Congo
14H23 - jeudi 25 février 2016

Martial Panucci à l’heure de la censure

 

Né en 1990 à la veille de l’avènement de la démocratie, éphémère, au Congo, Martial Panucci est l’artiste en vogue auprès de la jeunesse congolaise. Son nouvel opus 2015Chroniques se vend sous le manteau et via les réseaux sociaux faute de possibilités de commercialisation classique.
Opinion Internationale s’est entretenu avec celui qui dénonce les conditions de vie au Congo et la censure qu’il subit.

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Martial Panucci – Crédit photo : Martial Panucci

 

Quelles sont les raisons de votre engagement dans la musique ?

Je viens d’une famille pauvre et nombreuse de dix enfants dont seuls deux ont survécu : mon frère aîné et moi. Mon père et ma mère sont analphabètes, moi je suis licencié ès Lettres de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, seule et unique université du Congo. Je suis dans la musique par dépit et par choix. Par dépit parce que le chômage au Congo est à un stade catastrophique et le niveau des études doctorales me paraissait assez médiocre. Par choix parce que la musique est pour moi à la fois une passion et un moyen de lutte et de résistance face à l’oppression. Mon message porte les maux de mon peuple, à savoir les privations de libertés et de droits, le manque d’eau et d’électricité, la corruption, l’absence de perspectives d’avenir.

Avant 2015Chroniques, titre de mon album, je n’avais encore jamais produit d’album même si j’ai réalisé plusieurs chansons et quelques vidéo avec mes anciens groupes. Je consacrais donc tout mon temps à écrire, enregistrer des chansons et faire des concerts relativement confidentiels.

 

Êtes-vous diffusé dans les médias nationaux ?

Dans un pays où les chaînes nationales ne le sont que de nom, ma musique ne saurait être diffusée au niveau des médias locaux. Les rares chroniqueurs de musique qui ont pris le risque soit de diffuser les moins engagées de mes chansons, soit de m’inviter à leur émission ont été pour certains menacés d’être limogés, pour d’autres sévèrement réprimandés. Et pour ne pas s’attirer des ennuis, d’autres responsables de médias, pourtant privés, me disent clairement qu’ils ne peuvent pas diffuser ma musique parce qu’elle est « trop engagée ».

 

Comment commercialisez-vous votre œuvre musicale ?

Quand mon album est sorti je suis allé voir les quelques rares disquaires qui existent à Brazzaville et comme je m’y attendais, ils ont tous refusé de vendre mon album, le jugeant trop engagé. Mais je n’ai pas été surpris de leur réaction parce qu’au Congo les gens ont le cerveau retourné et ne vivent que de peur ou de silence complice. Pour vendre mon album, je fais de la promotion sur Internet et par sms en laissant mes coordonnées. Et quand les gens me contactent je vais vers eux.
C’est difficile pour un artiste local de vivre uniquement par la vente de ses œuvres. Il faut en plus de cela faire des prestations scéniques, ce qui m’est interdit actuellement, vu le contexte politique. Toute dénonciation des conditions de vie est vue par les autorités comme une critique du pouvoir et une opposition au chef de l’État.

 

Subissez-vous des menaces ou des pressions ?

Les menaces et les pressions ne manquent pas en ce moment, surtout depuis la sortie de mon premier clip extrait du morceau « Brazzaville hardcore ». Les formes de pression sont le boycott au niveau des médias, les appels menaçants, des messages hostiles sur les réseaux sociaux. Certaines pressions viennent même des proches. Par exemple l’année passée ma copine m’a quitté et ma mère a menacé de se suicider si je n’arrêtais pas mon activisme et ma musique engagée. Ils ont peur des représailles des autorités policières.

Il y a un an la France a vécu les attaques à Charlie Hebdo, êtes-vous « Charlie » ?

Honnêtement, lorsqu’en janvier 2015 la ville de Paris a connu les attaques à Charlie Hebdo, j’ai été choqué par la violence des attaques et j’ai compati à la douleur des Français, parce qu’en tant qu’humains nous nous devons d’être solidaires les uns des autres.. Être humain, c’est aussi savoir aller vers l’autre et le comprendre. Si être « Charlie » c’est être pour la liberté totale d’expression, alors je dirais que « je suis Charlie », parce que je ne vois pas en quoi on peut assassiner de simples caricaturistes. Comme disait Sony Labou Tansi* : « Tuer (…) c’est le geste de ceux qui n’ont pas d’imagination ».

 

*Écrivain satiriste et metteur en scène congolais mort du sida en 1995 qui dénonçait la dictature et le culte de la personnalité.

 

Propos recueillis par Jean-Claude Miangouayila

 

Chroniqueur Congo