Edito
19H16 - lundi 7 avril 2014

Ravivons la mémoire parisienne de Picasso

 

Ironie de l’histoire ou chance historique… La nouvelle Maire de Paris et le nouveau premier Ministre de la République française sont tous deux nés en Espagne et ont choisi de vivre en France et à Paris. C’est également à Paris que Picasso peignit le plus grand tableau du XXème siècle, Guernica. Dans le Grenier et au dernier étage de l’immeuble du 7, rue des Grands Augustins où le peintre vécut de 1937 à 1955. A leur manière, Anne Hidalgo et Manuel Valls sont des héritiers singuliers de Guernica et marchent sur les pas de Picasso.

 

Guernica - Pablo Picasso - 1937

Guernica – Pablo Picasso – 1937

 

Sous les toits de Paris, l’âme de Picasso repose. Mais sous les toits de Paris, un moment clé de l’histoire de l’art et de la politique européenne est en train d’être effacé. En silence.

En effet, ce Grenier et cet étage des Grands Augustins sont fermés au public depuis fin novembre dernier. En 2013, les propriétaires de l’immeuble, la Chambre des huissiers de justice de Paris, en ont expulsé le Comité national pour l’Education artistique qui, depuis 2002, y organisait des expositions, des concerts, des lectures, y accueillait en résidence des artistes et surtout des milliers d’élèves des écoles, des collèges et des lycées dans des ateliers pédagogiques que Picasso aurait aimé animer. Les médias s’en sont émus en juin dernier. Puis plus rien. Silence.

Selon nos informations, l’immeuble de la rue des Grands Augustins est menacé d’être transformé en résidence hôtelière de luxe. Scénario catastrophe d’autant plus incompréhensible que l’un des héritiers de Picasso était disposé à financer intégralement une Fondation qui aurait maintenu la vocation patrimoniale de l’ensemble du bâtiment tout en satisfaisant les exigences financières du propriétaire.

La France serait-elle ingrate avec Picasso ? A Colmar, dont l’auteur de ces lignes est natif, une des trois tapisseries de Guernica, tissées par Jacqueline Dürrbach, sous la houlette de Picasso qui a réalisé lui-même les cartons et signé l’œuvre, dort dans les caves du célèbre musée Unterlinden. La France devrait exposer haut et fort ces œuvres et ces empreintes majeures de l’oeuvre du peintre universel. Alors qu’à l’automne (sauf énième report) l’Hôtel Salé rouvrira ses portes au musée Picasso, la destruction des Grands Augustins serait une perte irréparable.

Triste affaire qui fait de Picasso, pour reprendre un « papier » de France Inter, un « SDF » à Paris. Qu’on ne vienne plus me parler de la France des droits de l’homme. Et qu’on ne m’appelle plus Taube (colombe en allemand) si on enfouit ainsi la mémoire de celui qui dessina la colombe de la paix sous les toits des Grands-Augustins. 

Des procédures en cours

Jusqu’à présent il semble que le politique n’a pas pris la mesure symbolique de l’affaire. La procédure de classement en urgence de l’immeuble des Grands-Augustins comme lieu de mémoire n’a pas été retenue en juin 2013, malgré les interventions épistolaires… du président de la République, du président de l’Académie des Beaux-Arts, de l’ancien maire de Paris, du Conseil de Paris, du maire du VIème arrondissement et de très nombreuses personnalités.

Cependant, la commission régionale du patrimoine et des sites se réunira le 13 mai prochain pour décider d’une éventuelle extension de la protection de cet immeuble. Mais pour l’heure, rien ne laisse espérer une attention particulière du ministère de la culture, et de sa ministre, étrangement silencieux depuis un an. 

La justice est également saisie et n’a pas dit son dernier mot. Le Comité national pour l’Education artistique a interjeté appel de l’ordonnance d’expulsion du 3 juillet 2013 et une audience a été fixée au 10 septembre 2014. En référé, le président du tribunal avait estimé que l’affaire méritait d’être jugée au fond.

Il faut saisir le politique

Un lieu aussi emblématique (Balzac y situe l’action de son Chef d’œuvre inconnu, Jean-Louis Barrault y installa son atelier entre 1934 et 1936, Prévert y créa le groupe Octobre) ne peut être destiné à un usage privatif. Il appartient à l’universel. Traduction en langage politicien : le candidat François Hollande s’était engagé en 2012, dans sa proposition 44, à lancer un plan national d’éducation artistique. Les Grands-Augustins pourraient être le quartier général de la proposition 44 du président de la République !

Il est encore temps de mettre tous les protagonistes de cette triste affaire autour d’une table pour sauver ce lieu mythique pour l’art, pour l’Europe et pour la paix – Etat, héritiers du peintre, Chambre des huissiers – pour créer cette Fondation et rouvrir le Grenier et l’étage inférieur aux artistes et au public.

Anne Hidalgo, Manuel Valls doivent s’exprimer ! Le président de la République et la ministre de la culture et de la communication doivent s’exprimer. Et agir. Jack Lang fit classer en urgence le Fouquet’s en son temps, et en un temps record. Picasso et Guernica méritent bien une telle faveur. 

Picasso, Guernica…  il faut sauver le Grenier et l’étage des Augustins et les rendre à leur vocation initiale. Quel formidable symbole ce serait pour Anne Hidalgo et Manuel Valls d’obtenir un tel succès.

Comme l’a souligné l’ancien ambassadeur d’Espagne en France, M. Francisco Javier Elorza : « […] Je trouve merveilleux que les huissiers prêtent leur bâtiment pour une activité artistique comme celle-ci, qui dépasse la notion de musée. Cela va beaucoup plus loin : l’âme de Picasso est dans ces murs. » 

Pour aller plus loin

Un court-métrage du CNEA tourné en 2004 à l’occasion de l’exposition Guernica, présentant notamment les témoignages de nombreuses personnalités (Mme Maya Widmaier-Picasso, Mme Anne Hidalgo, SE l’ambassadeur d’Espagne, M. Paco Ibanez, M. Henri Dutilleux, M. Lucien Clergue…) mais aussi des enfants, enseignants et parents ayant participé à la réalisation de ce magnifique projet. 

Directeur de la publication