Afriques (2)
12H15 - mercredi 22 février 2012

Demba SOW, chargé de l’Organisation de l’Alliance pour la République (APR) en France : « Nous faisons tout pour gagner en France »

 

 

Demba SOW

A quelques jours de l’élection présidentielle sénégalaise du 26 février 2012, les militants de l’Alliance pour la République (APR) du candidat Macky Sall semblent confiants pour remporter le scrutin dans l’Hexagone. Le chargé de l’organisation de ce parti en France revient, dans cette interview, sur les chances de son candidat et le programme qu’il va mettre en place pour les immigrés Sénégalais.

 


 

 

La campagne électorale a débuté depuis deux semaines. La vive tension politique au Sénégal, suite à la validation de la candidature du président Wade, que vous contestée, a même provoqué la mort de plusieurs personnes. Certains candidats demandent le report de l’élection. Irez-vous à l’élection présidentielle le 26 février 2012 ?

Oui. Nous prenons acte de la validation de la candidature par le Conseil constitutionnel du président Wade. Nous irons aux élections. Démocratiquement le peuple souverain, seul maître de son destin, décidera qui présidera sa destinée du Sénégal à partir du 26 février 2012. En ce qui concerne l’APR, nous sommes en campagne pour battre le président Wade le 26 février prochain.

 

Au début, vous avez constaté cette validation de la candidature de Wade. Maintenant vous prenez acte. Pourquoi ce revirement ?

En fait, c’était deux stratégies. Nous faisons partie du Mouvement du 23 juin (M23), qui manifeste contre la candidature anticonstitutionnelle et illégitime du président Wade. Nous pensons que le conseil constitutionnel ne s’en est pas strictement tenu au droit.

Nous constatons qu’une nouvelle situation se présente et que la mobilisation populaire n’a pas pu faire reculer le président Wade.

Connaissant sa ténacité, sachant que tant qu’il n’y a pas deux à trois millions de personnes sur la Place de l’Obélisque, comme un peu les mouvements des pays arabes, nous avons opté pour la deuxième voie : celle du rassemblement de tous les Sénégalais autour du projet présidentielle de notre candidat Macky Sall (ancien premier ministre du président Wade, Ndlr).

Ce n’est pas un revirement, c’est un constat. Et le réalisme politique fait que nous avons décidé de mener campagne pour battre le président Wade. Maintenant, au soir du 26 février, si les Sénégalais décident de porter notre candidat à la tête de l’État et que le président Wade de confisque ce pouvoir –comme à l’image de Laurent Gbagbo– alors une autre stratégie s’imposera. Mais aujourd’hui, la seule qui vaille, c’est la voie des urnes.

 

Avez-vous confiance dans le processus électoral ? Certains pensent que le président Wade prépare une fraude électronique ?

Jusqu’à preuve du contraire, normalement la campagne électorale, à part quelques violences notées dans certains endroits, je pense qu’il faut mener campagne. Il est impossible, connaissant le niveau démocratique du Sénégal, la presse sénégalaise, les scrutateurs, les représentants des partis, les observateurs internationaux, le processus électoral ira jusqu’à son terme. La seule position qui vaille, c’est d’aller voter le 26 février prochain et faire fi de ces fausses déclarations concernant d’éventuels fichiers trafiqués. Nous faisons fi de tout cela et demandons au peuple sénégalais de voter massivement pour Macky Sall. Ici en France, nous sommes en train d’occuper le terrain politique pour appeler le peuple sénégalais à voter et faire gagner notre candidat. Ce que nous croyons possible ici et au Sénégal.

 

La campagne est morose. On ne sent pas les partis politiques représentés ici en France. Qu’est-ce qui explique cela ?

Avec le différentes péripéties concernant la candidature du candidat Wad, nous avons usé beaucoup d’énergie. Dans chaque centre (Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, Ndlr), il y aura 4 comités électoraux. Nous avons une commission de pilotage dirigée par un coordinateur et qui supervise ces instances. Nous organisons des meetings depuis le démarrage de la campagne. Nous en avons organisé à Compiègne, à Saint-Quentin, aux Mureaux, au Havre, à Mante-la-Jolie et Orléans. La semaine du 20 février, nous irons dans les foyers, dans le 18e arrondissement. La campagne n’est pas morose, mais elle n’est pas visible non plus.

 

Pourquoi ce manque de visibilité ?

C’est parce que nous ne faisons pas de meetings, mais une campagne de proximité. L’objectif, c’est d’aller chez les électeurs. C’est moins visible que les méga-meetings. Le 24 février, nous comptons organiser un grand meeting à Paris ou dans la région parisienne, ou à Cergy-Pontoise. Nous sommes en train de chercher un site approprié. Je pense que progressivement, la campagne va monter en puissance. À ce moment, elle sera beaucoup plus visible.

 

Est-ce que ce n’est pas aussi le retard de la mise en place du budget de campagne, que vos partis devaient vous envoyer, qui explique ce manque d’animation de la campagne ?

En ce concerne l’APR, nous avons l’habitude de sortir de l’argent de notre poche. Donc nous n’attendions peu de nos responsables de Dakar. Mais nous avons fait la demande comme tous les partis politiques. Nous sommes un parti d’opposition. Nos moyens sont limités. Nous avons demandé des frais de déplacement, surtout pour les militants éloignés des centres de vote.

 

Sur quels points insistez-vous auprès des électeurs potentiels durant vos campagnes de sensibilisation pour les inciter à voter pour votre candidat ?

Au-delà de la souffrance et du drame que vivent nos compatriotes au Sénégal, ici les Sénégalais immigrés en France pensent ne pas être bien représentés dans les différentes instances du pays.

Par exemple, nous n’avons d’un Haut conseil des Sénégalais de l’extérieur. Nous avons des problèmes avec les retraites, les allocations familiales, les investissements au pays, les taxes sur les appels entrants au Sénégal, etc. Il y a énormément de problèmes que les Sénégalais de l’extérieur rencontrent et qui n’ont jamais été pris en compte par nos autorités. La seule volonté de notre candidat, s’il est élu, c’est de faire de la diaspora la quinzième région du Sénégal. C’est une volonté  très forte. Au Sénégal, nous disons, de la diaspora, qu’avec Mack Sall, elle sera dignement représentée durant son mandat. Ce sera le début d’une nouvelle façon de faire de la politique au Sénégal.

Ils ne se contenteront plus d’envoyer seulement de l’argent pour nourrir leur famille. Nous voulons avoir des représentants au parlement sénégalais, élus et issus de la diaspora sénégalaise. Nous faisons campagne sur ces préoccupations. Avec Macky Sall, nous aurons des députés, des sénateurs, entrerons dans les conseils d’administration des sociétés publiques, pour mieux prendre en compte nos préoccupation notamment, en matière d’investissement, d’habitat, etc.

 

Quels sont les deux ou trois points sur lesquels vous insistez durant votre campagne ?

D’abord, il y a la levée de l’interdiction de l’importation des voitures de moins de trois ans. Les Sénégalais de l’extérieur estiment que cette autorisation leur permettra d’avoir un moyen de location quand ils sont au Sénégal. La deuxième revendication concerne les taxes sur les appels entrant au Sénégal.. C’est un racket éhonté et organisé par le président Wade et son clan. Nous voulons mettre fin à cela. La troisième, c’est la représentation des Sénégalais de la diaspora. Nous pensons que nous devons être représentant à l’Assemblée nationale, au Sénat.

Voilà les trois points que nous développons durant notre campagne. Mais j’en ajoute un quatrième – auquel nous tenons – c’est la question de la nationalité. Beaucoup de nos compatriotes sénégalaises mariées à des étrangers n’arrivent pas à faire obtenir la nationalité à leurs conjoints. Nous trouvons cela injuste.

 

Voulez-vous faire modifier la loi ?

Nous en avons même parlé à notre candidat. Dans son programme, je crois que cela a été pris en compte.

 

Parait-il que les allocations familiales ont été augmentées de 3 000 à 4 500 francs CFA. N’est-ce pas un point positif du régime du président Wade ?

C’est même 5 000 francs CFA par enfant. Mais dans une famille, seuls quatre enfants peuvent en obtenir. Mais le problème, c’est que les familles ce que reçoivent les familles n’a rien à voir aux sommes versées par la France. Il semblerait qu’au Sénégal, on déduit les frais de dossiers, ceux des déplacements des agents qui vont payer les familles dans les régions reculées. Nous trouvons scandaleux qu’on paie ces agents à partir de ces sommes prélevées. C’est choquant. Donc si l’on augmente le taux alors que les gens ne touchent pas ce qui leur est réellement dû, c’est comme s’il n’y avait pas d’augmentation.

 

Dans les autres pays, il n’y a pas de convention avec le Sénégal. Est-ce que votre candidat s’est engagé pour qu’il y en ait s’il est élu ?

Il est bon d’avoir ce genre de convention avec les autres pays. Nous voulons que notre leader prenne cela en compte afin que les Sénégalais habitant dans les autres pays puissent bénéficier de ce genre convention. Il n’est pas normal que les enfants, les épouses qui sont privés de la présence de leurs parents, soient également privés de leurs droits. Notre candidat prendra tout cela en compte. Il est conscient de cette responsabilité. En tout cas, nous nous faisons obligation de lui le rappeler constamment. Car il ne faut pas croire que chez les candidats il n’y a que du miel et du sucre, il y a de la souffrance. La situation économique de l’Europe fait que ce que l’on pouvait faire il y a dix ans, n’est plus possible aujourd’hui.

 

Sur le plan culturel, qu’est-ce que votre candidat propose aux immigrés Sénégalais ?

Une maison du Sénégal où nos enfants pourront aller apprendre nos langues, connaître leur pays d’origine, apprendre son histoire, faire des concerts avec les musiciens du pays, du théâtre, etc.

 

Certaines personnes soupçonnent votre candidat d’être de connivence avec le président Wade. Pensez-vous qu’il a définitivement rompu avec le Chef de l’Etat dont il était le premier ministre ?

Notre candidat est dans une position claire. Il a fait une rupture totale et définitive avec le PDS (parti du président Wade, Ndlr). Depuis qu’il a quitté ce parti, il n’a jamais rencontré le président Wade, ni officiellement ni officieusement.

Peut-être se sont-il vus à l’occasion de funérailles ou de baptêmes. Mais si c’est le cas, ils se voient de loin. Jamais on a vu une poignée de main entre Macky Sall et le président Wade. Je suis sûr que ce n’est pas lui qui va négocier en catimini au deuxième tour pour appeler à voter Wade. Non ! Il n’y a pas d’attitudes ou de relations louches entre Macky Sall et le pouvoir en place. Aucun ! Nous avons totalement confiance en lui pour ne pas négocier son retour au PDS. Il ne peut pas faire cela au peuple sénégalais. Notre leader ne trahira jamais.

 

La bataille électorale va être difficile en France. Est-ce que vous avez des chances de gagner ? Si oui, quelles sont-elles ?

Je sais que l’élection sera difficile à gagner. Mais les militants du PDS se trompent de stratégie, parce qu’ils viennent en France avec des milliards qu’ils distribuent aux populations, alors que celles-ci lui ont tourné le dos. Cinq personnes sont mortes au Sénégal en moins d’une semaine lors d’une manifestation démocratique et républicaine. Il y a une telle décomposition de l’image du Sénégal à cause d’Abdoulaye Wade qu’il nous est facile de faire campagne.

Depuis quatre ans, je suis sur le terrain, ici en France. Si l’élection se déroule normalement, je suis optimiste pour notre victoire. J’en suis convaincu parce que nous avons tout fait pour ça. Au soir du 26 février, le PDS sera conjugué au passé ; il deviendra une histoire ancienne. Malgré toutes les tentatives d’intimidations de la part Abdoulaye Wade, qui a envoyé tout une armada de ministres, nous n’avons guère de doutes.

 

D’ailleurs ce meeting a drainé beaucoup de personnes. Est-ce que cela ne signifie pas que le PDS a repris du « poil de la bête » pour gagner la France ?

J’ai vu les images vidéo. Effectivement il y avait énormément de monde. Sauf qu’ils ont loué des cars pour transporter ces personnes et qu’ils les ont payése.

La seule vérité, c’est celle qui sortira des urnes. 85 % des gens, qui ont rempli la salle de Mante-la-Jolie, ne voteront pas pour Abdoulaye Wade. Ce meeting, c’est du leurre. Envoyer Zaccaria Diaw (ministre d’Etat, Ndlr) qui est Peul, Amadou Ciré Sall (député, 3e vice-président de l’Assemblée nationale, Ndlr), Abdourahim Agne (ancien ministre du président Wade) Peul égalememnt, est une manière de détourner l’enjeu électoral. C’est considérer que les Peuls émettront un vote ethniciste. Or, il n’y aura pas de vote ethnique. Les gens voteront selon leurs convictions politiques et non pas ethniques ou religieuses.

 

Le président Wade a créé plusieurs consulats en France. Ce qui a permis de rapprocher les Sénégalais de France de leur administration. N’est-ce pas un avantage pour lui ?

Ces consulats ne servent à rien. Il devait signer des accords pour empêcher qu’on expulse des Sénégalais sans-papier au Sénégal et pour qu’ils soient régularisés. Tous ces consulats sont sources de dépenses. C’est de la poudre aux yeux et un moyen pour le président de placer ses militants. Vous savez, ce qui se passe au consulat du Sénégal à Paris où sont casés des militants du PDS ? A chaque fois qu’il est question de l’argent que leur remet le président Wade, ils se divisent…

 

Interview réalisée par Moustapha Barry

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