Billet de Catherine Fuhg
13H56 - vendredi 26 février 2016

Les vieux et les enfants d’abord

 

Hypocrisie, lâcheté, ou simplement naïveté, quel est le terme approprié pour qualifier cette tendance à rebaptiser les réalités insolentes ? Réalité insolente, quèsaco ? C’est un état de fait auquel on ne peut rien changer, qui nous ramène, nous, humains, à notre condition précaire de simple, et éternel, mortel.

Crédit photo : Municipalité de Bioule

Crédit photo : Municipalité de Bioule

 

La vieillesse est certainement l’une des plus insolentes réalités qui soit. Aussi a-t-on décidé de nommer désormais seniors ceux qui ressemblent aujourd’hui à ce que nous serons demain : des vieux. La médecine, l’hygiène et la science, grâce à leurs progrès remarquables, ont presque réussi à nous faire oublier que la vie dès le premier jour est un compte à rebours, à nous faire croire aussi que nous sommes tout-puissants. L’homme change le laid en beau, les chicots en perles éclatantes, défait la maladie et sait manipuler l’infiniment petit. Il créera des enfants bientôt de A à Z ex utero. Pourtant le seul moyen encore d’échapper à la vieillesse est de mourir avant l’âge. Car même bien conservés et en parfaite santé, les vieux sont, au mieux, relégués au rang d’observateur. À les évacuer ainsi de notre société, on les tue à petit feu.

Vieux est pourtant un joli mot. Quand Jacques Brel le disait, et lorsqu’il parlait d’eux, on en avait les larmes aux yeux : « Les vieux ne parlent pas ou alors seulement parfois du bout des yeux. Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un cœur pour deux. » Mais c’est sans doute qu’il les aimait… Notre monde qui s’émeut de toutes les pauvretés, s’attendrirait aussi sur eux s’il les voyait en tant que pauvres, des pauvres comme les autres. Pauvres en affection, en présence, en regards et en attentions. Des pauvres en sens de l’existence.

Crédit photo : Municipalité de Bioule

Crédit photo : Municipalité de Bioule

 

Non, non, je n’ai pas oublié qu’aujourd’hui mon humeur est bonne, je prépare le terrain. Les belles choses le sont plus encore lorsqu’elles sont mises en perspective. Mais venons-y, il est temps.

La petite commune de Bioule dans le Sud-Ouest de la France a la chance d’avoir un maire, Gabriel Serra, attentif à ses habitants. Il y a quelques années, lors de la construction d’une nouvelle cantine pour l’école, il a remarqué que des vieux s’intéressaient aux travaux. Un jour, il leur a demandé, à moitié en boutade, s’ils aimeraient eux aussi manger à la cantine. La réponse a fusé, naturelle : c’était oui. Mais l’invitation lancée ainsi à la cantonade était loin de suffire à la faire advenir. Il a fallu y travailler. Le maire raconte que « le plus dur a été de trouver la parade juridique ». Il s’y est attelé, a élaboré le projet, obtenu l’autorisation préfectorale nécessaire, et concrètement, en 2010, la cantine scolaire s’est ouverte aux vieux de son village.


Aujourd’hui, ils sont une dizaine, entre quatre et cinq par jour, à profiter de cette offre. Les places sont chères à leur table. « Les enfants font presque la queue » pour s’asseoir avec eux. Les vieux, « contents même du bruit », s’égaient des bons mots des petits qui profitent en retour de leur vieille expérience. « La solitude pèse moins », témoigne une des mamies. Des liens se sont créés entre les deux générations. Des liens qui vont parfois au-delà des temps de repas. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, cette idée généreuse semble vouloir faire boule de neige. Depuis un certain temps, la secrétaire de mairie reçoit des appels de collègues d’autres communes françaises qui lui demandent la marche à suivre pour proposer eux aussi la cantine scolaire à leurs vieux. Espérons qu’ils seront nombreux à aller au bout du projet.

Il appartient à chacun de veiller à sa manière sur les vieux qui l’entourent. Chaque fois que nous en voyons se débattre avec les obstacles qu’ils croisent partout dans la rue – pour eux, toutes les marches sont trop hautes – lutter pour avancer avec tout ce passé qui alourdit leurs jambes et qui courbe leur dos, entravant leur allure autrefois si belle et si fière, imaginons-les jeunes, vigoureux, insouciants, riant avec leurs amis ou entourés de leurs enfants. Ils se croyaient invulnérables et sont vaincus aujourd’hui. Regardons-les dans les yeux. Comme s’ils étaient des enfants. Disons tous à nos vieux, aux vieux en général, avant qu’il ne soit trop tard, qu’ils ne sont pas notre fardeau, qu’on les aime, qu’ils sont beaux.

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Catherine Fuhg