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09H53 - jeudi 15 mai 2014

« On ne peut pas accepter que la base des négociations ne porte que sur le partage de postes »

 

Félix Mayanga, président du mouvement politique l’Alternative pour la Reconstruction de la République Centrafricaine (AP2R), établit un diagnostic sur la situation catastrophique de son pays et en tire les conséquences en terme politique mais aussi en terme de changement radical de mentalités.

 

FMayanga
Comment analysez-vous la situation de la RCA, la transition ?

La situation de notre pays est dramatique pour le quotidien de nos compatriotes qui vivent des moments très durs. Les raisons de ce drame sont connues et nous ne manquons pas de les exprimer : mauvaise gouvernance, irresponsabilité, impunité, clanisme et absence de réflexion à moyen et long terme.

Les conséquences sont cette instabilité politique, économique et sociale chronique, cette pauvreté, cette insécurité endémique et l’impunité qui l’accompagne. Il faut absolument trouver les moyens d’y mettre fin de manière définitive.

C’est en partie la mission de la transition et de ses responsables que sont la cheffe d’Etat de Transition, le Conseil National de Transition et le gouvernement.

La mission de la transition est d’organiser des élections libres, transparentes et incontestables.

Les moyens à utiliser pour y parvenir doivent être un retour sans délai à la paix et ce sur l’intégralité du territoire centrafricain tel que défini le 1er décembre 1958.

Lorsque nous parlons de paix nous parlons :

  • du rétablissement des Forces Armées Centrafricaines (FACA) dans leurs missions ;
  • du désarmement de tous les groupes armés ;
  • du rétablissement d’une gendarmerie nationale et d’une police nationale ;
  • de l’établissement de la justice notamment pour ce qui concerne les tueries, vols, viols, destructions et autres crimes commis ;
  • de la protection des personnes et des biens ;
  • de la libre circulation des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire ;
  • de la réouverture de l’intégralité des établissements scolaires et universitaires ;
  • de la reconstitution du corps électoral via un recensement de la population lequel recensement aura plusieurs buts ;
  • de la réconciliation nationale, non une réconciliation verbale de façade mais d’un espace de dialogue où les Centrafricains de toutes régions et confessions se parleront ;
  • d’une vision et d’une pratique apaisée et juste de la politique au-delà des clans, parents, amis et au profit des réelles compétences et des principes, etc.

Force est de constater que la transition telle que nous la vivons aujourd’hui n’est pas sur cette voie. Elle peine à mettre en place une politique nationale, volontariste. Elle semble subir la volonté de nos amis de l’extérieur, sans réagir par des contre-propositions et une action crédible.

Prenez cet exemple récent, le Premier ministre a annoncé un budget d’environ 713 milliards de FCFA et tend les deux mains pour demander 655 milliards soit plus de 90% de son budget, est-ce crédible ? Il aurait peut-être fallu négocier préalablement l’obtention de cette somme avant de la budgétiser. Imaginons un seul instant qu’il ne trouve pas ces 655 milliards, alors qu’adviendrait-il du pays ? Le gouvernement a-t-il un plan B ? Quel est-il ?

Il est inutile de rappeler ici que cette transition a une obligation de résultats. Et elle sera comptable de cette période devant les Centrafricains et devant l’Histoire.

Par conséquent, il faut une réaction rapide des autorités de transition pour rattraper la trajectoire. Nous ne pouvons accepter un échec de celle-ci.


Les Séléka se sont réorganisés, qu’en pensez-vous ?

Nous croyons qu’ils ont toujours été organisés mais qu’ils ont été quelque peu éparpillés avec l’arrivée de la Misca et de Sangaris. Ils ont procédé à un toilettage pour communiquer et faire valoir les arguments qui sont les leurs depuis toujours.

Ils avaient dit se battre contre l’exclusion qu’ils ont subie et vouloir plus de démocratie. Et nous pensons que sur cette base il y a un travail à faire sur le plan politique. Et dans ce cas il faut parler avec eux et les impliquer dans la résolution de la crise.

S’ils avancent d’autres arguments ou revendications qui vont à l’encontre de l’intérêt du pays, il faudra s’en inquiéter davantage. Nous parlons là de cette partition souvent évoquée par certains de leurs leaders.

Or Les Séléka, les ex-Séléka devrait-on dire, ont tenu un congrès il y a quelques jours (dans le courant de ce mois de mai 2014) dans le nord du pays, à la suite duquel ils ont très clairement opté pour la guerre. En effet ce congrès s’est doté d’un commandement militaire sans branche politique. Ce qui est absolument regrettable. Il ne peut y avoir deux armées, deux chefs d’État-major, etc. dans un même pays.

Ces Séléka n’ont pas jugé utile de se doter d’une branche politique cela veut dire que la Séleka n’entend pas discuter avec la Transition que par des voies militaires. Et pour preuve, ils lancent un ultimatum à l’État centrafricain. Nous déplorons cet état de fait et encore une fois, le silence ou la non condamnation de ces positions par les autorités de la Transition est un signe de faiblesse. A minima la cheffe d’Etat de Transition et/ou le Premier ministre aurait dû convoquer ceux de leurs représentants et leur demander de prendre position très clairement ou de démissionner du gouvernement et du Cabinet présidentiel.

Pour l’AP2R, les revendications des ex-Séléka doivent être portées uniquement par un mouvement politique à caractère démocratique.

L’AP2R dit non à toute tentative de prise de pouvoir par la force, de sécession de la RCA.


Des sanctions des Nations Unies sont tombées sur certains responsables centrafricains, qu’en dites-vous ?

L’impunité généralisée en RCA est une des raisons qui ont favorisé les horreurs que nous constatons et déplorons depuis de nombreuses années et notre descente aux enfers.

Aucun pays ne peut se construire durablement sur l’impunité ou l’absence de justice car il s’agit en fait d’anarchie.

Ce que la RCA ne peut faire aujourd’hui, il faut se féliciter que la communauté internationale prenne ses responsabilités et l’assiste. Il existe des responsables dans le drame centrafricain, des personnes qui ont conçu, préparé et exécuté des plans de tueries, d’assassinats, etc. Il est de l’intérêt de notre pays que ces personnes soient identifiées, jugées et condamnées le cas échéant. En attendant il faut tout de même les empêcher d’encourager le désordre à travers des manipulations de tout ordre. Ces sanctions sont donc justifiées même si elles ont tardé à arriver.

Cependant, il faut envisager d’étendre la liste à ceux qui militent encore pour l’insécurité et les exactions.

On ne peut plus supporter davantage l’impunité car elle a conduit notre pays au chaos. La transition doit favoriser l’établissement de la justice en RCA et, à l’AP2R, nous pensons que toute autorité publique doit être comptable, s’il le faut, de ses actes et décisions devant la justice, et évidemment ce serait mieux s’il s’agit de la justice nationale.


Que pensez-vous des anti-balaka ?

C’est un peu le même constat que pour l’ex-Séléka. Ces groupes ont dit vouloir protéger certaines populations contre les exactions des Séléka. Aujourd’hui ils sont devenus les alter ego des Séléka au point de rendre la situation encore plus compliquée pour tout le monde.

Les attaques meurtrières dont ils sont responsables sont intolérables au même titre que le sont celles des Séléka. Il faut que cela cesse.

Il semble que les négociations que les autorités de la Transition ont menées n’aient pas donné beaucoup de résultats. On le regrette. Mais il faut tout de même que le gouvernement continue à agir en prenant ses responsabilités dans le règlement de ce problème. La volonté politique, ici aussi, n’est pas sensible dans la gestion de ce volet. Hésitations, confusions, manque de courage. Tout cela à la fois donne l’impression d’un cafouillage qui n’aide pas beaucoup.

Le processus de désarmement doit être renforcé et amené à son terme. Il faut donc que chaque partie assume ses responsabilités, aussi bien les autorités de Transition que la communauté internationale à travers les forces armées sous mandat des Nations Unies présentes en Centrafrique. Les anti-balaka font partie du problème maintenant, tout comme les ex-Séléka. Il faut donc gérer ces groupes et milices armés de façon globale.

Le sentiment que le gouvernement n’arrive pas à trouver la bonne approche est visible. Il faut éviter que cela ne perdure. Pour cela, il faut développer un dialogue clair et sans équivoque et nous croyons qu’il est nécessaire de changer d’approche. On ne peut pas accepter que la base des négociations ne porte que sur le partage de postes. Cela n’est pas responsable, ni raisonnable et constitue un manque de respect pour la population centrafricaine dans son ensemble qui subit les violences depuis trop longtemps.


Comment faire dans cette situation pour qu’un cessez-le-feu soit signé ?

Il faut déjà que le cessez-le-feu soit évoqué et qu’il soit concrétisé par une démarche claire.

Il y a une approche politique, nous le croyons, car il faut parler avec ces groupes armés et les convaincre qu’il ne peut y avoir de solutions durables dans la rébellion armée. Il faut élaborer des solutions politiques audacieuses et courageuses pour assurer le cantonnement et le désarmement correctement, sans créer de risques pour les uns et les autres et épargner le pays durablement.

Et il ne faut pas perdre à l’esprit que la force doit rester à la loi et la violence armée de ces groupes ne peut être légitimée davantage.

Mais nous affirmons qu’il n’y a pas encore eu d’initiative politique forte qui mette chacun devant ses responsabilités quant à la résolution de la crise, et créer les conditions fermes d’une cessation des violences.

L’AP2R pense que pour séparer et désarmer des belligérants, en l’occurrence anti-balakas et ex-Séléka, il faudrait une troisième force mieux armée, disciplinée et surtout qui connaisse les belligérants et possède une maîtrise du terrain. Nous ne pensons pas que les forces armées étrangères, qui nous sont nécessaires aujourd’hui, remplissent à elles seules ces conditions. Et c’est en cela que la Transition doit travailler. Mais il faut proposer un schéma crédible débarrassé de toute arrière-pensée, de calculs sombres, afin que la communauté internationale accepte et accompagne ce processus de reconstruction de l’armée.

L’AP2R est aussi convaincue que beaucoup de militaires n’ont plus leur place dans le schéma d’une nouvelle armée républicaine. Il faut en tirer les conclusions.


Qu’est-ce que c’est que l’AP2R ?

L’AP2R est un mouvement politique qui a pour objectif de contribuer à changer positivement la gouvernance en RCA.

Nous envisageons de devenir un parti politique le moment opportun pour participer à la compétition électorale afin de faire valoir notre vision sur l’avenir de notre pays.

Comme tout mouvement politique nous nous préparons à participer activement à l’animation de la vie politique. Nous voulons permettre à nos compatriotes et particulièrement à notre jeunesse désespérée, de savoir et comprendre qu’il y a d’autres méthodes, d’autres mentalités, d’autres Centrafricains qui répondent mieux à nos problèmes que ces éternelles questions de positionnements personnels et égoïstes et souvent criminels qui ont caractérisé et continuent de caractériser notre paysage politique depuis des décennies. Vous savez, il est tout de même impossible de faire du neuf avec de l’ancien.

Nous croyons donc que le moment est venu de changer les mentalités et de bannir à jamais celles du passé qui nous ont appauvris sur tous les plans et détruit notre cohésion nationale.


Pourquoi ce mouvement ?

C’est le résultat d’une prise de conscience. Nous ne pouvons plus attendre davantage un changement de ceux qui nous ont conduits pendant longtemps à la dérive.

Accepter le statu quo et la continuité de ce système et de sa mentalité serait une tragique erreur pour notre génération et celles qui suivront.

Nous voulons faire comprendre à nos compatriotes, plus particulièrement à la jeunesse, qu’il est temps de prendre nos responsabilités et reprendre en main notre destin national.

Les révolutions dans l’histoire ont toujours été du fait du courage de la jeunesse. Et la jeunesse centrafricaine, à l’instar des autres jeunesses, doit inscrire son action dans l’histoire de notre pays mais aussi celle du monde.

Nous voulons contribuer à faire de notre jeunesse le pilier de la reconstruction de notre pays. La jeunesse a le droit de s’accomplir et de s’épanouir dans son pays. C’est pourquoi, elle a aussi le devoir de s’insurger, de dire non ça suffit ! Et nous entendons faire en sorte que la vision et les valeurs de l’AP2R soient celles qui rassemblent cette jeunesse.


Pensez-vous que vous pourrez avoir un impact sur le cours des événements en RCA ?

Nous avons la conviction profonde que les changements de mentalité et de méthode de gouvernance sont une nécessité vitale pour notre pays. Nous sommes déterminés à partager cette conviction avec nos compatriotes, notre jeunesse et avec les amis de la RCA. Et cela est une exigence car aujourd’hui le pronostic vital de notre pays est engagé, et il l’a été par le comportement criminel des hommes et des femmes qui l’ont gouverné. Et bien qu’ils aient échoué de manière patente, ces hommes et femmes sont encore légion dans le paysage politique centrafricain. Nous apporterons à nos compatriotes une nouvelle réponse en termes d’idéal, de femmes et d’hommes, et par cela nous marquerons, non pas nécessairement le cours des événements, mais le cours de l’Histoire de notre pays, c’est-à-dire de notre histoire commune, nous, Centrafricains de toutes confessions et toutes origines.


Quelle est la solution pour que la RCA puisse enfin décoller ?

Vous savez c’est très simple à dire, il faut remettre tout dans le bon sens, à l’endroit comme on dit. Il faut mettre l’intérêt général au centre de tout. Mettre la jeunesse, qui est l’avenir de toute nation, au centre des préoccupations.

Mais cela sera difficile à réaliser si nous gardons la même mentalité, les mêmes méthodes, les mêmes femmes et les mêmes hommes, bref si nous gardons tout ce qui nous a conduit dans le précipice aujourd’hui. Nous voulons bannir les comportements crapuleux en politique et les mauvaises habitudes accumulées.

Nous pensons qu’il faut permettre à notre jeunesse de libérer son énergie créatrice positive afin qu’elle devienne entreprenante et responsable de son destin. Notre jeunesse doit se projeter avec confiance dans l’avenir parce que les conditions de son accomplissement et épanouissement sont garanties. Le potentiel est disponible, il suffit juste de créer les conditions pour que l’alchimie créatrice prenne.

Tous les Centrafricains (politiques, associatifs société civile, etc..) doivent comprendre que seul leur engagement sincère peut permettre le renouveau à la condition de changer leur mentalité.

Il faut réintroduire la responsabilité et la justice au cœur de notre société. Il faut réapprendre à cultiver des valeurs d’unité, de dignité et de travail dans le pays.

Il faut prôner les bonnes mœurs dans la gestion de la cité et les ancrer à travers la responsabilisation de chacun et de tous devant une justice égale pour tous.

Au-delà des qualités techniques dont nous pouvons disposer, il faut une mentalité empreinte de justice, de transparence et de courage pour projeter notre pays vers une paix durable et un développement harmonieux.

Les hommes passent mais le pays reste, et cette pérennité doit se concrétiser à travers des institutions démocratiques républicaines fortes et stables.


Quel est votre message aux lecteurs d’Opinion Internationale ?

Il n’y a pas de fatalité, changer de mentalité, changer de méthode de gouvernance afin que l’action publique n’ait qu’un seul but : le développement pour le progrès de tous, cela est possible.

Nous espérons que vos lecteurs comprennent notre message pour mieux appréhender notre démarche politique à travers cet échange.

Qu’ils continuent à vous lire et à vous soutenir dans ce que vous faites !

Propos recueillis par Lydie Nzengou

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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