fonds par les Maliens de France est plus important que l’aide publique au développement, mais c’est un transfert de fonctionnement, d’alimentation. Les Maliens de France doivent être impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques locales de développement, de création d’entreprises, d’initiatives qui créeront de l’activité et du lien social. C’est le meilleur rempart contre la montée de l’islam radical.

 

Vous avez été maire de Bamako. Quel est le rôle des collectivités territoriales dans la crise actuelle?

La reconstruction de l’Etat malien se fera de façon décentralisée ou ne se fera pas. L’accord de paix avec le nord est un accord de décentralisation. J’ai participé à la négociation de 90% de l’accord de paix. Je le connais bien. L’Etat malien doit enfin mettre en œuvre sa propre décentralisation.

Mais, paradoxalement, cela sous-entend que nous ayons une administration centrale forte et qui organisera et contrôlera de près cette décentralisation.

 

Un expert comptable de formation comme vous aurait-il été plus rapide dans la mise en œuvre opérationnelle de cet accord ?

L’expert comptable sait se fixer un objectif, se donner les moyens pour l’atteindre et fixer un plan opérationnel, éventuellement de rétroplanification, en entraînant les équipes pour le faire. C’est ce qui manque le plus à l’Etat : un plan opérationnel avec des étapes et des objectifs hebdomadaires, mensuels, trimestriels et annuels. La volonté est là mais la méthode manque.

A cela s’ajoute un problème majeur qui affecte les nombreuses organisations internationales de la région et du continent tout entier. L’Union africaine (UA), par exemple, affaiblie par des gros problèmes de financement interne de son fonctionnement, est aujourd’hui beaucoup trop dépendante de l’aide de la communauté internationale, même pour des activités essentielles comme la recherche et les études. En ce qui concerne le Sahel spécifiquement, entre les compétences du G5, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) et celles de l’UA, le risque est de diluer l’engagement des Etats et des communautés dans un dédale d’organisations. Une rationalisation pourrait donc être une solution à envisager.

 

Propos recueillis par Michel Taube et Gabriel Di Battista

 

VERBATIM : la Déclaration finale du Sommet du G5 Sahel

 

Moussa Mara est l’auteur du livre « Jeunesse africaine : le grand défi à relever », Mareuil Editions

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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