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09H56 - lundi 24 octobre 2016

Trump-nomics : Pourquoi Donald J. Trump a-t-il une partie de la finance avec lui ? Entretien avec Driss Lamrani

 
Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani est ancien directeur adjoint des stratégies d’investissement de GLG Partners, second plus grand Hedge Funds au monde, et est l’actuel Global Strategist [adjectif anglais  de NewAlpha Asset Management. Il répond à Opinion Internationale et s’exprime ici à titre personnel.

Donald Trump

Donald Trump

 

Comment réagiraient les marchés financiers et l’économie en cas d’élection de Trump ?

Donald J. Trump est le candidat à la Maison Blanche le plus surprenant dans l’histoire contemporaine. Sa politique économique se résume dans la doxa de la nouvelle école libertarienne, qui se propage sur la blogosphère financière et fait des émules auprès des partisans du Tea Party et de l’antisystème. Elle prône l’arrêt des interventions des banques centrales, l’isolationnisme, l’affaiblissement du gouvernement et un moratoire sur la dette publique. Cette politique induirait à court terme, sur les marchés financiers, une hausse des matières premières accompagnée d’un crash boursier et obligataire. Les sites d’analyse financière, tels que Zero Hedge, Seeking Alpha, ou Investing, appellent de leurs vœux un cataclysme financier qui permettrait à l’Or et l’Argent de s’apprécier concomitamment à un crash boursier et une crise du crédit.

A cet égard, ces sites votent Trump sans le dire explicitement, mais cela revient au même. de plus, Paul Singer, Robert Mercer et Carl Icahn, trois Hedges Funds positionnés pour profiter de ce scénario de marchés financiers, selon les documents de la Security & Exchange Commission (l’autorité des marchés Financiers américains), sont d’important soutiens financiers et idéologiques du candidat républicain.

Sur le plan économique, une crise de confiance sur la stabilisation de la Réserve Fédérale, banque centrale américaine, induirait une remontée des taux d’intérêts et probablement une nouvelle récession, alors que l’économie américaine est encore convalescente, avec une croissance modeste à modérée, selon la qualification du Beige Book, rapport mensuel sur l’économie américaine publié par les banques centrales régionales.

Ne sommes-nous pas face aux mêmes peurs exprimées par la campagne contre le BrExit, alors que les marchés et l’économie ont été résilients depuis le référendum ?

Malgré le vote du 23 juin dernier pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, rien ne s’est concrètement passé depuis. La Première Ministre Theresa May participe toujours au Conseil de l’Union, l’Article 50 n’a pas été déclenché et des démarches sont même conduites pour remettre en cause la décision du peuple britannique par un vote au House of Commons. Tant que les conditions d’une sortie n’auront pas été clairement établies, les marchés financiers et l’économie resteront dans le doute. L’économie du Royaume-Uni est dans un purgatoire. Elle pourrait connaître un scénario « catastrophe »,

prédisent les économistes mainstream et espéré par la nouvelle école libertarienne, ou l’éviter, tout dépendra de la conduite des négociations et des conditions du BrExit qu’exprimera le gouvernement de la PM May en mars prochain.

 

Revenons aux Etats-Unis. L’élection est-elle un choix entre le statu quo permis par les banques centrales et une crise économique ?

Pas tout à fait. L’économie américaine connaît depuis 2008 un blocage politique majeur, qui cache des évolutions économiques positives significatives. Le débat public se focalise sur les risques d’une forte inflation et de bulles spéculatives induites par les taux exceptionnellement bas décidés par les banques centrales.

Cette analyse est erronée puisqu’elle ne tient pas suffisamment compte de l’impact de la révolution technologique. Les comparateurs des biens et services en ligne accroissent la concurrence et génèrent une pression sur les prix. L’automation augmente l’efficacité des processus industriels et réduit le gaspillage des ressources naturelles, comme le pétrole. La digitalisation combat l’intermédiation, ce qui exerce une pression fortement baissière sur l’inflation. Exclusion fait de l’inflation du secteur de la santé, l’inflation américaine – hors prix de l’énergie et de l’alimentation – est inférieure à 1%.

Le débat public ne délibère pas suffisamment sur les destructions d’emplois qu’induit la révolution technologique. La voiture autonome mettra en péril les emplois de chauffeurs de taxi comme le moteur à explosion a relégué le cochet aux livres d’histoire lorsque la calèche à déserter les villes comme moyen de locomotion. Autant de phénomènes qui ne bousculent pas que l’économie américaine et touchent bien entendu l’ensemble des économies industrielles développées.

Le 17 octobre dernier, le Président Obama a participé à un panel sur la révolution technologique. Il commence, à un peu plus de trois mois de la fin de son mandat, à mettre l’accent sur les révolutions technologiques et la nécessité de les embrasser en trouvant des solutions aux conséquences sur l’emploi et sur la société. La réunion de Davos de 2016 et le symposium du FMI de l’automne discutent ces problématiques. Or la campagne électorale américaine passe sous silence ce débat.

Cette élection pose le choix entre un candidat, qui prétend préserver les acquis de secteurs économiques menacées par la révolution technologique, et une candidate, qui passe plus de temps à répondre aux tacles sur sa probité ou sa santé que de discuter des peurs d’une société face à l’accélération du changement. Nous ne pouvons que regretter que le débat de la présidentielle se résume en un choix entre une crise économique ou le statu quo, alors qu’il est urgent de débattre de comment répondre aux peurs de la société face au changement.

 

Trump réunit les intérêts d’une économie industrielle finissante

 

Selon vous, Trump ne se résume pas à sa caricature. Il ferait de bons diagnostics mais propose de mauvaises solutions, alors que Clinton n’arrive pas à s’exprimer sur ses solutions ?

Donald J. Trump, en bon démagogue et fin stratège, est lucide sur les transformations économiques et les craintes qu’elles suscitent dans la société. Il polarise le débat entre les laissés pour compte et la richesse du 1%. En bon communiquant, il simplifie la problématique en désignant des responsables : les migrants, le gouvernement, la mondialisation ou la régulation. L’enjeu environnemental est transformé en un slogan « War On Coal » (guerre contre le charbon). Ce slogan résume les peurs des salariés de l’industrie du charbon au Kentucky ou celles des ouvriers du pétrole de schiste dans le Dakota du Nord. Ces deux industries connaîtront, avec l’adoption de l’accord COP21 de Paris, une crise sans précédent.

Il faut regretter toutefois que la campagne de Clinton se soit cantonnée à une position défensive qui se concentre sur l’imprévisibilité de son opposant. Elle ne répond pas à ces salariés pour leur expliquer comment concrètement et à titre individuel, ils bénéficieront de la transition énergétique.

Où en sont les inégalités dans la société américaine ? Thomas Piketty, dans son livre « Le Capital au XXI siècle » l’a démontré. Cette polarisation entre les 1% et les 99% ne doit-elle pas être un sujet de débat public ?

Thomas Piketty et le Prix Nobel Joseph Stiglitz ont fait un travail exceptionnel pour vulgariser la problématique de l’inégalité. En revanche, leurs travaux ont été simplifiés à l’extrême pour en faire le socle d’une lutte des classes : les 1% contre les 99%. Cette simplification cache le fait qu’il existe des disparités importantes au sein de ces deux catégories.

David Koch et Mark Zuckerberg sont tous les deux membres du club des 1%. Koch Industries combat le changement climatique, en mettant en doute des faits scientifiques sur le réchauffement climatique, pour préserver son patrimoine pétrolier. Facebook exploite la désintermédiation des médias pour s’enrichir en augmentant la liberté d’expression. Les Hedges Funds parient et combattent la stimulation des banques centrales, alors que la finance verte et les Private Equity utilisent les taux bas pour financer la transition énergétique et l’innovation.

Les 99% sont aussi très différents. La classe moyenne menacée par la technologie adhère en masse à la distopie d’un gouvernement corrompu. A l’opposé, des entrepreneurs, sans patrimoine établi, à la Sillicon Valley et ailleurs, s’activent pour inventer des technologies transformatives.

 

En conclusion, l’inégalité est réelle mais elle est mal exprimée et expliquée. Aussi bien les 1% que les 99% sont en risque de perdre face aux transformations technologiques. Le débat n’est pas une lutte des classes mais un combat entre le progressisme, permis par la révolution technologique, et le conservatisme protecteur des privilèges. Moins les hommes et les femmes politiques débattront lucidement de ces changements, plus des démagogues joueront des peurs des sociétés pour maintenir les privilèges des fortunes établies, en se faisant les porte-paroles des laissés pour compte.

L’alignement des intérêts entre les plus vulnérables des 99% et les milliardaires des Hedges Funds pour faire gagner Donald J. Trump comme 45ème président des Etats-Unis résume la complexité de la problématique des inégalités et de la société américaine dans son ensemble.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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