Imagine France
10H32 - vendredi 30 septembre 2016

Vox numeri vox dei, la chronique de Philippe Boyer

 

Désintérêt pour la politique, perte de confiance entre élus et citoyens, carences de la démocratie participative… les expressions ne manquent pas pour qualifier les maux dont semble souffrir nos démocraties représentatives. Avec le numérique, une nouvelle ère s’ouvre : celle de la démocratie participative et de l’expression  citoyenne.

 « Nos régimes sont dits démocratiques parce qu’ils sont consacrés par les urnes. Mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement, car l’action des gouvernements n’obéit pas à des règles de transparence, d’exercice de la responsabilité, de réactivité ou d’écoute des citoyens clairement établies. D’où la spécificité du désarroi et de la colère de nos contemporains. », explique l’historien Pierre Rosanvallon. Pour régénérer cette expression citoyenne directe et encourager la participation à la « chose publique », les réponses classiques (refonte des modes de scrutins, non cumul des mandats…) restent nécessaires mais non plus suffisantes. Si la révolution industrielle a accouché du parlementarisme, la révolution numérique donne aux citoyens de nouveaux outils d’expression directe. Qu’on l’appelle « démocratie digitale » ou digital empowerment (à traduire par « pouvoir d’agir »), le numérique rebat les cartes et invite à la démocratie participative, au débat et à l’expression citoyenne. Non seulement les citoyens délèguent leur pouvoir de décision mais, chose nouvelle rendue possible par le numérique, ils entendent l’exercer de manière directe.


Retour à Athènes

Avec les possibilités offertes par le numérique (lancer une pétition en ligne, s’exprimer sur des plateformes d’opinions…) le « clic activism » – Expression de l’essayiste Evgeny Morozov The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom – devient un jeu d’enfant. Sans pour autant faire de l’internaute un militant politique engagé, le fait de cliquer sur des sites tels que change.org, democratech, stig ou parfois Opinion Internationale, peut permettre d’infléchir le cours des évènements. En France, on se souvient des récentes pétitions massives lancées sur les réseaux sociaux à l’occasion de la Loi travail ou du mariage pour tous.

A chaque fois, les outils numériques devenant des mégaphones de l’opinion pour se faire entendre et se retrouver aux origines de la démocratie quand, à Athènes, l’isegoria permettait au peuple de prendre la parole quand il le voulait et où il le voulait. De nos jours, cette prise de parole sans filtre, parfois virale et de ce fait toujours pilotée par des outils numériques, figure parmi les initiatives politiques admises au même titre que le vote. Depuis 2010, en France, une pétition qui recueillerait plus de 500 000 signatures (y compris électroniques) et portant sur une question d’intérêt général, peut être examinée par le Conseil Economique, social et environnemental. Si aux Etats-Unis, le site de la Maison Blanche diffuse en ligne les pétitions en cours et s’engage à rendre un avis quand un sujet a été signé par plus de 250.000 signataires, au Royaume-Uni, il suffit à 100.000 citoyens de faire part de leurs opinions sur un sujet donné pour que les parlementaires examinent la question et en débattent (sans vote) en séance.

Certes, le rêve athénien de démocratie directe n’est pas à l’ordre du jour mais le numérique fait bouger les lignes et oblige les élus à s’adapter pour entendre et répondre aux citoyens. C’est sur ce «marché » de la participation directe et du réveil citoyen que les civic techs éclosent. Ces start-up veulent peser sur le contenu des débats, quitte à « ubériser » au passage les instituts de sondages ou les élus eux-mêmes. Leur moteur, c’est d’encourager les contributions à des lois et des textes jusqu’à favoriser l’émergence de nouvelles formes de gouvernance à l’instar du test Google Votes qui introduit l’idée de « démocratie liquide » ou démocratie par délégation qui crée un nouveau type de scrutin qui confère aux électeurs le pouvoir de voter directement sur un sujet ou de déléguer leur droit de vote à un tiers de confiance disposant d’un savoir avéré dans un domaine spécifique.  A mi-chemin entre la démocratie directe et la démocratie représentative, cette forme d’expression fait le pari que les décisions prises seraient plus rationnelles mais en laissant les seuls experts décider…


Réagir et interagir

Moins élaboré mais tout aussi efficace, le renouveau démocratique, via le numérique, existe déjà quand, au plan local, de nombreuses villes consultent leurs habitants en ligne. Le succès des budgets participatifs locaux témoigne de l’intérêt à interagir en direct avec les élus et l’administration, sans oublier au passage l’indispensable formation de tous à ces nouveaux outils pour éviter que ne se creuse une fracture numérique entre « citoyens connectés » et les autres. C’est sur cette idée que le digital doit permettre à tous de s’exprimer et de continuer à croire en la politique qu’est née l’application Gov. Depuis sa création début 2014, Gov revendique 500 000 utilisateurs et 3 millions d’opinions exprimées. Pensée comme un « baromètre en temps réel », cette application permet de voter en temps réel, de lancer ses propres sondages d’opinion… bref d’inverser le sens du pouvoir, désormais matérialisé par des avis et des opinions qui partent du bas vers le haut.

Demain, la démocratie digitale pourrait-elle être la norme plutôt que l’exception ? Cette hypothèse ne parait pas invraisemblable et pourrait bien faire mentir la citation de Winston Churchill : « La démocratie est le pire des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. »

 

Philippe Boyer

 

 

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